Négociations à venir au sein de l’OMC

Publié le 14 octobre 2003 à 00:00 Mise à jour le 8 avril 2015

par Odette Terrade

Monsieur le Président,
Messieurs les Ministres,
Mes chers Collègues,

Nous nous félicitons que le débat sur des questions aussi importantes que celles portant sur les négociations internationales se déroulant dans le cadre de l’OMC puisse enfin ( !) avoir lieu au sein de notre assemblée.
Je tiens à souligner, que nous avions cette année, déposé deux questions orales avec débat afin de faire le point, dans la transparence, des enjeux du sommet de Cancun. Organiser un tel débat parlementaire avant que ces négociations ne s’engagent nous paraissait essentiel pour notre démocratie.

La première question, adressée, en mai dernier, au premier ministre portait plus particulièrement sur l’AGCS. Nous considérions impératif de débattre avant que des engagements soient pris sur la libéralisation et la privatisation des services publics.
Comment justifier qu’à l’époque nous ne pouvions disposer de la fameuse liste des services prêts à être libéralisés et donc connaître ceux des services publics qui pourraient « éventuellement » échapper au champ de la dérégulation et donc en dernière instance à la privatisation.
N’est-il pas légitime et indispensable que des parlementaires puissent être informés et débattre sur le choix du modèle de société qu’une institution internationale régulant le commerce impose à notre pays ?
Un tel débat est d’autant plus nécessaire que les négociations se déroulent sous l’égide de la Commission européenne, sans véritable concertation avec les parlements nationaux et le parlement européen.
Nous déplorons qu’un tel débat n’ait pas été inscrit à l’ordre du jour !

La seconde question, du groupe CRC déposée début septembre, vous était adressée Monsieur le Ministre du Commerce extérieur, elle portait sur l’ouverture des négociations du sommet de Cancun et sur le contenu du mandat du Commissaire européen chargé de négocier au nom de la France et des autres pays membres de l’Union Européenne. La renégociation en toute transparence du mandat du commissaire européen était-elle un sujet tabou que l’on n’ait pu nulle part l’aborder ?

Quelle analyse devait-on tirer sur la suite des négociations de l’accord bilatéral sur l’agriculture signé au cœur de cet été par les deux grands, prenant part, aux négociations, à savoir les Etats-Unis et l’Union européenne ???
Rien de bon, Monsieur le Ministre, à n’en pas douter !!!

Ainsi, il est bien regrettable qu’il ait fallu attendre « l’échec » de ce sommet de Cancun pour que des parlementaires puissent enfin s’exprimer sur la nature de ces négociations internationales menées en catimini, en tenant systématiquement les peuples à l’écart, dans l’ignorance de la préparation des accords, des décisions prises lors de ces sommets et de leurs conséquences sur la vie de nos concitoyens des pays du Nord comme du Sud.

J’attire cependant l’attention sur les mouvements de la société civile qui à certaines occasions ont su organiser la pression contre des sommets, Seattle par exemple ou des accords, tel que celui de l’Accord Multilatéral sur l’Investissement pour lui faire barrage en 1998.
Cet accord négocié dans le plus grand secret, à au final été repoussé il visait la privatisation de toutes les activités humaines.

Ce dernier cas est exemplaire de dénonciation des conditions non démocratiques et non transparentes dans lesquelles se déroulent les pourparlers et tractations qui ne laissent rien transpirer des décisions portant sur l’avenir de nos propres conditions de vie.
Car c’est bien au cours de telles négociations que depuis 1995, l’OMC impose aux peuples des choix de sociétés libérales, risquant, contre leur volonté, d’engager irréversiblement leur avenir dans une voie contraire à leurs intérêts.
La mobilisation des alter-mondialistes en progression constante contre cette mondialisation libérale qui accroît les inégalités sociales, les inégalités territoriales, creusent les écarts de développement et multiplient le nombre des laissés pour compte, acculés à la misère dans les pays pauvres et à l’insécurité sociale dans les pays riches, ouvre des voies nouvelles pour une politique de régulation du commerce mondiale éthique !

En France, mais la France n’est pas un cas isolé, 120 communes ont déjà rejeté l’Accord Général sur le Commerce des Services et se sont mises « hors zone AGCS » !!
L’appel des élus pour la suspension des négociations de l’AGCS, lancé le 3 décembre 2002, a recueilli prés de 600 signatures à titre individuel. Des Conseils Généraux, des Communes ont voté des motions déclarant leurs collectivités « zone non-AGCS » !

**********
Lors de la Conférence de Cancun, la formidable coalition de plus de 90 pays, « pays en voie de développement », « pays les moins avancés », « pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique », « pays membres de l’Union Africaine » ne semblent guère non plus s’y être trompés en claquant la porte des négociations.
Et je voudrais citer ici, les parlementaires africains qui ont déclarés au sortir du sommet de Cancun :
« Nous parlementaires africains,
Nous dénonçons les négociations en cours à l’OMC qui ont été caractérisées par des manipulations flagrantes de la part des pays développés et par un total mépris pour les intérêts et les opinions des pays d’Afrique. Nous dénonçons le manque total de transparence appliqué lors des négociations au travers des réunions informelles réservés à certains pays , organisées de telles sorte que nos ministres soient contraints d’accepter des solutions qui protègent les intérêts des pays développés tandis qu’elles ignorent totalement les préoccupations importantes relatives au développement de nos pays. »

C’est bien ce processus opaque, non démocratique mené sous l’égide d’une organisation mondiale du commerce instrumentalisée au service des pays riches dominés par les Etats-Unis et les pays de l’Union Européenne qu’ils ont dénoncé.
Et comme le déplorait, non sans un certain cynisme, le 23 septembre dernier, le Président de la Banque Mondiale, « ce qui s’est passé à Cancun doit être un signal d’alarme, car les pays en développement, (plus de 3 milliards d’être humains) ont trouvé inacceptable une conception des négociations dans laquelle on attend d’eux seulement qu’ils répondent à des propositions des pays riches ».

La coalition des pays du Sud nous donne une leçon de démocratie internationale, que nous ferions bien d’écouter.

Dès lors, et aussi parce qu’il y a eu celui de Seattle, l’échec de cette cinquième conférence ministérielle de l’OMC doit être analysé dans toutes ses dimensions afin d’en saisir et les significations et la portée, pour en tirer les leçons pour l’avenir.

Le monde va mal, Messieurs les Ministres en cela, que son économie ne génère que des inégalités entre les peuples.
Les écarts entre pays riches et pays pauvres augmentent, tandis que certaines zones, je pense plus particulièrement à certains pays africains, semblent écartés à tout jamais du bénéfice de la croissance.
3 milliards d’individus n’ont que 2 dollars pour vivre par jour tandis que dans les pays riches l’exclusion progresse fortement !
Les tensions internationales ne cessent chaque jour de s’exacerber tandis que loin des exigences du développement socio-économique et de l’émancipation de tous les peuples, les Etats-Unis avec la ferme volonté de s’imposer, comme l’économie, internationalement dominante et comme le gendarme du monde mènent à des fins égoïstes de contrôle des richesses énergétiques de notre planète, une guerre injuste.

Comment, ne pas s’interroger à ce moment précis de l’échec du sommet de Cancun sur le coût que représente la guerre contre l’Irak et les choix qui sont effectués au détriment des besoins essentiels des populations ?
D’un côté, des milliards de dollars auront été engloutis pour une issue finale bien incertaine alors que les tensions dans cette région ne faisaient que s’attiser.
De l’autre, des millions d’individus dans les pays pauvres continuent chaque jour de mourir par malnutrition, par manque de soins, parce que leur pays n’a pas les moyens financiers de développer les infrastructures de santé nécessaires, ou parce que le développement de leur industrie pharmaceutique se heurte aux firmes transnationales des pays développés qui imposent leur propres règles, ou encore parce que l’accès aux médicaments essentiels leur est refusé.

Alors que la contribution des pays développés à l’aide au développement n’a cessé de se réduire ces dernières années, nous ne pouvons que constater que la répartition des richesses créées à l’échelle de notre planète est particulièrement inégalitaire : 20% de la population s’accapare 80% des richesses, tandis que des milliards d’êtres humains vivent en dessous du seuil de pauvreté.

Ainsi donc, il faut le souligner, les principales raisons de l’échec du sommet de Cancun sont liées au refus des pays riches de tenir les promesses faites à l’égard des pays en voie de développement et des pays les moins avancés lors des dernières négociations.

Cet échec est donc en premier lieu l’échec d’une organisation économique mondiale dominatrice qui fait fi, de l’essentiel des préoccupation des pays en voie de développement et des pays les plus pauvres de notre planète.

C’est l’échec de cette organisation à promouvoir une régulation permettant un commerce équitable, en lieu et place d’échanges inégaux, renforçant la dépendance du Sud vis-à-vis du Nord et contribuant à accroître les disparités de niveau de développement, à creuser les écarts entre les pays pauvres !

Les arguments traditionnellement invoqués par les chantres du libéralisme à tout crin et de la doctrine du libre échange ne résistent pas à l’examen des faits. Si des gains sont générés par l’ouverture des échanges, force est de constater qu’ils ne sont pas captés de manière égale par tous les pays participant au processus de libéralisation. L’échange semble donc bien d’une manière ou d’une autre, être demeuré inégal !

Or, non seulement la plupart des promesses notamment celles sur les questions agricoles, faites aux pays du Sud, lors du lancement du programme de Doha pour le développement au cours de la quatrième conférence de l’OMC en 2001 n’ont pas été tenues ;
mais qui plus est, l’Union européenne a tenté de force d’imposer quatre nouvelles matières à négocier !!! Parmi ces nouveaux sujets, dits de « Singapour », figurait entre autres le retour de l’AMI !!!

Dans le domaine du coton par exemple, les demandes des quatre pays d’Afrique de l’Ouest concernant le respect des règles de l’OMC par tous les adhérents, y compris les Etats-Unis ont été bafouées, dans le plus grand mépris !
En substance, les millions de paysans de ces pays devraient renoncer à cultiver le coton au profit des 25 000 paysans américains subventionnés par les Etats-Unis. Ce qui à terme, si l’on pousse, jusqu’au bout, le raisonnement devrait permettre aux Etats-Unis de ne plus subventionner la culture du coton, une fois que les producteurs de coton africains auront disparu.
Nous n’oublions pas qu’à la fin du XIXème siècle, l’Angleterre, par divers moyens, du même style, réussit à faire disparaître l’industrie indienne du coton et donc aussi à l’époque l’une des voies possibles de son développement et de son indépendance économiques.
Les économies dominantes savent quand il le faut, exiger et faire appliquer partout le libéralisme sauf évidemment sur leur propre territoire !
Dans le domaine agricole, la « clause de la paix » permet aux pays riches, Etats-Unis et Union Européenne de continuer à ne pas respecter les règles de l’OMC sans qu’aucune plainte ne puisse être déposée contre eux !
C’est cette clause qui condamne la paysannerie des pays pauvres.
Or, le rôle de l’OMC n’est-il pas précisément d’éviter cet écueil ? Ne devrait-il pas, être, de promouvoir une régulation des prix mondiaux permettant à chaque pays de développer selon ses propres besoins, dans le cadre d’une autosuffisance alimentaire, une agriculture de qualité !
Ne devrait-il pas, en matière agricole, favoriser la diversification des productions plutôt que la spécialisation dont on sait qu’elle fragilise fortement, en cas de crise, l’économie du pays.
Un système commercial plus équitable et au service du développement des pays les plus pauvres ; ne passe-t-il pas par une réforme du fonctionnement et des attributions mêmes de cette institution qu’est l’OMC ?

Aujourd’hui, la mise en concurrence à l’échelle internationale des productions provoque des pressions à la baisse des prix telles qu’elles ne permettent plus à notre agriculture de subsister sans aides et subventions.
Autrement dit, les prix ne sont plus suffisamment rémunérateurs pour que nos agriculteurs vivent décemment de leur activité. Si les pays riches peuvent se permettre de subventionner leur agriculture pour la préserver, il n’en demeure pas moins que ces subventions ne permettent pas de corriger les inégalités de revenus qui n’ont de cesse de s’accroître au sein de la profession.
Ainsi, en 2002, une enquête de l’Institut National de la Recherche Agronomique montrait que l’un des facteurs explicatifs de la pauvreté agricole résultait de la faible capacité des petits exploitants à bénéficier des aides publiques et subventions européennes. Autant dire que ces subventions favorisent la concentration des exploitations et le développement de l’agriculture productiviste, responsable des graves crises sanitaires que notre pays a connu.

On ne peut donc que souligner combien la déréglementation de certains marchés nationaux, l’accroissement de la concurrence internationale et plus globalement la libéralisation du marché agricole mondial conduit à la concentration des exploitations agricoles, caractéristique du modèle productiviste dont on a pourtant, à maintes reprises, eu l’occasion de dénoncer les méfaits.

Dans un tel contexte, les petites exploitations, pourtant essentielles en termes d’aménagement du territoire ont du mal à persister et à dégager un revenu convenable.

La réforme de la PAC accusera plus encore cette tendance.

Outre que cette mondialisation condamne à la disparition de l’agriculture de subsistance des pays pauvres, elle condamne aussi un certain type d’agriculture, plus soucieuse de la qualité de nos produits alimentaires et dont les petites exploitations sont pourtant indispensables à l’aménagement de notre territoire, à la survie de nos villages et nos campagnes.

Pour conclure, ce n’est guère trop s’avancer que de dire que le sommet de Cancun peut-être vu comme l’émergence d’une résistance organisée des pays pauvres à ces accords commerciaux qui leur imposent la domination économique des pays les plus riches.
Pour autant ce blocage est beaucoup plus préjudiciable aux pays pauvres, la situation existante perdure aux profit des plus puissants.
L’on peut se demander, si au fond les Etats-Unis n’ont pas intérêt à voir péricliter l’ensemble des institutions internationales mises en place après la seconde guerre mondiale et qui jusqu’au début des années 70 avaient permis dans une certaine mesure, d’assurer une stabilité dans les relations internationales.
L’on sait combien leur rôle fut par la suite détourné de ses fins premières. Pour exemple, il suffit de citer le Font Monétaire International et ses plans d’ajustement structurels qui ont compromis le développement de nombreux pays.

Au-delà, le résultat de Cancun exprime le refus d’une étape supplémentaire de subordination de l’ensemble des droits humains fondamentaux au droit du commerce dans le cadre de la généralisation à l’échelle mondiale des rapports marchands.
Il exprime le refus de voir se renforcer le pouvoir des firmes transnationales susceptibles d’accroître la marchandisation de toutes les activités humaines, que ce soit l’agriculture ou les services. Les nouvelles matières introduites par l’Union Européenne imposent en effet une nouvelle étape dans la marchandisation et la privatisation de toutes les activités humaines.
Avec l’AGCS, c’est l’accès, pour l’ensemble des populations, aux droits sociaux fondamentaux que sont la santé, l’éducation, l’énergie, l’eau pour ne citer que les plus importants d’entre eux qui sera compromis.

Ce qui fait cruellement défaut au monde d’aujourd’hui, Monsieur le Ministre, c’est une institution internationale capable de promouvoir d’autres règles, fondées sur la coopération plutôt que sur la compétition et la concurrence entre les pays et les nations, dans le respect des droits fondamentaux des êtres humains.

A défaut d’une telle institution, capable d’imposer une conception différente de celles actuellement prônée par les institutions comme le FMI, la Banque Mondiale ou l’OMC, nous courons à la catastrophe.
Car eux seuls le commerce et le libéralisme ne peuvent certainement pas conduire à une régulation des échanges internationaux respectueuse des exigences du développement économique et social.
Il est temps que les droits des peuples soient enfin pris en compte !!!

Odette Terrade

Ancienne sénatrice du Val-de-Marne

Ses autres interventions :

Sur le même sujet :

Economie

À la une