Un ébranlement de notre édifice républicain

Réforme territoriale

Publié le 13 mai 2014 à 17:08 Mise à jour le 8 avril 2015

Dévoilé lors de son discours de politique générale, le big bang territorial de Manuel Valls remodèle l’organisation du pays pour mieux la soumettre aux exigences libérales de Bruxelles. Tribune parue dans Initiatives n°89.

A près la loi sur les métropoles, faisant disparaitre tout objectif d’aménagement équilibré du territoire, au profit des grandes aires urbaines, le nouveau séisme institutionnel, annoncé par le Premier ministre, est appelé à être particulièrement destructeur pour l’organisation territoriale de notre République. Le nouveau gouvernement va agir en deux temps.

Il va d’abord s’attaquer aux compétences et aux financements de toutes les collectivités territoriales, de la commune à la région en passant par les départements. Ainsi, en plus de la baisse des dotations de 1,5 milliard déjà inscrite en 2014 après deux années de gel, ce sont 11 milliards d’euros de dotations supplémentaires qui ne leur seront plus versés, les trois prochaines années. Mais attention, cette baisse drastique des ressources ne sera pas nécessairement uniforme et équitablement répartie et il n’est pas du tout assuré qu’elle ne perdura pas au-delà de 2017.

En effet dès 2015, on nous annonce une refonte complète de la DGF et de ses critères d’attribution, pour encourager les comportements dits « vertueux ». Les dépenses de chaque collectivité seront alors encadrées par l’attribution de ressources différenciées, favorisant les regroupements de structures et la mutualisation des services. Ce faisant, les dotations pourront augmenter, être maintenues ou baisser. Dans le même temps, avec le prochain texte de loi sur les compétences, leurs nouvelles définitions et attributions feront que les départements et les régions ne pourront plus intervenir que dans le champ de compétence strictement défini par la loi, qui leur interdira tout financement croisé.

Par ailleurs, leurs compétences seront « spécifiques », donc à chaque niveau ses compétences. Plus de compétences partagées. De plus, elles seront aussi « exclusives », donc aucune autre collectivité ne pourra intervenir dans ces domaines. La compétence générale, principe fondateur de la libre administration des collectivités locales, va disparaitre. Ce faisant, si la suppression de la compétence générale est annoncée au niveau des départements et des régions, elle sera aussi très fortement réduite au niveau des communes puisque la loi leur interdit d’intervenir dans un domaine de compétence attribué, en exclusivité, à une autre collectivité. De plus les régions et départements devraient sans doute se voir attribuer la mise en place de divers schémas prescriptifs, remettant ainsi en cause deux principes constitutionnels : la libre administration des collectivités, des communes en particulier, et la non-tutelle d’une collectivité sur les autres. Ainsi, après avoir réduit, bouleverser les capacités d’interventions et la vitalité des diverses collectivités territoriales, le gouvernement pourra alors s‘attaquer aux structures.

La question de leur restructuration/disparition sera plus facile à poser. Dans la chronologie annoncée, ce sont d’abord les régions dont on va diminuer le nombre. Dès maintenant, le gouvernement appelle à des regroupements entre régions, mais attention prévient la ministre Lebranchu, il vaut mieux attendre la loi annoncée pour 2015, car c’est un redécoupage des régions qui a sa préférence. Dans le même temps, la carte intercommunale sera remise en cause en permanence. En effet, avant même sa refonte complète, prévue pour 2018, le texte annoncé pour le mois de mai devrait encourager à de nouvelles suppressions de syndicats intercommunaux en s’appuyant sur la nouvelle répartition des compétences. D’ici quatre ans, la refonte complète des intercommunalités fera de celles-ci des structures élargies, plus intégrées. En effet, le Premier ministre a délimité leur périmètre. Elles réuniront l’ensemble des communes d’un même « bassin de vie », définit par l’INSEE et la ministre Lebranchu a laissé échapper que ces nouvelles intercommunalités devraient rassembler au moins 10 à 20 000 habitants, au lieu de 5 000 actuellement. De ce fait s’il y a actuellement 2 145 établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre, il ne devrait n’en rester que 1600, au maximum. Cette phase de concentration des intercommunalités est particulièrement importante dans le processus institutionnel en cours avec les réformes annoncées. En particulier en zone rurale, il est envisagé que ce soit une union d’intercommunalités, une sorte d’assemblée d’intercommunalités qui finissent par remplacer les départements. Tel est en effet l’objectif de ce chambardement : supprimer tous les départements et leurs 4000 élus, alors que le périmètre de ce niveau de collectivité territoriale est particulièrement pertinent pour mener des politiques de solidarité entre les citoyens et les territoires, au plus près des besoins et des attentes.

Intercommunalités, régions, États, Europe… tel semble être la future organisation, la vision portée par le Premier ministre et certains de ses amis, dans le cadre d’un État fédéral s’inscrivant au sein d’une Europe intégrée. Partout l’objectif affiché est de réduire le nombre d’assemblées élues, le nombre d’élus de proximité, tout en maintenant les autorités administratives de l’État. Ainsi les conseils généraux disparaitraient alors que les Préfets demeureront. C’est bien le signe, le symbole politique de la fin du processus de décentralisation engagé depuis 30 ans et soutenu par nos concitoyens.

Aussi, si ces propositions du Premier ministre devaient être portées jusqu’à leur mise en place, nous demandons alors que le peuple souverain soit consulté. Si nous considérons que cette perspective doit être combattue, ce n’est pas pour que rien ne change. Nous sommes particulièrement favorables au renforcement des pouvoirs locaux, au plus près des citoyens, en renforçant leur capacité d’interventions et au renforcement des politiques publiques par la mise en commun et le partage des richesses. Cette vision, profondément décentralisatrice, n’oublie pas que pour se mettre en place, elle a aussi besoin d’une démocratisation des institutions nationales.

Christian Favier

Ancien sénateur du Val de marne - Président du Conseil départemental
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