Enseignement artistique, éducation artistique, tout est dans tout et le reste dans Télémaque... L’enseignement artistique est essentiel à la vie culturelle et sociale, c’est une des clés de voûte de la nécessaire relance de la démocratisation culturelle. Si la première mission du réseau des conservatoires et des écoles de musique, de théâtre et de danse est de former les amateurs, il ne faut pas oublier leur rôle d’éducation culturelle et artistique. D’où la nécessité de passerelles entre ces écoles spécialisées et les établissements scolaires pour remédier à l’insuffisante démocratisation des enseignements artistiques. Le non-partage de l’art est comme une bombe anti-personnel, la cause de mutilations terribles. L’art est le champ de tous les possibles : chaque enfant doit disposer d’une piste d’envol pour développer ses potentialités.
L’enseignement artistique reste le parent pauvre des politiques publiques. L’article de la loi de 2004 relatif à l’enseignement artistique spécialisé est le seul qui n’ait pas été appliqué. La concertation avec les collectivités locales n’ayant pas abouti, la réforme est en panne, comme l’a relevé Mme Morin-Desailly. Comment s’en étonner dès lors qu’on demande aux collectivités d’assumer une charge que l’État n’a pas financée ? Les crédits d’État dédiés aux enseignements artistiques n’ont cessé de régresser ces dernières années ; aujourd’hui, les communes assurent 80 % du fonctionnement et sont bien seules pour financer les investissements dans les écoles de musique, de théâtre et de danse. Les grandes villes ont tendance à réduire les charges de centralité qu’elles supportent pour les cycles préprofessionnels afin de continuer à financer l’enseignement initial et les actions d’éducation artistique. Le transfert du financement des écoles supérieures d’art plastique vers les communes est d’autant plus désagréable que l’enseignement supérieur relève de l’État.
Il est logique de donner à la région un rôle majeur dans l’organisation du schéma régional des formations artistiques mais je comprends l’Association des régions de France qui rechigne à un transfert dépourvu des financements appropriés -qui plus est dans un contexte marqué par la suppression de la taxe professionnelle, la perte de l’autonomie fiscale et le poids des transferts non compensés. L’État est de plus incapable d’évaluer le coût du cycle d’enseignement professionnel initial (Cepi) ; procéder à une évaluation concertée aurait été bienvenu. On ne peut reprocher aux élus régionaux de ne pas s’être aventurés dans une réforme dont ils ignoraient l’impact financier ; et il est normal qu’ils veuillent définir eux-mêmes la hauteur de leur engagement, même si j’ai la conviction que le financement de l’art et de la culture est un investissement d’avenir.
La situation actuelle pénalise les régions les plus volontaristes, comme le Nord-Pas-de-Calais, la seule à avoir expérimenté le protocole de décentralisation sur les enseignements artistiques. Directeurs et enseignants ont la fervente volonté d’apporter le meilleur pour tous et les agents de l’État ont fait un excellent travail malgré le manque de crédits.
Parallèlement au Cepi, il faut veiller à ce que les élèves qui ne souhaitent pas s’engager dans la voie de la professionnalisation puissent continuer à s’épanouir. Les amateurs sont essentiels à la vie musicale. Si solfège et technique sont importants, le plaisir de la pratique l’est tout autant et doit être valorisé dès l’enfance. Il est à cet égard fondamental de promouvoir les pratiques collectives très gratifiantes mais trop souvent délaissées. Le plaisir de jouer ensemble, l’écoute de l’autre et le partage sont de puissantes motivations ; pouvoir se produire face à un public est le meilleur des encouragements. Il importe aussi de développer les disciplines insuffisamment représentées, musiques actuelles, musiques improvisées ou non européennes. Il est crucial d’élever le niveau de qualification des enseignants et d’ouvrir davantage les conservatoires et écoles sur la vie de la cité, les associations, la diffusion du spectacle vivant, les établissements scolaires ; de favoriser aussi les rencontres entre amateurs et professionnels.
Le rôle des « dumistes » est encore méconnu. Recrutés par les communes ou leur groupement, possédant un diplôme universitaire de musicien intervenant, les « dumistes » -je préside le centre de formation de Lille III- permettent chaque année à plus de 2 millions d’enfants de s’ouvrir à la musique, à la pratique instrumentale ou au chant. « Les enfants, là est la clé du trésor ! » disait André Malraux. La mission des « dumistes » doit être davantage valorisée auprès des écoles maternelles et primaires -ce qui suppose un engagement plus résolu de l’éducation nationale. Il faut permettre aux enfants de vivre une expérience où la pratique artistique s’allie à une approche culturelle ; c’est pourquoi la formation artistique et culturelle devrait être dispensée dans le cadre scolaire par des maîtres spécialisés, comme c’est le cas dans de nombreux pays étrangers. Chez nous, l’éducation artistique et culturelle semble condamnée à n’être que la variable d’ajustement des politiques éducatives, alors qu’elle est au centre de la vie et de l’humain. L’enseignement de la danse et de l’art dramatique est souvent inexistant alors qu’il existe une forte demande. Les départements souhaitent des mesures de rattrapage de l’État.
Le processus de Bologne impose un alignement de l’enseignement artistique supérieur sur le cursus universitaire européen licence-mastère-doctorat. Cette convergence des diplômes facilitera la reconversion des artistes ; mais prenons garde à ce qu’elle ne conduise pas à une uniformisation. Les écoles supérieures d’art ont chacune une histoire singulière ; véritables laboratoires, elles ne doivent pas perdre leur âme dans ce processus. La pratique artistique est une recherche permanente : ces écoles et les universités peuvent s’enrichir mutuellement. Les écoles supérieures d’art plastique jouent un rôle majeur dans la diffusion de l’art contemporain et la sensibilisation, qui permettent à chacun de s’approprier la création contemporaine. L’apprentissage du sensible ne doit plus être considéré comme facultatif et secondaire, c’est au contraire l’une des plus belles aventures humaines. L’enjeu de la démocratisation culturelle ne peut être abandonné au seul marché ; le rôle du service public de la culture est déterminant pour former sans formater. Il faut également relancer l’éducation populaire, alors que tant de nos concitoyens s’adonnent à une pratique artistique en amateur.
Si ce débat est bienvenu, il est en décalage avec la réforme territoriale qu’on nous annonce.
Comment ne pas relayer l’inquiétude des élus et du monde de la culture face à la mise en cause des cofinancements et de la clause de compétence générale des collectivités ?
Comme les Droits de l’Homme, la culture doit demeurer une responsabilité partagée. C’est bien l’engagement des collectivités locales qui a transformé le paysage artistique et culturel du pays en rapprochant partout l’offre du citoyen.
Cela dit, la démocratisation culturelle suppose l’éducation. Il est donc urgent que les deux ministères agissent de concert ! C’est une question de justice sociale, d’égalité des citoyens et de droit à la culture pour tous. Repris par la Constitution de 1958, le Préambule de 1946 proclamait déjà : « La nation garantit l’égal accès de l’enfant et de l’adulte à l’instruction, à la formation et à la culture. » L’enjeu de la culture pour tous est celui de la démocratie.
Plus que jamais, face à la montée des intégrismes, nous devons combattre tous les analphabétismes. Il faut apprendre l’art comme on apprend à lire et à compter. L’enseignement artistique et culturel ne doit pas être optionnel si l’on souhaite n’écarter personne. C’est à l’épreuve du feu qu’on se brûle, c’est à l’épreuve de l’art que l’on suscite le désir.
Trop tôt disparu, l’auteur et metteur en scène Jean-Luc Lagarce avait rappelé qu’une civilisation qui renonce à l’art, que la fainéantise inavouée et le recul sur soi poussent à s’endormir sur elle-même en renonçant au patrimoine en devenir pour se contenter bêtement des valeurs qu’elle croit s’être forgées et dont elle se contenta hériter, cette société-là oublie par avance de se construire un avenir et ne dit plus rien aux autres ni à elle-même. Les enseignements artistiques constituent le passage de témoin de la mémoire pour mieux inventer demain.
Je souhaite donc un engagement financier plus résolu de l’État non « pour diriger l’art mais pour mieux le servir » comme l’a si bien formulé André Malraux. Il importe que l’enseignement artistique soit diffusé sur l’ensemble du territoire à une époque où la culture conditionne la civilisation. N’oublions pas que l’intelligence est la première ressource de notre planète !