Centres éducatifs fermés

Publié le 18 janvier 2005 à 00:00 Mise à jour le 8 avril 2015

par Nicole Borvo Cohen-Seat

Madame la secrétaire d’Etat, voilà maintenant deux ans que les centres éducatifs fermés ont été institués par la loi d’orientation et de programmation pour la justice de septembre 2002.

Ces centres éducatifs fermés sont censés accueillir des mineurs multirécidivistes, placés par le juge « en application d’un contrôle judiciaire ou d’un sursis avec mise à l’épreuve ». En cas de fugue ou de manquement grave au règlement, le mineur peut être incarcéré.

Evidemment, le discours officiel martèle que les centres éducatifs fermés sont la dernière chance avant la prison. Mais, loin de diminuer durablement l’incarcération des mineurs, ces centres risquent de l’augmenter, puisqu’ils fonctionnent avec la menace de l’incarcération.

D’ailleurs, nombre de centres ont vu leur périmètre totalement clôturé par des grillages rehaussés d’au moins deux mètres, les entrées contrôlées par un système de barrière infrarouge, le tout est surveillé par des alarmes. Les balcons et les terrasses sont proscrits dans les chambres. Le caractère répressif l’emporte définitivement ! Quelle différence avec les prisons ?

Les éducateurs sont très réticents à concevoir leur mission dans ces centres fermés. La sanction, y compris la privation de liberté, n’est pas éducative en elle-même ; elle ne peut, à la rigueur, le devenir que si elle s’appuie sur la proposition positive de la récompense et de la réussite.

La synthèse du rapport d’étape du 28 avril 2004 sur les centres éducatifs fermés confirme d’ailleurs les craintes que beaucoup avaient les concernant. Elle fait déjà apparaître les confusions et les impasses inhérentes à ces structures.

Par conséquent, que comptez-vous faire pour rendre publique, au plus vite, l’intégralité du rapport d’étape ? Quelles mesures comptez-vous prendre pour remédier aux problèmes relevés dans le rapport, en particulier en ce qui concerne les droits et libertés des mineurs ?

Plus globalement - j’ai déjà eu l’occasion de faire cette proposition, mais je la renouvelle -, ne serait-il pas opportun d’envisager de mettre à plat les différents dispositifs existants, prisons, centres éducatifs fermés, centres éducatifs renforcés, et de réfléchir plus avant à une politique de prévention et de prise en charge globale en conformité avec l’esprit de l’ordonnance de 1945, laquelle n’est pas du tout désuète en matière de conception des rapports entre les mineurs et la sanction ? C’est ce que préconisait la commission d’enquête sénatoriale sur la délinquance des mineurs.

Mme Nicole Guedj, secrétaire d’Etat aux droits des victimes. Madame la sénatrice, je vous prie tout d’abord de bien vouloir excuser M. le garde des sceaux, qui est retenu par une obligation et qui m’a chargée de vous livrer sa réponse.

Après les centres éducatifs renforcés, les centres éducatifs fermés, créés par la loi d’orientation et de programmation pour la justice du 9 septembre 2002, sont un outil supplémentaire d’accueil et de prise en charge des mineurs délinquants. Les jeunes placés dans ces établissements, âgés de treize à dix-huit ans, sont en échec total ; ils sont tous multirécidivistes ou multiréitérants. Pour ces jeunes « incasables », les dispositifs existants n’ont pas apporté de réponse adéquate, qu’elle soit judiciaire et sociale.

En effet, au moment de leur accueil, 30 % ont déjà été incarcérés, ce chiffre atteignant 45 % pour les mineurs âgés de 16 à 18ans ; 90 % ont déjà été condamnés ou poursuivis ; 70 % ont déjà fait l’objet d’une mesure de protection administrative ; 76 % ont déjà fait l’objet d’un placement judiciaire et 33 % ont déjà été placés plus de trois fois.

C’est ce qui ressort de l’évaluation à laquelle le garde des sceaux a fait procéder, conformément aux dispositions de la loi du 2 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale.

Le document que vous évoquez, madame la sénatrice, a constitué un rapport d’étape dans l’évaluation du dispositif. En effet, il a couvert la période d’avril à octobre 2003 et n’a concerné que les quatre premiers centres éducatifs fermés, dits « expérimentaux ». Ce bilan a été complété depuis et porte sur dix-huit mois de fonctionnement. Le ministre de la justice en rendra le contenu public très prochainement.

D’ores et déjà, je peux vous indiquer que les premiers enseignements dégagés à mi-parcours sont confirmés. Les résultats sont encourageants et vont dans le sens d’une amélioration de la situation des jeunes.

Ce bilan prouve qu’un encadrement strict des mineurs, un programme d’activités intensif et un fort engagement des équipes éducatives constituent autant de facteurs de succès dans la prise en charge de ces jeunes multirécidivistes.

Les quarante magistrats de la jeunesse qui se sont exprimés dans le cadre de l’évaluation confirment que le placement en centres éducatifs fermés constitue une réelle alternative à l’incarcération.

De mars 2003 à décembre 2004, 213 jeunes ont été accueillis dans les centres éducatifs fermés. Par ailleurs, entre mai 2002 à janvier 2005, le nombre de mineurs incarcérés a sensiblement baissé, passant de 936 à 623. Il n’est donc pas exact de soutenir que les CEF augmentent l’incarcération des mineurs. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Madame la secrétaire d’Etat, je vous remercie des éléments de réponse que vous avez bien voulu m’apporter, mais qui n’ajoutent rien à la réponse que M. le garde des sceaux m’avait faite lors de la discussion budgétaire.

Nous attendons la publication du rapport d’étape.

Je ferai remarquer que les centres éducatifs fermés absorbent des crédits très importants et que le renforcement sécuritaire de ces centres est le signe de l’échec d’une approche éducative dans un cadre fermé.

Il s’agit d’un problème de conception. Vous dites que ces mineurs sont « incasables ». Le terme est significatif.

Je réitère donc ma demande, que je formulerai à nouveau devant M. le garde des sceaux lors d’un prochain débat sur la justice, de mettre à plat les différents dispositifs d’accueil des mineurs et faire des comparaisons statistiques entre les jeunes placés dans des centres éducatifs fermés et ceux qui sont en prison, entre ceux qui sont en centres éducatifs fermés et ceux qui sont en centres éducatifs ouverts. Il faut aussi étudier la dimension éducative dans l’emprisonnement.

Je considère que les centres éducatifs fermés nous ramènent, hélas ! aux conceptions dépassées qui prévalaient au temps des maisons de correction.

Nicole Borvo Cohen-Seat

Ancienne sénatrice de Paris et présidente du groupe CRC

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