Avenir de la recherche publique

Publié le 6 mai 2003 à 17:21 Mise à jour le 8 avril 2015

par Ivan Renar

Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Mes Chers Collègues,

L’état de la recherche publique suscite de nombreuses interrogations et craintes que n’a pas levé l’annonce de l’annulation du gel de 30% des crédits de fonctionnement des organismes publics.

Même si je me félicite de cette décision à mettre à l’actif de la mobilisation de la communauté scientifique, le dégel ne fait pas forcément le printemps. Loin s’en faut.

La recherche française va mal, de nombreux indicateurs l’attestent. De nombreux chercheurs, de nombreux laboratoires en témoignent et s’en inquiètent.

  • L’impact des publications scientifiques françaises se dégrade et perd du terrain par rapport aux principaux pays européens.
  • Le nombre de brevets déposés diminue (et cela concerne ici principalement le privé). Nous représentons 6,3% de la totalité des brevets déposés dans le monde contre 8,8% en 1985.
  • Le déficit en postes et emplois scientifiques s’accentue. De tous les pays développés, mis à part l’Italie, la France est celui où le rapport entre nombre de chercheurs et population active a le moins augmenté ces dernières années. Avec le budget 2003, c’est 1.000 emplois scientifiques de moins dans l’ensemble du secteur public, dont 150 postes de chercheurs pour les établissements publics à caractère scientifique.

L’exil des jeunes chercheurs ne trouve pas son explication que dans des considérations financières.
C’est bel et bien ce marché de l’emploi obstiné, la précarité et le peu d’attractivité des carrières, l’insuffisance de crédits qui en sont les causes principales. Par exemple : 39% des jeunes docteurs formés à l’INSERM sont sans emploi.

Ces chiffres inquiétants associés à la crise de vocation que l’on constate dès l’université sont lourds de menaces pour demain pour la compétitivité de la recherche française.

Les dix prochaines années doivent voir le renouvellement de près de la moitié des effectifs des organismes de recherche et des universités. N’est-ce pas Monsieur le Ministre, dans le contexte actuel, l’un des enjeux majeurs auquel nous soyons confrontés et qui appelle des moyens et des décisions sans commune mesure avec ce que nous avons connu jusqu’à présent ?

Car c’est à l’investissement dans la matière grise que l’on mesure la grandeur et la puissance d’une nation.

Or, dans ce domaine les retards pris avec les principaux pays développés, en particulier les Etats-Unis, s’accentuent. La part de la recherche dans le PIB est de 2,1% contre 2,5 en Allemagne ; 2,7% aux Etats-Unis et 3 au Japon. Nous sommes loin, très loin des ambitions proclamées du Président de la République d’atteindre les 3% du PIB consacrés à la recherche et promis l’année dernière.

Depuis des années la recherche française vit sans financement minimum. Et alors que nos principaux concurrents accentuent leurs efforts, nous diminuons les notres comme en témoigne le budget 2003.

A périmètre égal, le financement du secteur public de la recherche civile est un des plus bas d’Europe.

Les chercheurs français ont déjà prouvé leurs grandes capacités par la quantité et la qualité de leurs travaux. Mais comment faire mieux avec de tels moyens ?
Comment redresser la situation sans s’appuyer sur un secteur public fort, diversifié, modernisé. Celui-là même qui a fait la notoriété internationale de la recherche française.

Je veux vous dire ma crainte, Monsieur le Ministre, devant ces désengagements, devant cette volonté sous tendue de substituer aux financements d’Etat les financements régionaux et privés. Je ne m’oppose par principe ni aux uns, ni aux autres, toutes ces coopérations sont nécessaires.
Mais peut-on croire qu’une véritable politique nationale en faveur de la recherche, équilibrée sur tout le territoire, puisse exister sans une responsabilité publique nationale ?

La recherche correspond à une aspiration vitale de l’Homme : apprendre et comprendre le monde et nos sociétés. En même temps son enjeu épouse le devenir de notre pays, son indépendance nationale, ses capacités à coopérer au plan international.

Quelles dispositions précises, Monsieur le Ministre, le gouvernement compte-t-il prendre, quels moyens compte-t-il débloquer pour renforcer le potentiel de la recherche publique française et par là même notre place et notre présence dans le monde ?

M. FERRY, ministre de la Jeunesse, de l’Éducation nationale et de la Recherche. Je vous remercie de votre question : elle me donne l’occasion de corriger les fausses informations que vous avez rapportées et que de nombreuses personnes croient de bonne foi, suite aux déclarations de certains chercheurs ou responsables syndicaux reprises par la presse.

Vous parlez de risques d’une réduction de 30 % des moyens des laboratoires de recherche, d’une récession que la recherche publique française n’a encore jamais connue. Ces informations sont sans fondement. Un récent rapport de l’Inspection de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche et de l’Inspection des finances l’atteste.

Il est vrai que par un arrêté du 14 mars 2003, le gouvernement a été contraint, au vu des déficits publics constatés, d’annuler 9,3 % des crédits des organismes de recherche, hors rémunérations : c’est le tribut total de la recherche pour la maîtrise des dépenses publiques en 2003. Mais 9,3 % ce ne sont pas 30 % ! Le Premier ministre a indiqué qu’il n’y aurait plus aucune autre annulation en 2003 et que les gels étaient levés, comme vous en avez eu le fair-play de le reconnaître.

L’annulation dans les E.P.S.T. porte en 2003 sur 53 millions, soit exactement le montant annulé en 2002, et moins que ce que le gouvernement précédent avait annulé en 2001 ; soit plus de 60 millions. J’ai fait vérifier ces chiffres ce matin même. Avec 2,2 %, notre pays est au quatrième rang mondial.

Notre ambition est d’atteindre en 2010 3 % du P.I.B. consacré à la recherche et développement dont un tiers pour la part publique et deux tiers pour la part privée. Nous nous y sommes engagés avec nos partenaires de l’Union européenne. Des mesures ont déjà été prises ; d’autres vont suivre : Mme Haigneré va ouvrir les chantiers de la science pour dynamiser notre potentiel.

La recherche reste donc bien une priorité du gouvernement ; l’investissement y demeure fort. Toutefois je ne crois pas que l’on puisse limiter le problème à une question de moyens : nous subissons une grave crise des vocations scientifiques, en particulier dans des disciplines comme la physique ou la biologie. En voyant les exemples allemand et canadien, je suis très préoccupé de voir les vocations scientifiques diminuer de 10 à 15 % dans les premiers cycles universitaires. Nous devons comprendre les causes de ce phénomène pour y trouver remède. Je vais ainsi proposer un plan de revalorisation de la recherche auprès des écoliers et des collégiens. On leur fera visiter des laboratoires. Ce plan comprendra nombre de mesures énergiques.

M. RENAR. Je vous remercie de votre réponse, même si elle ne me satisfait pas entièrement : vous aussi avez fait preuve de fair-play.

Laissons les chiffres. On ne rappellera jamais assez combien la recherche est essentielle pour le pays. Elle a des conséquences directes sur l’éducation, la santé, la culture ; ses effets, directs ou indirects sont aussi importants à long terme.

Elle a besoin de cohérence et, pour cela, d’un pôle public fort.

Les universités pourraient enfin jouer un autre rôle, parallèlement aux organismes de recherche et aux grandes écoles.

Revaloriser l’enseignement scientifique me paraît une excellente initiative. Encore faut-il rendre plus attrayant l’emploi scientifique.

Ce sujet mérite un débat et une consultation nationale : on a tout à gagner à ce que la collectivité et les citoyens soient associés à la réflexion.

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