Respect effectif des droits de l’homme en France

Publié le 11 mai 2006 à 16:19 Mise à jour le 8 avril 2015

Monsieur le Président,
Monsieur le Garde des Sceaux,
Mes cher(e)s collègues,

Le rapport de Monsieur GIL-ROBLES, n’a pas surpris les professionnels, les associations, les citoyens... qui dénoncent les atteintes aux droits en France et militent pour des avancées.

De rapports en rapports, notre pays est montré du doigt : par le Comité contre la torture de l’Onu pour son attitude à l’égard des étrangers suite aux violences de novembre, par Amnesty International pour de « graves violations des droits humains » commis par des policiers souvent contre des jeunes, ou enore par la LDH ou la CNDS...

J’ai bien noté la promesse du Président Chirac, après de nombreuses années, que sera ratifié le protocole n° 13 à la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des Libertés fondamentales. Mais je regrette le peu d’empressement à mettre cette question à l’ordre du jour du Parlement.

En ce qui nous concerne, nous ne saurions envisager les droits fondamentaux sans souligner qu’un grand nombre de nos concitoyens sont privés des droits élémentaires : avoir un toit, un travail, une protection sociale. Ceci contribue évidemment à déliter le lien social, à accroître la crise sociale et le fossé entre ceux qui dirigent et la population.

Dire cela, c’est mettre en cause les politiques menées depuis des années et, pour nous qui avons une conception globale des droits, il est évident que le respect de ces droits élémentaires est essentiel et appelle des changements politiques pour lesquels nous agissons.
Quant aux violations des libertés, objets de notre débat, notre collègue pointe les rapports accusateurs à l’égard de notre pays et souligne le fossé entre le droit sa pratique effective. Je voudrais dire que s’il y a des pratiques éminemment contestables, surtout si elles ne sont pas sanctionnées, il y a, au-delà, une régression très préoccupante du droit lui-même.

Ces quatre dernières années, gouvernement et majorité se sont livrés à une surenchère sécuritaire. Pas moins de six lois ont été votée par la majorité, qui ont toutes contribué à la stigmatisation de catégories de personnes et à la surenchère pénale, spirale sans fin, désagrégeant surtout la solidarité, exacerbant la violence des rapports sociaux et n’ayant aucun effet sur la baisse de la criminalité. Le « modèle » américain est là pour le montrer.

Le vote de l’état d’urgence a été emblématique de l’idéologie dangereuse véhiculée par la droite et alimentée par les dérapages verbaux du Ministre de l’Intérieur avec le soutien du gouvernement. La crise sociale a été ethnicisée. Des boucs émissaires ont été désignés : polygamie, rap, mariages mixtes, étrangers !

Après les mendiants, les prostitué-es ou les gens du voyage, ce sont les habitants des quartiers populaires, les pauvres, les jeunes, les étrangers qui ont été stigmatisés.
Ces derniers subissent une traque grandissante. Les préfets sont sommés de faire du chiffre dans les reconduites à la frontière. La police va chercher les enfants d’immigrés à l’école pour les mener en centres de rétention, alors que l’expulsion de mineurs est interdite en droit français ! Contre cette honte, des associations, enseignants, parents d’élèves, des citoyens agissent au sein du Réseau éducation sans frontières qu’ils ont ensemble créé. Mon groupe a déposé une proposition de loi pour le respect du droit à l’éducation de ces jeunes, disposition qui permettrait d’empêcher le couperet de l’année scolaire. Je vous demande de respecter le droit de l’enfant à l’éducation.

De plus, une circulaire ministérielle du 21 février exige qu’on arrête les étrangers en situation irrégulière jusque dans les blocs opératoires ! C’est monstrueux.
Quant à la justice, sa lenteur, surtout due à l’insuffisance de personnels, ne doit pas masquer la multiplication des procédures expéditives : contre les jeunes des banlieues en novembre, les manifestants anti-CPE ou les étrangers en zone d’attente, comme le confirme le rapport de l’ANAFE.

Par contre, rien pour favoriser le « vivre ensemble », l’intégration des étrangers, dont vous parlez sans cesse. Vous avez même refusé l’acte symbolique du droit de vote aux élections locales, auquel adhère la majorité du peuple de ce pays.

Sur la détention, je fais partie des quelques parlementaires qui se rendent régulièrement dans les lieux de détention. J’invite mes collègues à faire de même. La réalité souvent insoutenable est bien celle décrite par Monsieur GIL-ROBLES. Le centre de rétention de Paris, par exemple, est bien dans cet état immonde qu’il évoque ; et il est toujours ouvert, malgré les promesses de fermeture.
Il est donc inconcevable que vous ayez, Monsieur le Ministre, considéré son rapport comme « injuste » et ne reflétant pas « la réalité des efforts menés par les gouvernements successifs depuis 2002 ».

Sur les prisons, notre collègue a raison de dire que continuer à en construire ne résout rien à la surpopulation carcérale, mais participe d’une véritable fuite en avant.
A Liancourt, une nouvelle prison a été construite pour remplacer l’ancienne. Résultat : les deux fonctionnent.
Comment en serait-il autrement quand les lois sécuritaires que j’ai évoquées ont pour effet direct l’accroissement du nombre des détenus ?

Concernant les mineurs, le ministre de la Justice a confirmé la création de 29 centres éducatifs fermés et de 6 nouveaux établissements pénitentiaires d’ici à 2007 : autant de « réponses » à l’abaissement de l’âge de la responsabilité pénale et à la primauté donnée à la sanction sur l’éducation.

Parallèlement est prévue la fermeture -que j’ai dénoncée- du QIS du centre pénitentiaire de Fresnes, une des rares structures participant à la réinsertion des détenus les plus vulnérables et à la lutte contre la récidive ! Et le médecin chef-psychiatre du SMPR, Madame Christiane de Beaurepaire, envisage d’user de son droit d’alerte pour obtenir des effectifs infirmiers. J’ai visité ce centre l’an dernier : je comprends son inquiétude. Quelle réponse allez-vous lui apporter ?

Il faut l’entendre, comme il faut entendre l’appel des associations et des personnalités qui disent « Trop c’est trop ». Comme il faudra entendre les constats et propositions des Etats généraux de la condition pénitentiaire que lance l’OIP.

Il faut entendre et agir, ce qui hélas fait défaut.
En 2001, vous-mêmes, mes Chers collègues, avez qualifié les prisons françaises « d’humiliation pour la République ».
Combien faudra-t-il de condamnations de la France, combien de suicides dans les prisons..., pour que vous acceptiez de réfléchir réellement à une transformation des conceptions carcérales ? Car, hélas, depuis 2001, je n’ai guère trouvé de soutien de votre part pour ceux -professionnels, associations, détenus- qui tirent la sonnette d’alarme et se mobilisent pour que le rapport de 2001 ait une suite.
Vous étiez vous-mêmes favorables à un Contrôleur général des prisons. Depuis, rien !

Dans le rapport de la Commission d’enquête sur la délinquance des mineurs, vous étiez hostiles à leur incarcération. Depuis, le gouvernement n’a cessé de la promouvoir !
La lamentable affaire d’Outreau a amené certains à pousser des cris d’orfraie sur la détention provisoire. Mais tout ce qui a été voté depuis quatre ans pousse à la détention provisoire !

Il y a plus de trente ans, Valery Giscard d’Estaing avait eu le mérite de dire que la prison était la privation de liberté et rien d’autre. Hélas, les conditions de détention dans nos prisons sont la privation de liberté et la dégradation à coup sûr de l’état social, sanitaire et psychique des détenus.

Aujourd’hui, la prison fait d’eux des personnes irresponsables, sans droits, sans avenir. Il est urgent d’améliorer les conditions matérielles de détention, de lutter contre l’oisiveté par le travail, la formation..., de permettre aux détenus de participer à l’organisation de la vie en détention. Il faut donner des droits, dont celui à un revenu minimum, des moyens pour leur réinsertion, comme y invite le rapport du Conseil économique et social de février.

Il faut aussi donner plus de droits aux personnels pénitentiaires : une formation de qualité, des statuts redéfinis et qui ne les excluent plus des droits accordés aux citoyens... Il faut leur donner des moyens pour travailler dans la dignité et prendre en charge les personnes incarcérées dans le respect des droits.

Et il est urgent de lever le secret sur l’administration des prisons, en créant un Contrôleur général des prisons.
Il faut enfin ouvrir un débat serein sur la perpétuité et les peines de sûreté. Puisque vous aimez les comparaisons européennes, ayez le courage de constater que seule la France prévoit des peines de sûreté aussi longues.

Aux dix condamnés à perpétuité de Clairvaux qui, l’an dernier, ont demandé « le rétablissement de la peine de mort » pour eux-mêmes, vous avez répondu en ironisant, Monsieur le Garde des Sceaux, sur les conditions dans cette prison qui seraient « tout à fait compatibles avec l’idéal républicain qui est le nôtre ». Rien d’étonnant pour un ancien député qui n’a pas voté l’abolition de la peine de mort. Mais c’est scandaleux de la part d’un Ministre de la Justice.

Il est temps, grand temps, d’avoir le courage d’un débat national -certains parlent de loi pénitentiaire- sur l’utilité et le sens de la peine, les missions de l’administration pénitentiaire. Il est grand temps d’appliquer les préconisations européennes. Et bien entendu sur les moyens que notre pays entend consacrer à la justice, alors qu’il est aujourd’hui au 23è rang des pays européens.

Notre collègue a bien fait de solliciter le débat d’aujourd’hui. Je voudrais émettre le vœu que le Groupe d’étude des droits de l’Homme qu’il préside soit en veille permanente pour dénoncer chaque atteinte aux droits des personnes. Car il y a des évolutions préoccupantes, comme le développement de la surveillance et du fichage, les lois en discussion ou en préparation sur notre rapport aux migrants ou la justice des mineurs... ou l’installation d’un gigantesque marché du sexe à l’occasion de la Coupe du monde de football.

On ne peut être sélectif dans les droits de la personne que l’on défend.

Nicole Borvo Cohen-Seat

Ancienne sénatrice de Paris et présidente du groupe CRC

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