Instauration d’un service garanti dans les transports publics de voyageurs

Publié le 15 décembre 2004 à 19:17 Mise à jour le 8 avril 2015

par Michel Billout

Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Chers collègues,

J’avoue malgré tout ce qui vient d’être dit continuer de m’interroger sur l’opportunité de poser aujourd’hui, au sein de cet hémicle la question de l’instauration d’un service garanti, alors que le recours à la loi a été provisoirement, et je l’espère, définitivement abandonné par le gouvernement, préférant le dialogue social avec les partenaires syndicaux dans les entreprises de transports...

Je pense, néanmoins que ce débat s’inscrit de façon cohérente dans l’action permanente de la droite et du Medef tendant à restreindre le droit de grève en tant que frein à la libre entreprise.

Le Président Jacques Chirac s’est prononcé en faveur d’une telle loi déjà dans sa campagne de 1995 et le premier ministre l’avait rappelé dans son discours de politique générale du 3 juillet 2002.

On notera au passage que cette question est récurrente puisque les premières propositions de loi visant à instaurer un service minimum dans les services publics datent de 1988 et que d’autres projets ont été régulièrement déposés. Depuis, il existe donc un véritable acharnement à revenir sur ce droit fondamental.

Car il ne faut pas se leurrer, quand certains parlementaires de la majorité présidentielle parlent de service garanti ou de service minimum, il s’agit bien de limiter le droit de grève afin que son exercice devienne particulièrement difficile, voir dans certaines conditions, impossible.

Cependant, il existe quelques incohérences dans cette soudaine volonté de légiférer sur l’exercice du droit des personnels dans l’entreprise. D’un côté, il faudrait libéraliser totalement l’économie, ouvrir au tout contractuel pour sa souplesse, comme par exemple sur le droit du temps de travail, mais de l’autre, l’Etat se devrait d’intervenir par voie législative pour que soit adoptées des mesures de régressions sociales, de réductions de libertés publiques, individuelles ou collectives ou d’intégrations supranationales.

On voit bien l’objectif politique derrière tout cela, il s’agit de revenir sur toutes les garanties offertes par la loi, pour laisser la voie au marché, à la libre concurrence, aux intérêts financiers.

Tout ceci s’inscrit dans la volonté de refondre notre société selon les directives de l’OMC et de l’AGCS qui ouvrent la voie aux déréglementations et à la libéralisation de toutes les activités humaines, peu importe leur utilité sociale. Ces options sont bien sûr très bien relayées par la commission européenne.

Soyons réalistes, remettre en cause le droit de grève, c’est revenir sur une liberté constitutionnelle et c’est aussi rendre encore plus fragile l’édifice du droit du travail qui s’est construit progressivement, parce qu’il s’agit tout simplement des conditions d’existence de millions d’hommes et de femmes. C’est un domaine particulièrement complexe et sensible.

Le rapport Mandelkern, commandé par le ministre des transports, est très contraignant dans ses recommandations. Il préconise dix jours de préavis , sept jours de négociations et trois jours de préavis techniques. Il oblige les agents à se déclarer grévistes ou non 48 heures avant le début du mouvement. Ces recommandations, selon l’ensemble des organisations syndicales de cheminots (CGT, CFDT, FO, CFTC, SUD rail, UNSA, CFE-CGC, FGAAC) ne sont pas acceptables au regard de l’exercice du droit de grève. Ce rapport a été rejeté à la fois par les syndicats mais aussi par les associations d’usagers.

Aujourd’hui, le principe d’une loi a été écarté au profit d’un système conventionnel d’alarme sociale et de prévention des conflits.

L’accord SNCF conclu le 28 octobre, grâce à la responsabilité et à l’intelligence des partenaires sociaux, met en oeuvre de nouveaux moyens pour instaurer un dialogue social plus efficace entre les organisations syndicales, les élus du personnel et l’entreprise.

Un accord semblable est susceptible d’intervenir rapidement dans les 170 entreprises de l’Union des Transports Publics à concernant les transports régionaux.

Cette démarche est la seule qui permette d’aboutir à l’instauration d’un meilleur dialogue social et d’assurer la continuité du service public des transports. Elle mérite qu’on lui accorde du temps, ainsi qu’une disposition d’esprit ouverte aux débats sérieux avec l’ensemble des partenaires sociaux. Pour être pleinement efficace, elle devrait s’adosser à un véritable projet de développement des transports publics dans notre pays et respecter la règle de l’accord majoritaire.

Cependant, ce dispositif ne satisfait pas les parlementaires les plus libéraux qui espéraient et espèrent toujours une remise en cause directe du droit de grève. Dans leur esprit, la phase de concertation avec les syndicats jusqu’à juin 2005, apparaît comme un sursis avant la présentation d’un projet de loi sur cette question. Ainsi, selon le secrétaire national de l’UMP, il faut désigner l’objectif plus clairement et aller plus vite. (le Figaro du 10 Décembre).

Quant au recours aux collectivités territoriales pour définir les priorités du service, il s’agit d’un véritable transfert de responsabilités qui ne peut aboutir qu’à de grandes inégalités de situation et de traitement des conflits. Ce n’est pas acceptable.

Concernant les grèves dans les services publics, il est nécessaire de prendre en compte les specificités des entreprises de transport qui remplissent des missions particulières.

Les salariés des services publics, lorsqu’ils manifestent pour améliorer leur conditions de travail, le font avec, à l’esprit, la défense du service public, de sa qualité, de son utilité, de son rôle dans notre société. Ces questions sont indissociables des conditions de travail de ceux qui s’efforcent de le garantir au quotidien.

Les personnels et les usagers des transports ne sont pas dupes, la politique de déréglementation des services publics ne peut permettre la mise en oeuvre d’une politique de transport ambitieuse.

Ainsi que constate-t-on ? Les déréglementations dans d’autres pays européens, fournissent la preuve des effets catastrophiques de la libéralisation du secteur des transports.

Le droit de grève a ainsi été limité en Grand Bretagne : les grèves dites à caractère politique y sont interdites tandis que les grèves dites de solidarité font l’objet de réglementations très strictes. Les usagers sont-ils pourtant mieux servis ? Certainement pas. Il ne faudrait pas faire peser sur les personnels la responsabilité des dysfonctionnements des services.

Pour illustrer mon propos, prenons un exemple en Ile de France. Il ne s’agit pas du RER B ou du RER D qui pourraient constituer également de bons exemples mais de la ligne Paris Provins, tronçon de la ligne Paris -Troyes- Bâle dont l’électrification urgente est réclamée par la totalité des élus concernés.

Une association d’usagers a tenu une comptabilité extrêmement précise des incidents survenus sur cette ligne entre le 20 février 2003 et le 9 setembre 2004, soit 19 mois d’observation. Seuls les retards de plus de 10 minutes ont été pris en compte pour un trajet d’une heure environ. Au total, moins d’un train sur deux a circulé normalement pendant cette période. 48 trains ont été purement et simplement supprimés. Or, les grèves sont responsables de moins de 5 % des incidents recensés. Sur cette ligne comme sur bien d’autres, le service minimum c’est un jour sur deux. La prise en otage , le parcours du combattant, c’est un jour sur deux.

Les français attendent des engagements pour, comme vous le préconisez, Monsieur le Ministre, gagner une véritable amélioration de leur vie quotidienne, pas seulement en temps de grèves, mais tous les jours.

Ce sont la déréglementation, la dégradation de la qualité des services, et les atteintes aux droits sociaux des salariés qui sont à la fois à l’origine des conflits et des manquements aux obligations de service public.

Selon Jean Sivadière, président de la Fédération Nationale des Associations d’Usagers de Transports (FNAUT), « si les syndicats sont crispés sur des situations acquises, cela s’explique parce que la collectivité n’offre pas d’ambition aux transports publics. Le gouvernement supprime les subventions pour le transport urbain, il supprime des lignes, ferme des gares (...) Dificile pour les syndicats de ne pas se crisper quand le dialogue social est à sens unique et que ce sens est celui de la régression ».

La seule voie possible pour garantir la paix sociale à la SNCF, la RATP et les autres entreprises de transport public, c’est donc de se donner les moyens de la mise en oeuvre d’un service de qualité, de faire les investissements nécessaires au niveau des infrastructures, du matériel roulant, d’assurer une présence humaine suffisante...

Ces questions là, apparement, soucient beaucoup moins le gouvernement et les parlementaires de la majorité. Nous avons eu l’occasion de nous en apercevoir notamment lors de l’examen du budget des transports terrestres.

Les grèves ne sont jamais conduites de gaïté de coeur. Elles sont lourdes de conséquences financièrement aussi pour les salariés.

Mais elles sont le plus souvent la conséquence de la dégradation permanente des services publics. C’est donc avant tout à ce problème qu’il faut s’atteler pour rechercher les solutions.

La remise en cause du droit de grève ne règlerait rien en termes de qualité de service , mais par contre il s’agirait d’une atteinte très directe et dangereuse aux principes même de la démocratie.

Au surplus, la restriction du droit de grève pourrait permettre d’imposer des réformes allant à l’encontre des salariés, des usagers du service public en limitant la contestation dans sa manière visible. Ce serait une perversion des rapports de force au sein de l’entreprise, ce serait un déni de démocratie.

Acquis populaire et démocratique, le droit de grève, comme liberté individuelle et collective, a, depuis 1946, valeur constitutionnelle. "Le droit de grève s’exerce dans le cadre des lois qui le réglementent".

Or, ces lois existent. Ainsi, la loi de 1963 a instauré le préavis de 5 jours dans les services publics et celle du 19 octobre 1982 fait obligation d’ouvrir les négociations en cas de préavis de grève.

L’exercice du droit de grève est une liberté publique. C’est bien pourquoi la jurisprudence rejette, en invoquant l’ordre public social, les clauses conventionnelles qui le restreignent.

Quoi qu’il en soit, nous n’avons pas besoin de le réglementer davantage mais plutôt, je le répète, d’améliorer les conditions de travail, le recrutement et le statut des personnels, de développer les missions de service public.

On ne peut continuer dans la voie régressive. Ce serait oublier que les français sont très attachés au service public, ils sont attachés aux acquis qui fondent notre société, dite développée.

De plus, faut-il rappeler que les mouvements sociaux qui ont débouché sur les plus grands acquis furent souvent ceux qu’on avait interdits ou qui s’opposaient à la législation de l’époque.

Les grèves sont parfois un élément essentiel du progrès social, il s’agit là d’un droit utile. Dans ce sens, le droit positif n’est que le résultat du rapport de force à un moment donné, rapport de force dans lequel les citoyennes et les citoyens restent la force la plus légitime et la plus déterminante. C’est le fondement même de la démocratie. Les accords de Grenelle après la grève générale de 1968 ont été un bénéfice pour l’ensemble de la population, une véritable amélioration des conditions de vie, un véritable progrès social pour tous.

La volonté de remodeler la société française selon les principes ultra-libéraux a au moins une limite : les principes économiques imposés ne sont ni socialement ni humainement efficaces. Les femmes et les hommes de ce pays s’en rendent compte tous les jours.

Remettre en cause un droit fondamental, c’est remettre en cause les fondements même de la démocratie. Et ce débat n’apporte aucune solution concrète aux problèmes du service public. Avant tout, il convient de rédonner du sens au service public, d’en renforcer les moyens, les effectifs, et toutes mesures susceptibles de favoriser le climat social.

Si un projet de loi instaurant un service public minimum dans les transports" devait finallement venir en débat dans l’hémicycle du Sénat, le groupe communiste, républicain et citoyen, le combattrait comme il se doit, au nom des principes constitutionnels et des fondements de la démocratie, et nous ne serons pas les seuls.

Michel Billout

Ancien sénateur de Seine-et-Marne
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