Développement et financement des infrastructures de transport

Publié le 19 octobre 2005 à 00:00 Mise à jour le 8 avril 2015

Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Mes chers Collègues,

Tout d’abord, je souhaiterais vous faire part de ma satisfaction de l’organisation d’un débat sur le développement et le financement des infrastructures de transport.
Cependant, j’espère qu’au terme de cette discussion, des propositions alternatives pourront être examinées et que l’engagement sera pris par le gouvernement d’abonder vers un financement pérenne des infrastructures de transport à la hauteur des enjeux économiques et sociaux.

En préalable, je tiens toutefois à souligner mon étonnement sur la conception de la majorité sénatoriale des droits de l’opposition.
Sans être exhaustif, je rappellerai que j’ai proposé un projet de résolution sur le troisième paquet ferroviaire en janvier 2005 et une question orale avec débat sur l’avenir du transport combiné en avril dernier, tout deux restés jusqu’à ce jour sans réponse.
J’ai également interpellé le gouvernement par une question sur le même thème que celle dont nous avons à débattre aujourd’hui. Elle n’a pas non plus été retenue. La conférence des présidents a préféré inscrire une question orale de mon collègue appartenant à la majorité sénatoriale, déposée bien après, plutôt que celle d’un sénateur membre du groupe communiste, républicain et citoyen ou bien que celle de mon collègue socialiste.

La procédure des questions orales avec débat, est-elle alors uniquement réservée aux sénateurs de la majorité ? La pratique de notre assemblée, peu respectueuse des droits de l’opposition parlementaire, tend à le démontrer.

Quoi qu’il en soit, ce débat devait logiquement avoir lieu suite à l’annonce par le premier Ministre, lors de son discours de politique générale, de la privatisation des concessions d’autoroutes, mesure qui remet directement en cause la pérennité des ressources de l’agence de financement des infrastructures.
Depuis, un appel d’offre a été lancé, auquel se sont évidemment empressés de répondre les géants du BTP : les groupes Vinci et Eiffage, entre autres. Seule la société Bouygues a fait savoir qu’elle ne déposerait pas d’offre car un tel investissement relève, selon elle, d’une logique essentiellement financière qui ne correspond pas à sa vocation d’entrepreneur. Cette déclaration devrait quand même interpeller le gouvernement sur sa démarche plus que généreuse pour les actionnaires des grands groupes financiers...

Ce débat vient également à un moment particulier, puisqu’il se situe en pleine affaire de la privatisation de la SNCM, justifiée par le gouvernement par son caractère jugé déficitaire.
Permettez moi de m’arrêter quelques instants sur ce sujet très emblématique. Avec la SNCM, c’est en effet, la question de la continuité territoriale qui est notamment posée et du rôle de l’Etat pour l’assurer. La réponse du gouvernement en la matière est celle du désengagement.

Après une proposition de privatisation à 100%, vous avez dû reculer, Monsieur le Ministre, sous la pression des salariés de la SNCM et de l’émotion suscitée dans la population.
Cependant, une participation minoritaire de l’Etat dans le capital n’assure pas un contrôle suffisant. Pourquoi avez-vous refusé, Monsieur le Ministre, le principe d’une participation de la Caisse des dépôts et consignation, dont c’est tout à fait le rôle, et qui aurait permis une majorité publique dans le capital de la société ?
Pas plus tard qu’avant-hier vous indiquiez, dans cet hémicycle, que la CDC était à vos yeux un partenaire important pour le montage de partenariats public-privé. La SNCM est donc l’exception qui confirme la règle ?

Pour revenir à la question des autoroutes, le gouvernement propose la privatisation de sociétés, cette fois, bénéficiaires. Elles le seront même de plus en plus à l’avenir. Cela s’explique par l’acquittement progressif du remboursement des emprunts et de l’augmentation du coût des péages. En effet, ces remboursements arriveront à échéance en 2018.
Ainsi, pour ne prendre que l’exemple d’ASF, son chiffre d’affaire depuis 1990 a augmenté de 7,6%. On offre ainsi aux grandes entreprises du bâtiment la possibilité d’un investissement sans risque puisque monopolistique et à rendement maximum. Ce sont, en effet, selon ce qu’indiquait ici même le Ministre De Robien, 30 milliards d’euros de dividendes qui sont attendus dans les 25 prochaines années.

Pourquoi donc se priver de tels revenus ?
Plus généralement, quelles sont les véritables raisons de privatiser progressivement l’ensemble du secteur public ? Comment pouvez-vous prétendre avec l’exemple des sociétés d’autoroutes qu’elles ne sont pas purement idéologiques et liées à la satisfaction des intérêts des catégories sociales les plus aisées ? Il s’agit, dans la droite ligne de l’accord général sur le commerce et les services et de la directive Bolkestein, qui est loin d’être enterrée, de s’affranchir de la conception de service public en faisant de la marchandisation l’unique modèle d’échanges et de prestations.

C’est revenir de cette manière sur une conception traditionnelle du rôle de l’Etat dans notre pays comme garant des services publics, facteurs de cohésion sociale et d’aménagement du territoire, fondés non sur la notion de rentabilité mais celles de l’intérêt général et de la péréquation.

Nombreux sont aujourd’hui les exemples de désengagement de l’Etat.
Tout d’abord, par la loi de décentralisation, par laquelle l’Etat transfère des blocs de compétence à la région et aux départements, sans pour autant transférer à ces collectivités les moyens financiers nécessaires à leurs nouvelles missions.
C’est aussi, dans le domaine ferroviaire, en se dégageant de la partie transport des contrats de plan, dont l’exécution revient maintenant à l’AFITF.

Mais c’est aussi en tentant de déclasser des lignes d’intérêt national sous l’appellation de trains d’intérêt interrégional, pour obtenir des régions un co-financement, voir un financement intégral.

C’est encore, en consacrant dans la loi de finances des budgets de plus en plus minimes au transport, soit 3 % du PIB, alors qu’une étude comparée montre que les autres pays européens accordent des moyens supérieurs pour répondre aux besoins de transport.
Pour simple exemple, je rappellerai que les subventions au transport combiné ont été programmées par la loi de finances de 2005 à hauteur de 16 millions d’euros, alors qu’en 2002, ce financement atteignait 92 millions d’euros ! Dans cette même loi de finances la contribution de l’Etat aux charges d’infrastructures ferroviaires a diminué de 80 millions d’euros, soit une baisse de 6,4% .

Ainsi la question essentielle est posée : comment financer les infrastructures de transports, alors même que l’Etat se désengage financièrement de plus en plus et assume de moins en moins ses missions de service public dans le domaine des transports ?
Comment va-t-on aujourd’hui pouvoir financer les infrastructures de transports, alors même que l’organisme qui devait prendre en charge ces projets se trouve privé de l’essentiel de ses ressources pérennes : les dividendes des sociétés d’autoroutes ?
Cette décision méconnaît le vote du parlement qui avait, dans la loi de finances 2005, affecté les recettes des sociétés d’autoroutes au financement des infrastructures de transports.
L’AFITF aurait ainsi dû recevoir en moyenne 1,5 Milliards € de recettes des autoroutes par an pendant 20 ans. En lui allouant 11,5 % de la vente escomptée de ce patrimoine pour 2006, soit 1,5 Milliards €, le gouvernement cherche certes, à tempérer les ardeurs éclairées des parlementaires.
Mais l’Agence n’en bénéficiera qu’une fois. Par la suite, ce sont les actionnaires qui en useront.

L’Etat cède ainsi au privé un patrimoine collectif public, d’une valeur considérable financé par les usagers et les contribuables. Elle met fin à la péréquation entre sections rentables et non rentables. Elle incite à accentuer le tout routier en appelant à l’augmentation des flux pour accroître les dividendes.
Au regard des enjeux de rééquilibrage entre les différents mode de transports, dans un contexte où les besoins vont augmenter de 60 % pour le transport de personnes et de 40 % pour le fret, cette mesure est contre performante.

En effet, l’objectif de l’AFTIF lors de sa création était, selon le gouvernement, la promotion d’une politique des transports qui favorise les modes de transports alternatifs à la route, notamment le rail, par le financement des grands projets d’infrastructures tels que définis lors du CIADT de décembre 2003. Sans financement suffisant, ces objectifs, que le groupe communiste, républicain et citoyen partagent, ne seront pas atteints.
Pourtant, les impératifs de préservation de l’environnement, mais aussi la crise actuelle du pétrole, appellent une politique forte en faveur du développement du transport ferroviaire, et notamment du fret ferroviaire et du combiné.

Ce n’est apparemment pas la volonté du gouvernement. Au contraire, des plans de repli du fret et du combiné sont présentés. Parallèlement, des mesures favorisant le patronat routier ont été entérinées dans un plan présenté que vous avez présenté le 12 septembre dernier, Monsieur le Ministre, qui propose de nouvelles exonérations de taxe professionnelle sur les poids lourds. Rappelons tout de même que ce plan va coûter 400 millions d’euros sur le budget transport.

De plus, il s’agit d’un nouveau cadeau puisque la loi de finances de 2005 prévoyait déjà l’extension du dégrèvement de taxe professionnelle pour les camions de plus de 7,5 tonnes. Cette mesure a coûté 1 milliard d’euros. En tout, c’est donc 1,4 milliard d’euros de cadeau au patronat routier. Il ne s’agit pas là de mesure favorisant le rail au détriment de la route.
Contrairement à la politique menée par le gouvernement, les sénateurs du groupe communiste, républicain et citoyen estiment qu’il est temps d’enrayer cette libéralisation dont les conséquences sur la sécurité, la qualité, l’égalité de traitement, l’aménagement du territoire et l’emploi sont particulièrement néfastes et risquent d’avoir des conséquences irrémédiables.
Dans ce sens, nous demandons donc que le gouvernement revienne sur sa décision de privatisation des concessions d’autoroutes.
Nous demandons également, comme le recommande l’audit commandé sur l’état des infrastructures de transport ferroviaire, que l’Etat s’engage bien au delà des 70 millions actuellement prévu pour rénover ce réseau.

En effet, cet audit pointe très clairement l’état de sous investissement chronique du réseau ferroviaire français.
Il estime que « si le budget maintenance continue à régresser (au regard de l’inflation), cela conduira à « une cession d’exploitation de 60% du réseau à l’horizon 2025 ». A cette date, il ne subsisterait plus que les lignes à grande vitesse ainsi que les axes majeurs nationaux et de banlieue ». un scénario qui va « à contre sens d’une mobilité durable des personnes et des marchandises en France ». Fin de citation
Il recommande alors au gouvernement de porter à 3,1 milliard annuels contre 2,5 actuellement la contribution à l’entretien du réseau pour en assurer le maintien.
Les sommes à trouver atteignent donc 600 millions par an avec un pic à 1 milliard entre 2011 et 2015. Ce sont donc 4 milliards d’euros sur 10 ans que la puissance publique doit investir pour son réseau.

C’est pourquoi, les sénateurs du groupe communiste, républicain et citoyen souhaitent que le gouvernement s’engage à fournir à l’AFTIF des ressources pérennes.
Nous estimons également que le gouvernement doit s’engager à la reprise de la dette de la SNCF et de RFF qui représente 41 milliards d’euros, afin que ces entreprises publiques puissent satisfaire à leurs missions.

Nous souhaitons encore que le gouvernement s’engage à honorer les contrats de plan entre l’Etat et les régions qui ont subi tant de retard..
Nous demandons enfin, une nouvelle fois, qu’une étude mesurant l’impact des politiques de libéralisation des transports en Europe sur l’emploi, la sécurité et sur le niveau de développement des réseaux, soit réalisée.

Nous jugeons indispensable de mettre en place une véritable politique commune de développement des réseaux transeuropéens de fret ferroviaires intégrant les objectifs du développement durable, de protection de l’environnement, d’aménagement du territoire et de développement de l’emploi ;
Nous estimons, en conséquence, fondamental que soient élaborés à l’échelle européenne de véritables plans de financements permettant aux Etats d’entreprendre les investissements nécessaires en matière d’infrastructures nouvelles, de modernisation des réseaux actuels et des nouveaux réseaux dédiés .
Mais ce n’est pas dans cette direction que s’engage le gouvernement, comme il nous l’a encore démontré mardi dernier en faisant ratifié en urgence la libéralisation du fret ferroviaire dans le cadre du projet de loi intitulé incorrectement « sécurité et développement des transports ».
Merci de votre attention.

Michel Billout

Ancien sénateur de Seine-et-Marne
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