Mme BORVO. - Cerruti, Yves Saint Laurent, Louis Féraud, Inès de la Fressange : la création française de haute couture est aujourd’hui menacée. Sacrifiés à la productivité et à la rentabilité financière, les salariés de Cerruti mènent une bataille exemplaire pour défendre leurs droits et leur dignité ainsi que pour préserver l’avenir de la haute couture et du prêt à porter. Ils sont ici et écouteront votre réponse avec intérêt.
Leur révolte a suscité la mise en place d’un comité de soutien dans lequel figurent des artistes et de nombreux élus. La mairie de Paris, sous l’impulsion des élus communistes, a témoigné sa solidarité et suspendu tout partenariat avec Cerruti. La haute couture crée des œuvres culturelles qui font partie de l’exception culturelle et contribuent grandement au prestige de la France et de sa capitale. Elle est aussi au bout d’une chaîne industrielle très rentable, un peu comme le cinéma.
Oublier la dimension culturelle aurait des conséquences désastreuses en termes économiques, sociaux et culturels. L’État doit au contraire affirmer cette dimension culturelle de la mode en tant que patrimoine vivant qu’il convient d’enrichir et, dans une conjoncture difficile, de sauvegarder.
Dans ce cadre il devrait contribuer à relancer une véritable politique d’apprentissage, des transmissions de savoir et des compétences, ce qui garantirait l’avenir de cette branche prestigieuse. On pourrait aussi créer un fonds d’aide à la création comme cela existe pour le cinéma et la chanson. Il serait également souhaitable que la tutelle gouvernementale de la mode comme industrie culturelle se rééquilibre en faveur du ministère de la Culture. Ce serait un premier pas vers une véritable reconnaissance de celle-ci comme partie intégrante de l’exception culturelle.
Je souhaite enfin que vous accueilliez favorablement notre proposition de créer une mission d’enquête parlementaire sur l’activité haute couture et prêt-à-porter. Dans l’immédiat toutes les mesures pour sauver l’emploi et l’avenir de cette branche doivent être prises.
M. AILLAGON, ministre de la Culture et de la Communication. - Comment la haute couture ne préoccuperait-elle pas le gouvernement alors qu’Yves Saint Laurent Haute Couture vient de fermer ses portes ? La situation des salariés de Cerruti ne saurait non plus nous laisser indifférents.
La dimension culturelle de la mode est incontestable, et hautement reconnue dans notre pays. J’en veux pour preuve le prestige des créateurs de ce secteur mais aussi l’existence de deux musées parisiens, Galliera, qui dépend de la ville, et les secteurs mode et costumes du musée des arts décoratifs qui relève de l’État.
Le ministère de la Culture a mis en place de nombreux dispositifs. La délégation aux arts plastiques agit pour la formation des jeunes créateurs, pour la transmission des savoirs. C’est ainsi que la fabrication des dentelles d’Alençon a pu continuer grâce à la création de l’Atelier national de la dentelle.
Par ailleurs, il faut bien le reconnaître, la dimension industrielle et économique du secteur n’en est pas moins évidente. Cette activité de création génère une activité massive, en général florissante. Nous pensons apporter une aide soutenue à la formation et à l’apprentissage, notamment dans le cadre de nos écoles d’art. Pour autant, nous ne pouvons envisager de faire artificiellement de ce secteur un secteur protégé ou pris en charge par l’État : c’est aux professionnels eux-mêmes à assumer leur entière responsabilité et à prendre conscience du poids d’une économie qui contribue largement à l’équilibre de la balance commerciale de notre pays, donc à son rayonnement.
Au demeurant, les professionnels le savent bien. Ils savent aussi que si certaines maisons ferment, d’autres apparaissent, animées par de jeunes créateurs. C’est l’histoire même de la mode.
Dans ces conditions, une commission d’enquête parlementaire sur l’activité haute couture et le prêt à porter est-elle nécessaire ? Si je partage votre inquiétude tout à fait légitime, je n’ai pas à me prononcer sur ce qui relève de la décision souveraine de la Haute Assemblée. Néanmoins, si cette commission était mise en place, je répondrais très volontiers à son invitation.
Mme BORVO. - Votre réponse me conforte dans le souci que j’ai de la haute couture et dans mes inquiétudes.
Le secteur du textile-habillement auquel sont rattachés la mode et le prêt-à-porter va mal : en trente ans, la filière a perdu les deux-tiers de ses effectifs, soit environ 20 000 emplois par an, et l’hémorragie continue au rythme de 2 000 suppressions d’emplois par mois !
N’est-il pas temps d’oser d’autres choix, plus volontaristes ? La préservation de l’emploi, le développement du tissu économique et industriel, la transmission des savoirs et des compétences l’exigent. Aussi serait-il souhaitable, dans un premier temps et comme le souhaite le maire de Paris, d’ouvrir l’actuel comité de développement et de promotion de l’habillement, alimenté par les taxes parafiscales, à l’aide à la création ?