Renforcement de la sécurité autour des sites SEVESO

Publié le 25 octobre 2001 à 00:00 Mise à jour le 8 avril 2015

par Yves Coquelle

La déflagration meurtrière, le 21 septembre dernier de l’unité chimique appartenant à TotalFinaElf qui aura coûté la vie à 30 personnes, en aura blessé 2500 autres, dont certains si grièvement qu’ils resteront handicapés tout leur vie, laissera des traces indélébiles dans la mémoire collective.

Ce drame humain qui vient s’ajouter à ceux de Seveso en 1976 (200 personnes gravement atteintes), de Mexico en 1984 (500 morts, 7 000 blessés), de Bhopal en 1984 (7 000 morts), de Houston en 1990 (40 morts), pour ne citer que les plus importants, représente aussi un énorme coût pour la collectivité en raison des ses conséquences sur le plan économique, social et écologique.

La terrible explosion de l’usine chimique AZF, comparable à un séisme de 3,4 degrés sur l’échelle de Richter, aura balayé toute une zone à la périphérie de la ville « rose » :

 25 000 appartements et maisons dévastés, 70 écoles et une dizaine de lycées sinistrés, plusieurs hôpitaux endommagés, bus et voitures éventrés, des milliers de fenêtres soufflées, et sur le site industriel presqu’entièrement rasé des tonnes de gravas roussies qui s’accumulent entre les poutres métalliques calcinées, tandis que la Garonne digère ses tonnes d’hydroxyde d’amonium déversées à la hâte, dit-on, pour éviter la pollution atmosphérique.

Située en pleine campagne au moment de l’implantation de l’usine au début des années 20, cette zone de séparation entre le centre ville et le site industriel fut progressivement appropriée, par couches successives, par les quartiers populaires :ceux de la cité d’Empalot d’abord, puis ceux des cités Papus et Bordelongue, enfin ceux des cités de Bagatelle, La Farouette, Bellefontaine et du Mirail . Sur les 25 000 appartements détruits, près de 18 000 appartiennent au parc des logements sociaux.

Face à une telle catastrophe, faut-il fermer définitivement le site AZF, et délocaliser ces productions à risque, comme certains le préconisent ? A-t-on mesuré les conséquences que sur le plan économique et social de telles délocalisations impliqueraient ?

En France, sur les 1250 sites classés Sévéso c’est-à-dire présentant un risque élevé pour la population et l’environnement en cas d’accident, plus de la moitié est située en zone urbanisée.

Dans ma propre région, le Nord Pas de calais, on recense 55 sites classés Seveso, mais si l’on tient compte des estimations de la DRIRE, le nombre de sites présentant de réels risques s’élève à 2700. Ces firmes, elles aussi sont implantées dans les zones fortement urbanisées, le long du littoral dunkerquois et calaisien, ou dans l’ancien bassin minier autour de Valenciennes et de Douai.

Certes, la question du périmètre de sécurité entourant ces entreprises dangereuses est primordiale et nous devons sans doute la repenser, mais ne négligeons pas le fait que tout site industriel, par l’activité économique qu’il génère participe au développement de l’urbanisation en attirant de la main d’œuvre.

Certains urbanistes nous mettent en garde en soulignant que « le développement à l’américaine du type Los Angeles où l’on sépare les activités : quartiers résidentiels avec les commerces d’un côté, parcs d’usine isolés de l’autre, crée des problèmes de ségrégation sans pouvoir forcément parer aux catastrophes… »

Car, n’oublions pas que lorsqu’un accident se produit sur un site industriel, ce sont les salariés qui sont les premiers concernés : sur les 30 personnes qui ont perdu la vie ce 21 septembre, 22 étaient des salariés d’AZF.

 Les normes de sécurité de l’usine AZF étaient-elles bien respectées ? Vous avez pu comme moi, mes chers collègues, lire dans la presse les témoignages de nombreux salariés et syndicalistes d’AZF tendant à prouver le contraire.

 Pour cette raison fondamentale, nous devons donc d’abord vérifier que sur tous les sites dangereux, qu’il rentrent ou non dans la classification Seveso, les normes de sécurité soient bien respectées et qu’elles évoluent en fonction des nouveaux risques technologiques et industriels.

Car, Monsieur le ministre c’est bien à ce niveau là que le bât blesse.

 Dans de nombreuses régions, les inspecteurs de la Direction Régionale, de l’Industrie, de la Recherche et de l’Environnement (DRIRE) ont constaté la non conformité de certains sites aux règles minimales de sécurité. L’année dernière, ces mêmes inspecteurs ont dénombré 258 infractions justifiant des sanctions administratives, tandis qu’ils dressaient 52 procès verbaux pour des infractions devant se traduire par des condamnations pénales.

 Dans ma propre région, ils viennent de constater qu’aucun des trois sites de stockage d’ammonitrates, classés Seveso ne respectaient les normes de sécurité en vigueur.

 Nous savons par ailleurs que les inspecteurs des DRIRE sont en sous-effectif et que faute de moyens, leur contrôle s’effectue souvent dans l’urgence, et ne consiste la plupart du temps qu’à superviser l’ensemble des installations au profit d’inspections plus minutieuses des zones les plus sensibles des sites à risques.

 A titre d’exemple, à la DRIRE Midi-Pyrénées seuls 16,5 postes d’inspecteur sont affectés à l’examen des 2000 entreprises soumises à autorisation, parmi lesquelles 29 sont classées Seveso. En Rhône-Alpes, ils ne sont que 60 pour plus de 3600 établissements classés, dont 190 de type Séveso.

 Il devient urgent, Monsieur le Ministre, d’augmenter sensiblement les effectifs des DRIRE.

Mais, pour nécessaires qu’elles soient, les procédures de contrôle du type de celles qu’effectuent les DRIRE, ne suffiront sans doute pas, malgré les sanctions qu’elles peuvent infliger, à inciter les entreprises à ramener au rang de leur priorité les questions de sécurité.

 Elles ne gagneront pas non plus en efficacité si elles continuent à courcircuiter les Comités d’Hygiène et de sécurité et des Conditions de Travail (CHSCT) en privilégiant comme interlocuteur pratiquement systématiquement les représentants des directions d’entreprises. L’accroissement du degré de sécurité sur les sites à risque suppose qu’une relation régulière et privilégiée s’installe entre les CHSCT et les DRIRE.

Il est bon de rappeler que les CHSCT ont été créés en 1982 à l’initiative des lois Auroux. Il s’agissait, à l’époque d’associer plus directement les salariés à la vie de leur entreprise. Ne parlait-on pas d’accroître l’exercice de la démocratie et de la citoyenneté au sein de l’entreprise, d’associer plus directement les salariés aux questions de leur condition de travail, lesquelles questions concernent évidemment la sécurité.

Or, dans les faits, les CHSCT, quand ils existent (seuls trois quart des entreprises pouvant bénéficier de telles structures en sont réellement dotés) sont marginalisés et leurs délégués subissent aussi souvent des pressions de la part des directions d’entreprise. Leurs études et recommandations sont souvent négligées ; leur droit de faire procéder à une expertise face à toute situation qu’il juge dangereuse est souvent contesté.

 Signalons à ce propos qu’à la demande du CHSCT de la de Granpuits dont le propriétaire n’est autre que TotalFinaElf, une expertise sur la sécurité de cette raffinerie a pu être menée. Le rapport rédigé en mars 2000, dénonce, je cite, « une réelle situation dangereuse sur la raffinerie en cas d’incident majeur ».

La soustraitance à moindre coût du système de surveillance, le mauvais état du réseau de circulation de l’eau dans les canalisations anti-incendies, la vétusté et le manque d’entretien de certains appareils, sont autant de facteurs créant je cite « une réelle situation de danger ». Cette situation est, selon l’expertise, le résultat de la mise en application au début des années quatre-vingt-dix du « plan de performance et développement » de TotalFinaElf visant à accroître fortement sa marge brute d’autofinancement.

Sur le site de Grandpuits ce plan s’est traduit par la réduction de 70 postes sur un effectif de 358 personnes. Au rang des suppressions d’emplois, l’ensemble des postes de pompiers, jugés insuffisamment rentables. Notons, que sur le site toulousain leur effectif était passé de 25 à 3. A travers son plan de performance et de développement, la sécurité et la prévention constituent des coûts qu’il faut réduire.

 Dans de nombreux cas, les CHSCT ont une connaissance précise des risques et ils doivent être reconnus dans le rôle préventif qu’ils jouent. Il est nécessaire, Monsieur le ministre, que leur rôle en matière de procédure d’alerte soit renforcé.

Comme il est nécessaire face au développement de la sous-traitance que le seuil minimal de 50 salariés soit abaissé afin que de petites sociétés face au morcellement actuel des sites de production, puissent être dotées de CHSCT. Dans l’absolu, les inspecteurs du travail devraient exiger la création des CHSCT dans les entreprises dont l’effectif est supérieur à 50 personnes. Comme ils devraient pouvoir exiger la présence d’un CHSCT sur tous les sites présentant un risque industriel majeur. Cela participerait d’une politique globale de prévention des risques d’accidents.

 La politique engagée par TotalFinaElf qui vise avant tout la réduction des coûts et qui se traduit par des réductions d’emploi, le développement de la sous-traitance et des formes précaires d’emplois remet directement en cause la sécurité sur ses sites de production, et contribue à terme à accroître la probabilité d’occurrence des accidents graves en raison de dangerosité des produits manipulés dans le secteur de la pétro-chimie.

Citons, à titre d’exemple quelques chiffres significatifs.

A la fin des années 70, le site toulousin employait près de 3000 salariés, ils ne sont plus aujourd’hui que 480 travaillant par équipes de 150 personnes 24 heures sur 24 heures. En 1999, un tiers des heures travaillées a été sous-traitée. Selon la CGT, la direction du groupe aurait envisagé, en juin dernier de réduire, pour 2002, de un million d’euros ses dépenses d’entretien et d’investissement sur le site ; décision qui aurait été jugée inacceptable par la direction locale.

Cette situation n’est pas propre au groupe TotalFinaElf. Elle est à l’image de l’évolution de tout le secteur de la chimie, secteur qui a connu sur les vingt dernière années des pertes d’emplois considérables au gré de la multiplication des plans sociaux. Depuis le début des années quatre-vingt-dix, la saignée opérée se poursuit. Ce sont ainsi 1,5% des emplois qui disparaissent chaque année. A cela s’ajoutent toutes les pratiques d’un capitalisme sous la coupe des marchés financiers qui exigent sur le très court terme, pour ne pas dire au jour le jour puisque pratiquement indexé sur l’évaluation quotidienne de la valeur boursière, des taux de rendement du capital physique exorbitants.

Car à n’en pas douter, Monsieur le Ministre, exiger du point de vue de la production un taux de retour sur investissement supérieur ou égal à 17% constitue un cas d’aberration que d’aucuns devraient méditer. Asseoir le rendement réel du capital sur un rendement financier instable car fruit de sociétés d’investissement spécialisées (les fonds de pensions) le plus souvent déconnectées des conditions réelles de production consiste à renouer avec les pratiques d’un capitalisme sans règles.

Dans les faits, cela ne peut se traduire que par une accentuation des pressions sur les coûts et l’emploi avec comme réponse une externalisation des coûts qui prend les formes que l’on connaît : recours à la sous-traitance, développement des formes précaires d’emploi, accroissement de la flexibilité de l’outil de production, réduction des dépenses consacrées à la formation du personnel et plus globalement réduction de l’ensemble des coûts fixes.

Autant de pratiques qui déstabilisent et fragilisent les collectifs de travail, accroissent l’intensité du travail, déstructure la cohérence et les synergies qui pouvaient exister au niveau des ateliers sur un même site de production.

Autant de pratiques qui mettent en danger l’ensemble des sites. A cela s’ajoute la faiblesse des investissements consacrés à la politique interne de prévention et de sécurisation des installations et équipements.

 Monsieur le Ministre, l’on ne peut nier que la politique de réduction drastique des coûts peu soucieuse des hommes et de l’environnement, à laquelle se livrent depuis plus d’une vingtaine d’années les firmes industrielles contribue à accroître la probabilité d’occurrence des accidents. Comme l’on ne peut nier que le développement, à l’orée des années quatre-vingt-dix d’un capitalisme actionnarial fasse passer au second rang tout ce qui a trait aux questions de sécurité.

 La domination des marchés financiers, l’augmentation du pouvoir des investisseurs privés conduit à une détérioration sensible de la sécurité sur les sites de production présentant des risques industriels et technologiques majeurs. Elle met en danger les salariés et plus globalement l’ensemble des populations, avec les conséquences néfastes que l’on sait tant sur le plan humain que sur celui de l’environnement.

 Comment ne pas être d’accord avec ceux qui, ici ou là, réclament que l’on fixe des limites à la toute puissance des marchés financiers plutôt que des limites à la démocratie ? Les salariés, qui sont les premiers concernés par les questions de sécurité doivent pouvoir intervenir de manière plus directe lorsqu’ils suspectent un risque d’accident. J’insiste sur le fait qu’il faut renforcer le rôle des CHSCT.

 Permettez-moi enfin, Monsieur le Ministre, de soulever un point que je n’ai pas encore aborder mais qui participe pleinement du débat de cet après midi. Il concerne la question de l’intermodalité des transports.

Il devient urgent de développer le fret ferroviaire et de renforcer le fluvial. Ce serait là l’un des plus sûr moyens pour éviter que des « Seveso roulants » ne traversent des zones urbanisées.

Monsieur le Ministre, mes chers collègues, il n’existe pas de solution unique pour que la sécurité soit renforcée sur les sites à risque. Nous en avons au contraire repéré plusieurs :

  • l’amélioration des conditions de travail qui participe fondamentalement au renforcement de la sécurité
  •  l’augmentation sensible des effectifs de la DRIRE. Nous savons que le gouvernement a décidé de faire des efforts en ce domaine ; mais il faut aussi veiller à renforcer les attributions des DRIRE pour qu’elles disposent d’un véritable contre-pouvoir ;
  •  -le renforcement du rôle des CHSCT ; c’est une nécessité
  •  une réflexion réelle sur le développement de l’intermodalité des transports assortie d’études prospectives sur les conséquences en termes d’accroissement de trafics routiers de marchandises dangereuses ;
  •  interdiction du stockage en grosses quantités de matières dangereuses et de produits à risque.

Monsieur le Ministre, mes chers collègues la catastrophe de Toulouse a été au centre de nos préoccupations. Guy Fisher et Claude Billard se sont rendus quelques jours après le drame sur le lieu du sinistre. Et, nous avons rédigé une proposition de résolution (n° 38) demandant la création d’une commission d’enquête sur les circonstances qui ont présidé à la catastrophe survenue à Toulouse. Nous avons tenté de réfléchir objectivement à l’origine de ses causes et suggérer certaines propositions.

Monsieur le Ministre, que comptez-vous faire pour que de telles catastrophes qui mettent en danger la vie de nos concitoyens ne puissent plus jamais se reproduire ? Quelles mesures préconisez-vous pour que tels drames humains puissent à l’avenir être éviter ?

 

Yves Coquelles

Ancien sénateur du Pas-de-Calais

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