Le rapport de la commission d’enquête sur l’évasion des capitaux et des actifs hors de France et ses incidences fiscales a été rendu public à l’occasion d’une conférence de presse le 24 juillet dernier au Sénat. Une semaine auparavant, ce rapport avait été adopté à l’unanimité des 21 membres de la commission d’enquête le mardi 17 juillet. Cet évènement concluait les 6 mois de travaux de la commission, 80 heures d’audition au Sénat, 4 déplacements d’une délégation à Jersey, en Suisse, en Belgique puis à Londres en tant que rapporteur. Au total, ce sont 130 personnalités qui auront été entendues par la commission.
Notre première mission a consisté à donner une identité à l’évasion fiscale internationale, c’est ainsi que nous appelons de nos vœux une règle générale anti évasion fiscale. A l’évidence les définitions diffèrent sensiblement d’un pays à l’autre, tout comme la notion même de paradis fiscal. Ainsi, les listes des pays considérés comme paradis fiscaux ne se ressemblent pas selon qu’elle émane de l’OCDE, du GAFI ou de la France. Une harmonisation s’impose ici comme une nécessité absolue dans la lutte contre ce phénomène. L’autre difficulté à laquelle nous étions confrontés était celle qui consiste à évaluer les montants des pertes fiscales générées par l’évasion. Pour la France, de nombreuses études chiffrent ces montants entre 40 et 50 milliards d’euros chaque année manquant au budget de la nation, se chiffrant lui à environ 300 milliards, nous ne sommes donc pas sur des montants anecdotiques !
Pour ce qui est de l’Union Européenne, l’ONG britannique « Tax Research » a évalué le montant des pertes fiscales pour les 27 pays de l’UE à
1 000 milliards d’euros, soit 5 fois le budget de l’Union. Tous les pays sont touchés par ce phénomène, ce qui rend les enjeux encore plus importants. La crise en place depuis 2008 a relancé les réflexions sur l’évasion fiscale et les paradis fiscaux au plan international et bien évidemment le monde de la finance dérégulé s’est adapté à cette nouvelle situation, notamment suite aux quelques timides mesures visant à lutter contre l’évasion, prises à l’occasion du G20 en 2009. Notre commission s’est donc intéressée aux méthodes et outils de l’évasion.
Pour les particuliers, l’expatriation sous des cieux fiscaux plus cléments se pratique toujours, elle s’est beaucoup développée dans notre pays après les années 80 avec la mise en place de l’ISF, Belgique, Royaume Uni, l’ouverture de comptes non déclarés en Suisse est une pratique courante pour les foyers disposant d’un patrimoine élevé. La Suisse est le numéro 1 mondial en matière de gestion de fortunes personnelles, 5 400 milliards de francs suisses sont détenus dans les banques helvète.
En ce qui concerne les entreprises, il faut surtout s’intéresser aux grands groupes multinationaux du CAC 40, largement implantés dans les territoires à fiscalité privilégiée. Cette organisation permet à ces entreprises de localiser les pertes ou faibles gains dans les pays à fiscalité forte et à l’inverse de transférer les profits vers les paradis fiscaux où la fiscalité est nulle. 60 % des échanges commerciaux dans le monde sont des échanges intra groupes, la maison mère facture à ses filiales des services, des produits, des matières premières en manipulant les prix, c’est ce que l’on appelle la manipulation des prix de transfert.
Au total, le jeu de l’évasion fiscale ou « l’optimisation fiscale » pour employer un euphémisme, permet aux grandes entreprises de réduire considérablement leur imposition. Un rapport du Conseil des prélèvements obligatoires datant de 2009 montre que les entreprises du CAC 40 paieraient en moyenne un impôt société à 8% quand les PMI-PME sont imposées à 33 % ! Où est l’égalité devant l’impôt ?
La caractéristique essentielle qui nous est apparue lors de nos déplacements à Jersey, en Suisse et à Londres (la City), c’est l’extrême proximité, pour ne pas dire complicité, entre le pouvoir financier, les banques notamment et le pouvoir politique local. Les décideurs politiques en Suisse où à Jersey sont issus parfois directement du monde de la finance. Un ancien parlementaire suisse, rencontré lors de notre déplacement, M. Rudolf STRAHM nous a dit : « En Suisse, rien ne se fait sans l’accord des banques ». D’ailleurs, notre déplacement en Suisse n’est pas passé inaperçu, journaux, télés et radios se sont intéressés à notre visite et certains représentants politiques locaux ont parfois fait preuve d’une certaine virulence à notre égard, allant jusqu’à qualifier notre commission « d’arrogante ».
Ce séjour fut néanmoins extrêmement utile à notre réflexion et à nos travaux. Nous avons évoqué tout à l’heure les pratiques des multinationales qui non seulement s’évertuent à échapper le plus possible à l’impôt en France mais aussi de cette manière privent certains pays en voie de développement de la juste rétribution de l’exploitation de leurs ressources naturelles. Le Comité catholique contre la faim et pour le développement, lors de son audition, indiquait notamment que les pays du sud perdent du fait de l’évasion 10 fois le montant de l’aide que leur allouent les pays du Nord ! Le rapport formule 61 propositions d’actions concrètes et constitue désormais une « caisse à outils » que les membres de la commission souhaitent continuer à faire vivre.
Les sénateurs UMP membres de la commission ont décidé, malgré des désaccords sur certaines propositions formulées, d’apporter leur vote au texte proposé. Les travaux se sont déroulés dans un climat de confiance et de respect mutuels au-delà des appréciations politiques et philosophiques des 21 membres représentant toutes les sensibilités de l’hémicycle du Sénat. Les 61 propositions ainsi validées sont autant d’armes à la disposition des politiques en France, mais les deux axes clés d’une action durable contre ce monde parallèle reposent sur l’indispensable transparence d’abord -l’une des propositions formule d’ailleurs l’idée d’imposer aux grands groupes une comptabilité pays par pays pour y voir plus clair-, l’autre axe s’inscrit dans la dimension citoyenne.
Car il est urgent de porter à la connaissance de l’opinion cette réalité de l’évasion fiscale pour élever le niveau de conscience et faire grandir l’exigence de mettre fin à ce scandale de la finance dérégulée par et pour les forces libérales de l’argent.
L’indignation doit grandir pour générer ensuite l’action collective.