Avenir de la compagnie financière Eulia

Publié le 14 janvier 2003 à 00:00 Mise à jour le 8 avril 2015

par Marie-Claude Beaudeau

Je vous remercie de répondre à la question posée le 19 novembre dernier au ministre de l’Économie. Le 8 janvier, le nouveau directeur général de la Caisse des dépôts et consignations (C.D.C.) M. Mayer, prêtait serment. Alors que le ministre élabore ce qui a été dénommé improprement « la feuille de route » du nouveau directeur, ma question porte sur l’avenir de la compagnie financière d’Eulia.

Elle regroupe depuis 2001 les activités financières « concurrentielles » de la C.D.C. et celles correspondantes de la Caisse nationale des caisses d’épargne. Avec 17 milliards d’euros de fonds propres, elle constitue l’équivalent de la troisième banque d’affaire française. Cette holding publique est détenue à 50,1 % par la C.D.C. et 49,9 % par les caisses d’épargne.

Depuis plusieurs mois, une intense et inquiétante campagne s’organise, pour préconiser la privatisation d’Eulia et le désengagement de la C.D.C. La fondation Concorde recommande ainsi « un transfert rapide d’Eulia vers le privé », à l’instar de l’économiste Elie Cohen dans son article paru dans Libération le 5 décembre dernier et intitulé « À quoi sert la Caisse des dépôts ? ». Plusieurs personnalités politiques de la majorité affirment que « l’on devrait recentrer la Caisse sur ses missions d’intérêt général ». En outre, le président du directoire de la Caisse nationale des caisses d’épargne s’est porté candidat au nom de son groupe à la prise de contrôle totale d’Eulia et multiplie les déclarations en ce sens.

Enfin, la filiale C.D.C.-Ixis, qui rassemble les activités financières « concurrentielles » de la C.D.C., est particulièrement en ligne de mire. Détenue à 53 % par Eulia et à 43,55 % par la Caisse des dépôts, elle pourrait, en cas de privatisation, rapporter 3,5 milliards d’euros à l’État. Or, n’est-ce pas le but du gouvernement que de dégager des recettes budgétaires nouvelles pour alimenter un budget à la dérive ? Les annonces du ministre de l’Équipement au sujet d’une ouverture du capital des sociétés d’autoroute le laissent aussi penser.
Pourtant, le démembrement, même partiel, de la Caisse des dépôts serait lourd de conséquences. Vous savez du reste que la loi assigne à l’ensemble de la C.D.C., donc à toutes ses filiales, des objectifs et missions de service public et d’intérêt général. La séparation entre activités répondant à l’intérêt général et activités « concurrentielles » serait tout à fait arbitraire, elle pénaliserait les autres activités de la Caisse et entraînerait inévitablement, à terme, une banalisation des produits d’épargne réglementés. Le statut des personnels fonctionnaires d’Ixis, de la C.N.P., soit 1700 salariés, serait remis en cause.

Eulia et Ixis constituent, malgré l’orientation vers la logique du privé, un moyen d’intervention essentiel pour l’État et la pièce maîtresse du pôle public financier au service de l’intérêt général. Or, les bases de ce pôle existent : Ixis gère l’épargne de La Poste, Eulia propose des produits aux collectivités locales et la C.D.C. détient toujours 35 % du capital des caisses d’épargne.
Quelles sont les intentions du gouvernement pour l’avenir d’Eulia et de C.D.C.-Ixis ? Maintiendra-t-il la C.D.C. dans son intégralité ? Comment envisage-t-il les rapports futurs entre la C.D.C. et les autres institutions publiques financières ?

Enfin, Madame la Ministre, vous savez bien que la Caisse des dépôts est placée depuis 1816 directement sous le contrôle et même la « surveillance spéciale » du Parlement, notamment afin de protéger sa mission essentielle, assurer la sécurité de l’épargne populaire. Comptez-vous régler l’avenir de la C.D.C., en tout cas de deux de ses composantes essentielles, Eulia et Ixis, en passant outre ce mandat du Parlement ? Ne pensez-vous pas plutôt, comme le proposent les organisations syndicales, qu’un grand débat parlementaire et national s’impose, non seulement à propos de la C.D.C. mais à propos de l’avenir de tout le secteur public et semi-public financier ?
Salariés, épargnants, tout le pays est concerné.

Mme FONTAINE, ministre déléguée. Le nouveau directeur général de la Caisse des dépôts et consignation, nommé le 18 décembre en Conseil des ministres, M. Mayer a prêté serment devant la commission de surveillance de cette institution le 8 janvier.

Le gouvernement, en concertation avec lui, définira les orientations de cette grande institution publique au service de la collectivité nationale car la Caisse des dépôts exerce ses activités d’intérêt général dans des domaines prioritaires de l’action publique : ses moyens complètent utilement l’action de l’État, qu’il s’agisse de la gestion de fonds qui réclament une protection spécifique, ou des fonds d’épargne, sur lesquels le ministre de l’Économie a demandé une mission d’expertise dont les conclusions seront transmises dans le courant de ce mois, de la gestion sous mandat de caisses de retraite publique ou encore à des programmes d’intérêt général.

Ainsi, le rôle de cette institution en matière de renouvellement urbain ou de soutien aux P.M.E. participe de cette mission publique que nous devons soutenir tout en améliorant son efficacité.
Notre réflexion doit également porter sur ses interventions dans le secteur concurrentiel. Le gouvernement procédera à un examen au cas par cas sans dogmatisme et dans le seul souci du développement des différentes entités concernées. Cette approche pragmatique et volontariste concerne la compagnie financière Eulia, comme d’autres entités du groupe Caisse des dépôts.

Mme Marie-Claude BEAUDEAU. Votre réponse décevante ne dit rien de la mise à l’écart du Parlement : tout ce que je sais, je l’ai appris dans la presse. Vous évoquez le renouvellement urbain mais non le logement social qui est, avec l’équipement de nos villes et villages l’une des grandes missions d’intérêt général de la Caisse des dépôts. S’en remettre aux fonds privés, c’est contester la nécessaire modernisation car le privé ne sert pas l’intérêt général. Votre réponse semble contredire les déclarations du Président de la République et du Premier ministre, surtout à l’heure de la décentralisation.

Marie-Claude Beaudeau

Ancienne Sénatrice du Val-d’Oise

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