Renforçons les mesures anti-concentration

Liberté, indépendance et pluralisme des médias

Publié le 25 mai 2016 à 09:40 Mise à jour le 27 mai 2016

Entretien accordé à l’Humanité

La proposition de loi « visant à renforcer la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias », portée par le député socialiste Patrick Bloche, sera examinée cet après-midi ou demain en séance plénière au Sénat. Si des points sont satisfaisants, le sénateur du groupe CRC et membre de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, Patrick Abate, en souligne toutes les insuffisances en matière notamment de concentration des médias.

Quel regard portez-vous sur cette proposition de loi ?

Patrick Abate. C’est un projet de loi déguisé en proposition. Elle s’inscrit dans le cadre d’une niche du groupe socialiste mais nous sommes bien sur un texte porté par le gouvernement. Seulement, elle est plus de l’ordre du bricolage : des volets vont dans le bon sens mais nous avons relevé certaines d’entre elles qui sont des vraies fausses bonnes mesures et ne sont pas à la hauteur des enjeux : la concentration des médias, le pluralisme, la logique financière face à celle de la démocratie mais aussi le virage numérique. Car tout ceci est lié. La stratégie du groupe Drahi en est l’exemple même. Alors que nous voyons apparaître une entorse assez grave à la neutralité du net, qui est lié à la concentration, ces problématiques ne sont pas abordées de matière frontale.

Le nom même de la loi inclut la problématique du pluralisme. Qui est directement lié à ce phénomène de concentration…

Patrick Abate. Cette concentration s’est extrêmement accélérée en une demi-douzaine d’années. A la tête des médias, nous avons tout le monde : des individus, de Pigasse à Bolloré en passant par Bergé, qui ont de l’influence sur la droite ou sur la gauche, sur l’Elysée comme sur Matignon. Ils ont une capacité à faire valoir leurs intérêts. C’est le cas, anciennement, du Crédit mutuel avec le groupe Ebra. Se pose, en ce sens, le problème des aides publiques à la presse. Elles vont à des journaux détenus par les puissances financières ! Nous allons intervenir, par le biais d’amendements, sur le renforcement de mesures anti-concentration, phénomène lié aux grandes puissances financières. Cette question-là nous paraît fondamentalement dangereuse pour la liberté de la presse. Cette proposition de loi ne fait que l’effleurer.

Que pensez-vous de cette absence de proposition concernant une « neutralité du net » ?

Patrick Abate. J’ai alerté sur ce point et il commence à être discuté. Je prends l’exemple de l’application de SFR, du groupe Drahi, qui propose l’accès gratuit à dix sept titres de presse. C’est comme si un kiosque n’exposait que quelques journaux. La presse est déjà en grande difficulté pour prendre le virage numérique. Si, en plus, cette neutralité du net n’est pas respectée, c’est un scandale absolu. On s’attaque à un principe fondamental de la liberté de la presse et du pluralisme par la ségrégation et la concurrence déloyale dans la distribution. Sans compter qu’avec cela, Patrick Drahi réussit une belle optimisation fiscale.

Certains syndicats des journalistes alertent également sur le renforcement du pouvoir du CSA. Qu’en pensez-vous ?

Patrick Abate. On introduit le CSA comme garant de l’indépendance. Cette idée part d’un bon sentiment mais ce ne sont pas les bons outils. Le CSA n’est pas plus indépendant que cela. De plus, il n’a pas les moyens et il s’occupe des médias audiovisuels. On met en avant la mise en place de chartes et de comités déontologiques, comme ci c’était la solution pour défendre le pluralisme. Quelque part on déplace le problème. Sans compter qu’elles seraient des chartes maison. Nous sommes très méfiants là-dessus car il nous paraît plus protecteur pour l’indépendance du journalisme d’être régi par une charte européenne ou nationale. C’est comme si nous avions un code de la route par commune. Ce n’est pas une réponse et c’est même contre-productif.

Le gouvernement met en avant depuis quelques mois ses engagements en terme de protection des lanceurs d’alerte, sources des journalistes. Cette proposition en possède un volet…

Patrick Abate. Là-aussi, le texte le survole. Par exemple, il y a eu un amendement du gouvernement sur le fait que le lanceur d’alerte puisse s’adresser au journaliste. Seulement, auparavant, il doit s’adresser aux autorités judiciaires et administratives. Et « en dernier ressort » au journaliste. Qu’est-ce que ça veut dire ? Faut-il attendre que l’Assemblée générale des actionnaires en soit informée ou que le parcours judiciaire soit terminé ? Ce n’est juridiquement pas tenable.

Patrick Abate

Ancien sénateur de Moselle
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