Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Mes chers Collègues,
Tout d’abord, je tiens à remercier mon collègue, le sénateur Sido d’avoir sollicité un débat sur la couverture du territoire en téléphonie mobile et en infrastructures haut débit.
En effet, l’accès aux nouvelles technologies de communication constitue aujourd’hui un levier essentiel en matière de développement économique et social.
L’absence de couverture de nombreuses communes constitue donc un facteur particulièrement handicapant pour l’avenir de certains espaces de notre territoire. Le risque d’une fracture territoriale, avec la formation de poches d’exclusion, de zones économiquement retardées est bien réel !
En ce sens, il me semble en effet particulièrement utile de revenir sur la mise en oeuvre de la loi relative à l’économie numérique qui reprend dans son titre IV les engagements pris lors du CIADT de décembre 2002 où le principe d’intervention des collectivités territoriales dans le domaine des nouvelles technologies - téléphonie mobile et haut débit- a été acté.
Cette possibilité s’est trouvée justifiée, y compris pour la majorité sénatoriale, parce qu’il s’agit d’un secteur où la libre concurrence ne répond pas aux besoins d’aménagement du territoire.
Et pour palier ce constat, il a donc été fait appel aux collectivités locales et à l’Etat pour financer les investissements en terme d’infrastructures.
Il est donc nécessaire presque deux années plus tard de faire le bilan de ces mesures et d’en tirer les enseignements.
Où en sommes nous ?
Tout d’abord, concernant la téléphonie mobile,
Les principes dispositions de la loi sur l’économie numérique ont été mis en oeuvre par le plan gouvernemental du 15 juillet 2003. Plan qui se déroule en deux phases en étant destiné à couvrir d’ici 2007 les centres bourg et les principaux axes des 3000 communes environ qui n’ont pas accès à la téléphonie mobile.
Dans la première phase, concernant 1 250 sites dans 1 638 communes, soit 60% des communes concernées, les collectivités territoriales doivent mettre des infrastructures passives - pylônes, « points hauts », etc. - à disposition des opérateurs qui s’engagent à les équiper des infrastructures radio et de transmission nécessaires. Le département dispose à ce titre de la maîtrise d’oeuvre sur ces opérations. Ils sont aidés financièrement par l’Etat (à hauteur de 44 millions d’euros par subventions directes et d’une vingtaine de millions d’euros par exonération de TVA), les régions et l’Europe.
La deuxième phase, entérinée en juillet 2004, devait quant à elle être financée exclusivement par les opérateurs SRF, Bouygues et France Telecom. Chacun s’étant engagé à verser 150 millions d’euros.
Mais malgré tous ces dispositifs, seulement 577 communes étaient couvertes au 31 décembre 2005.
Loin de prendre cela pour un échec, Monsieur Estrosi, Ministre délégué à l’aménagement du territoire, argue de la rapidité de construction entre juin et décembre, où le nombre de communes couvertes sont passées de 91 à 577.
Au 26 janvier dernier, les opérateurs ont pris l’engagement de couvrir 1000 sites « zones blanches , soit environ 1500 communes fin 2006.
Fin 2006, nous serions donc à la moitié des objectifs programmés par ce plan alors même que son terme était prévu au premier semestre 2007.
Comment expliquer ces retards ?
D’abord, les collectivités sont déjà très durement touchées par la loi de décentralisation dites « libertés et responsabilités locales » qui a augmenté significativement leurs charges sans pour autant leur donner tous les moyens nécessaires pour mettre en oeuvre leur nouvelles missions. Dans ces conditions, l’implication financière des collectivités reste difficile.
Ensuite, le gouvernement n’a crédité ce plan que d’un peu plus de 60 millions d’euros, divisés entre des subventions et des exonérations de TVA pour les collectivités.
Quant aux opérateurs, leur part de financement n’est attendue que pour la seconde partie du plan qui concerne 40% des communes restantes.
Par ailleurs, comment ne pas mentionner ce qui a été dénoncé par les associations de consommateurs comme le « yalta de la téléphonie » où les trois opérateurs se seraient accordés sur la pratique de tarifs élevés et non concurrentiels.
D’un côté on demande aux collectivités d’intervenir pour palier les carences de l’initiative privée dans les secteurs non rentables et de l’autre, pour les secteurs où la libre concurrence devrait être effective, les opérateurs se divisent le marché pour accroître leur rentabilité et ne pas faire jouer concurrence des prix pour les consommateurs.
Ainsi, prenons quelques exemples qui caractérise le caractère plus que lucratif de ce marché des télécoms : le chiffre d’affaire de SFR est ressorti pour l’année 2005 à 8 687 millions d’euros, soit une hausse de 20,8 % par rapport à 2004 ! Pour sa part, France Telecom voit son bénéfice augmenter de 90%, ce qui va lui permettre de reverser des dividendes à ces actionnaires en hausse de 108 % alors même que les salaires ont augmenté, eux, d’un peu moins de 1 % et que cette annonce de résultat a été accompagnée de celle de la suppression de 17000 emplois supplémentaires d’ici 2008.
On constate donc que le dogme de la concurrence libre et non faussée contribue essentiellement au démantèlement des entreprises publiques et au désengagement de l’Etat pour le plus le plus grand bonheur des actionnaires.
Ainsi, la majorité des collectivités locales qui ont accepté d’assumer, pour partie, le financement de l’extension de la couverture du territoire en téléphonie mobile, l’on fait en lieu et place des opérateurs, au titre de leur politique d’investissement, et de l’Etat, au titre de sa mission d’aménageur du territoire et de garant de l’égalité des citoyens devant un service public.
En ce qui concerne le haut débit, ce sont les mêmes logiques qui sont à l’oeuvre. La loi relative à la confiance dans l’économie numérique a également permis aux collectivités de devenir opérateurs de réseaux sous réserve du constat de carence de l’initiative privée.
Ainsi, les collectivités locales ont mis en oeuvre des politiques ambitieuse d’accès au haut débit pour tous.
Mais nous rencontrons quelques difficultés à en mesurer le réel impact. Ainsi , le ministre délégué à l’aménagement du territoire a annoncé le premier février dernier lors d’une séance de question à l’assemblée nationale qu’aujourd’hui 95% du territoire serait couvert alors même que le rapport d’information du sénat datant de juin 2005 estime pour sa part que 10% de la population sur 50 % du territoire n’avait toujours pas accès au haut débit ?
Nous souhaiterions donc disposer de chiffres concordants sur ce sujet.
La loi relative à la confiance dans l’économie numérique , comme je vous le disais, met en oeuvre une seule et même logique dans ces deux secteurs.
Face au désengagement de l’Etat de ses responsabilités en matière d’aménagement du territoire et face aux défaillances de l’initiative privée, il s’agit au fond de demander aux collectivités territoriales de financer des infrastructures qui pourront être mises à disposition des opérateurs privés.
A elles donc, dans le contexte actuel de multiplication de technologies concurrentes, d’accélération de leur obsolescence et donc d’erreurs d’investissement possibles, de prendre le risque financier ! Nous ne pouvons pas en effet négliger le risque potentiel d’échecs qui pourraient avoir de lourdes conséquences sur le plan financier pour ces collectivités.
Nous ne pensons donc pas qu’il s’agisse là d’une réponse adéquate à la couverture de notre territoire en nouvelles technologies de communication.
En effet, là où la densité de population est trop faible, là où l’activité économique est insuffisante, bref, là où le retour sur investissement est aléatoire, là où les perspectives de profit sont maigres, les opérateurs privés n’assurent pas la couverture en haut débit, à l’inverse de ce qui se passe dans les territoires fortement urbanisés où il existe par contre de nombreux réseaux.
Ne doit-on pas alors reposer la question de l’intégration dans le service universel du haut débit par le biais d’une couverture de l’ensemble du territoire ?
Pourquoi, dans ce sens, ne pas obliger France telecom à couvrir totalement le territoire, dans le cadre de ses obligations de service public, tout en faisant contribuer l’ensemble des opérateurs privés au financement, comme nous le proposions lors de la discussion du projet de loi sur le développement des territoires ruraux ?
Cela permettrait, en organisant la péréquation sur l’ensemble du territoire, par la création d’un fonds national de péréquation territoriale des communications, d’éviter la contribution financière des collectivités locales et, finalement, celle du contribuable par le biais d’une hausse des taxes locales.
A contre pied de ce modèle, l’Etat est devenu minoritaire dans le capital de l’entreprise historique et a dépouillé l’opérateur de ses missions de services publics restreignant ses obligations au seul service universel qui ne garantit pas l’égal accès des citoyens sur l’ensemble du territoire au service de télécommunication.
Pourtant, déjà lors du passage de la LEN au sénat, le rapporteur sur ce texte , Monsieur Sido, auteur de la question d’aujourd’hui, s’interrogeait sur le fait de savoir si -je cite- « cela était vraiment servir l’aménagement du territoire que d’inviter les collectivités à payer l’accès au haut débit pour tous ?
En effet, à l’encontre de tout principe de péréquation, faire peser l’aménagement numérique du territoire sur les finances des collectivités tend naturellement à creuser les écarts avec les plus fragiles d’entre elles.
Pour finir, il s’interrogeait de savoir si le haut débit n’avait pas naturellement sa place dans le nouveau périmètre du service universel comme instrument de cohésion nationale.
Nous adhérons parfaitement à cette proposition qui reste d’actualité aujourd’hui, comme en témoigne la recommandation du rapport Belot, de juin dernier, de ne pas exclure trop vite le haut débit du service universel.
Nous vous sollicitons donc Monsieur le ministre délégué à l’industrie pour qu’un bilan soit effectué sur les conséquences économiques et sociales de l’ouverture du capital de France Telecom et que l’étendue de la notion de service universel dans le secteur des télécommunications soit rediscuté dans les institutions européennes comme le prévoyait la directive adoptée en mars 2002 .
Dans ce sens nous réaffirmons notre engagement pour la création d’un pôle public des télécommunications dont l’objectif serait de satisfaire l’intérêt général en garantissant l’accès de tous aux nouvelles technologies.