Politique énergétique de la France

Publié le 29 mars 2001 à 00:00 Mise à jour le 1er avril 2015

par Pierre Lefebvre

Monsieur le président, monsieur le secrétaire
d’Etat, mes chers collègues, parce que, d’un point de vue global, il concerne un sujet des plus délicats, l’indépendance énergétique de notre pays, le débat auquel nous prenons part aujourd’hui revêt un caractère d’extrême importance.

La question posée par notre collègue M. Jacques Valade circonscrit son champ d’étude à l’énergie électrique, alors que sa contribution aux réponses du Livre vert de la Communauté européenne nous avait particulièrement intéressés. Pour autant, elle nous offre la possibilité d’un débat de plus en plus nécessaire.

En ce domaine, la situation de la France paraît des plus enviables. Premier producteur d’Europe pour l’énergie nucléaire et pour les énergies renouvelables la France dispose d’une autonomie confortable. Produite pour 75 % à partir du nucléaire, pour 18 % à partir d’énergies renouvelables et pour seulement 8 % à partir des combustibles fossiles, ce mode de production de l’électricité a l’avantage de ne contribuer que très faiblement à l’émission de gaz à effet de serre. Par ailleurs, les nouvelles technologies et les recherches en cours devraient permettre de trouver à terme des solutions optimales quant au retraitement des déchets radioactifs.

Il n’en demeure pas moins que la décision récente de certains Etats membres de la Communauté d’abandonner le nucléaire suscite quelques interrogations quant à la réelle capacité et à la volonté française de maintenir, de développer cette filière. La France dispose, en ce domaine, d’un réel savoir-faire et de compétences certaines qui méritent d’être préservés, d’autant que la consommation d’électricité ne cesse de croître et que l’énergie nucléaire constitue une réponse appropriée pour faire en partie face à cette augmentation. Pour répondre aux besoins nouveaux, aux besoins de proximité par exemple que les tempêtes de décembre 1999 ont mis en évidence, pour assurer les missions de service public, au premier rang desquelles se situe l’indépendance énergétique française en matière d’électricité, nous devons, dès aujourd’hui, programmer les investissements en infrastructures, parmi lesquels figurent ceux qui permettront de renouveler notre parc nucléaire. Je pense plus particulièrement au projet EPR, qui présente des avancées incontestables en matière de sûreté nucléaire.

Nous maintenons notre souhait de voir le Gouvernement s’engager dans cette voie, qu’il soit animé par la ferme volonté de diversifier les sources énergétiques en accordant leur place aux énergies « vertes », comme l’hydraulique, la biomasse, l’éolien, mais aussi le gaz, tout en maintenant le nucléaire.

Mais permettez-moi, monsieur le secrétaire d’Etat, d’émettre quelques doutes voire d’éprouver quelques craintes quant à la compatibilité entre les objectifs que vous vous êtes fixés et la libéralisation des secteurs de l’électricité et du gaz engagée depuis les directives de 1997 et 1998. Les propositions récentes du commissaire européen à l’énergie d’accélérer ce processus ne font que renforcer ces doutes et ces craintes, tandis que l’analyse que vous me permettrez de vous exposer les confirme et les justifie.

Je commencerai par une brève incursion historique en rappelant un certain nombre de faits que l’idéologie libérale a trop tendance à nous faire oublier.

Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, la France était fortement dépendante en matière énergétique. Comment ne pas souligner que les progrès réalisés en ce domaine, nous les devons à l’héritage des forces politiques de l’époque, issues du Comité national de la Résistance, conscientes de la faillite des économies de marché des années vingt et trente, qui ont constaté l’impossible régulation par le marché ? Maîtriser l’avenir, élaborer des projets à long terme passait pour ces hommes et ces femmes par la substitution de l’économie planifiée à l’économie de marché.

Au sein du plan français, cette organisation unique, capable de garantir aux industriels un horizon d’anticipation à long terme dégagé des contraintes de rentabilité à court terme, ce « réducteur d’incertitudes », selon la judicieuse expression de Pierre Massé, le secteur de l’énergie occupa une place particulière. La notion de service public y joua un rôle primordial, que ce soit en matière d’aménagement du territoire, d’électrification des zones rurales et d’obligation de desserte, de péréquation tarifaire, d’indépendance énergétique ou encore d’emploi.

Les énormes besoins de financement liés au développement des infrastructures en matière hydroélectrique puis nucléaire furent satisfaits grâce à l’appui du système bancaire et du Trésor public.

EDF, monopole public, devint le fer de lance d’une politique visant à assurer à la France son indépendance énergétique. Les résultats furent performants et à la hauteur des ambitions, que ce soit du point de vue de la sécurité à long terme et de l’efficacité technique, des critères écologiques ou tarifaires.

Au regard de ce bref rappel historique des principales conditions qui ont permis le développement de notre industrie énergétique, le contexte actuel de déréglementation à tout crin ne semble guère compatible avec les besoins nouveaux qui se font jour.

La précipitation actuelle de Bruxelles visant l’accélération de la réalisation d’un marché intérieur de l’énergie par extension du domaine d’égibilité des secteurs de l’électricité et du gaz à tout consommateur - ménages compris - nous semble particulièrement dangereuse.

La nouvelle directive intégrerait dans le droit européen des exigences de service public. Pour autant, la notion européenne de « service universel » n’est toujours pas clairement définie et semble, en conséquence, relever plus du domaine de la rhétorique que de celui de la contrainte, qui garantirait l’exercice des missions de service public parmi lesquelles figurent le droit à l’énergie pour tous et l’indépendance énergétique.

La précédente directive sur l’électricité laissait l’opportunité de mettre en oeuvre une véritable politique industrielle visant le long terme en considérant que, « pour certains Etats membres, l’imposition d’obligations de service public pouvait être nécessaire pour assurer la sécurité d’approvisionnement, la protection du consommateur et la protection de l’environnement que, selon eux, la libre concurrence, à elle seule, ne pouvait pas nécessairement garantir », et que « la planification à long terme pouvait être un des moyens de remplir lesdites obligations de service public ».

Le changement d’orientation opéré par la Commission pourrait se traduire dans les faits par la soumission du secteur énergétique à une régulation de type boursier, qui serait génératrice de multiples incertitudes : incertitude sur les prix, soumis à la volatilité des marchés à court terme, les marchés « spot » du kilowattheure, incertitude sur les débouchés, les clients ayant la possibilité de changer de fournisseurs ou d’exiger des rabais par leur mise en concurrence, incertitude, enfin, sur la sécurité d’approvisionnement du fait de la réduction de la durée des contrats d’approvisionnement, comme on le constate aujourd’hui dans la plupart des pays ayant libéralisé le secteur énergétique.

Depuis l’ouverture partielle à la concurrence et pour faire face à la perte éventuelle de clients, EDF a dû consentir des baisses de prix importantes en faveur de ses clients éligibles. Sur l’année 2000, les rabais accordés aux industriels varient, selon les cas, de 5 % à 30 %, avec une moyenne de l’ordre de 15 %. Cette baisse, résultat de la pression sur les prix que peuvent désormais exercer les clients éligibles, à laquelle s’ajoute la perte d’environ 17 % de ses clients industriels, a provoqué une diminution des recettes et une fragilisation de la situation financière de l’entreprise. L’éligibilité universelle souhaitée par Bruxelles et inscrite dans le contrat de groupe risque de contraindre EDF à consentir de nouvelles diminutions de prix.

Cette déflation est, en premier lieu, salariale. La diminution des coûts salariaux passe d’abord par la réduction de la masse salariale par le biais des suppressions d’emplois et par l’augmentation de la productivité et de l’intensité du travail.

Elle porte, en second lieu, sur la recherche d’une diminution des coûts des matières premières, par pression sur les prix des fournisseurs.

A titre d’exemple, dans le secteur énergétique, tandis qu’Electrabel annonce la suppression de 10 % de son effectif pour faire face à l’accélération de l’ouverture du marché, EDF s’engage à réduire de 30 % ses frais hors main-d’oeuvre par le biais d’une diminution de ses frais d’achats et en imposant à ses salariés des efforts de productivité.

Au niveau européen, le secteur énergétique aura perdu, selon la Confédération européenne syndicale, 300 000 emplois sur la dernière décennie. Et les prévisions actuelles tablent sur une baisse de 25 % de l’emploi à l’horizon 2010.

Tandis que la Commission européenne se félicite de la baisse des prix liée à la réalisation du marché intérieur parce qu’elle bénéficierait en dernière instance au consommateur, nous continuons de nous interroger sur les vertus de ce que l’on a qualifié à partir des années soixante-dix de « retour du marché » qui s’apparente plutôt au retour de formes de concurrence non maîtrisées. Pourquoi substituer au
« monopole naturel » qui a fait preuve par le passé de son efficacité une forme primaire de concurrence qui est loin, elle, d’avoir fait ses preuves ?

Le risque est grand qu’EDF ne puisse pas faire face aux lourds investissements qu’il devient urgent de programmer. Ce sont les financements qui risquent de lui faire défaut dans un contexte d’orthodoxie monétaire et financière, de course à la taille critique et de diminution des recettes, qui grèvent d’autant les ressources financières.

Est-il raisonnable de penser, comme le fait l’actuel président d’EDF, qu’un taux de retour sur investissement de 10 % puisse être atteint ? Ce taux satisferait-il les marchés financiers, pourvoyeurs de fonds rémunérateurs ?

Il satisfera sans doute ceux des capitaux qui rêvent depuis longtemps de pénétrer dans le monopole public.

Alors que la question qui nous est posée est celle de l’indépendance énergétique de notre pays, la réponse apportée par l’intermédiaire de la concurrence à tout crin semble nous éloigner encore plus de la solution recherchée.

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