Notre République doit-elle assurer un droit universel à la mobilité, comme elle assure un droit universel à l’éducation ou à la santé ?

Gratuité totale des transports collectifs

Publié le 19 novembre 2019 à 13:56 Mise à jour le 21 novembre 2019

Rapporteur de la mission d’information sur la gratuité des transports collectifs.

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, j’ai le plaisir de présenter les conclusions du rapport de la mission commune d’information, constituée sur l’initiative du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, sur la gratuité des transports collectifs.

Je tiens tout d’abord à remercier mon groupe d’avoir bien voulu consacrer son droit de tirage à ce beau sujet et de m’avoir confié ce rapport.

Je tiens ensuite à remercier la présidente de la mission, Michèle Vullien, de notre relation de travail riche, franche et constructive.

Je tiens également à remercier chacun des membres de cette mission de leur implication dans nos travaux.

Enfin, je tiens à remercier l’équipe d’administrateurs qui n’a pas ménagé ses efforts pour aboutir au riche rapport dont nous débattons aujourd’hui.

La gratuité des transports : fausse bonne idée ou révolution écologique et sociale des mobilités ? Telle est la problématique que nous avons posée pour étudier ce sujet popularisé, entre autres, par le choix opéré par la métropole de Dunkerque, et de plus en plus présent dans le débat public à mesure que les élections municipales approchent.

Après plus de quarante-sept heures d’auditions, les réponses de nombreuses collectivités, une consultation en ligne qui a récolté 10 500 contributions – un record et une preuve, si besoin en était, de l’intérêt du sujet pour nos concitoyens –, notre rapport se veut un outil d’aide à la décision.

La gratuité d’un service public pour ses usagers est un sujet d’ordre quasi philosophique, dont chacun peut s’emparer aisément, et qui enflamme facilement les débats ou les discussions.

On ne se pose plus la question de la gratuité de l’école publique ou de celle de l’accès aux soins essentiels. Pour faire un parallèle avec notre thématique du jour, on ne se pose pas non plus la question de la gratuité de l’accès aux routes départementales ou nationales.

En revanche, la gratuité de l’accès aux équipements publics, comme les bibliothèques et les musées, ou celle des transports collectifs fait encore débat.

La question est donc la suivante : notre République doit-elle assurer un droit universel à la mobilité, comme elle assure un droit universel à l’éducation ou à la santé ?

C’est un vaste débat qui agite les passions et qui voit trop souvent s’affronter des positions de principe, pas toujours étayées, pas toujours éclairées. Que l’on soit pour ou contre le principe de la gratuité, on assiste souvent à un florilège d’idées reçues et de lieux communs que le premier objectif de ce rapport était d’éprouver.

Je ne citerai que deux exemples. Non, la gratuité des transports ne conduit pas aux incivilités ou à une dégradation des équipements. Et non, la suppression de la billettique et des contrôles ne suffit pas à compenser les pertes de recettes.

Il s’agissait de l’une de nos premières recommandations : dépasser les positions de principe et les idées reçues pour débattre des faits, des chiffres et des réalités de chaque territoire et de chaque réseau.

Le rapport dresse donc un état des lieux de la mise en œuvre de la gratuité des transports en France – cela concerne vingt-neuf communes à ce jour – et dans le monde. Il trace des perspectives pour repenser la mobilité collective au XXIe siècle.

Le premier constat est sans appel : nous n’avons que très peu de recul sur le sujet. Les expériences françaises et internationales sont assez rares et les études scientifiques le sont encore davantage, notamment pour déterminer clairement le type de report modal qu’implique la gratuité. Les données que nous avons collectées sont parcellaires et ne permettent pas de tirer des conclusions irréfutables.

C’est pourtant une nécessité de pouvoir se fonder sur des études précises pour évaluer objectivement le bilan environnemental de la gratuité. Dans ce rapport, nous proposons de mettre en place un observatoire de la tarification des transports pour accumuler des données statistiques et scientifiques à même d’éclairer la décision publique.

Cela étant, l’étude de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie – l’Ademe – sur Châteauroux, qui date de 2007, et l’étude plus récente réalisée par la ville de Dunkerque semblent montrer assez nettement que la gratuité des transports est une mesure sociale très efficace.

Là où elle a été mise en place, la fréquentation des bus a grimpé : on observe une hausse du nombre des usagers de 23 % à Niort en deux ans et de près de 80 % à Dunkerque en moins d’un an. Selon toute vraisemblance, cette augmentation résulte en premier lieu de personnes qui ne se déplaçaient pas ou peu. La gratuité atteint donc l’objectif qu’on lui assigne : garantir l’égalité en matière de mobilité. La révolution sociale n’est pas loin.

Le principal inconvénient de la gratuité est paradoxalement son efficacité. Elle oblige à se poser la question de l’offre de transport. Ainsi, dans les réseaux déjà extrêmement fréquentés – on pense naturellement à la région capitale, mais c’est le cas pour d’autres réseaux –, une mise en œuvre de ce principe risquerait d’entraîner une saturation totale du réseau et, donc, une baisse de la qualité du service.

Dans les grandes agglomérations qui possèdent des réseaux denses, il est nécessaire d’établir des priorités. La question de l’offre de transport et celle de sa soutenabilité dans le temps doivent prévaloir sur celle de la gratuité. C’est d’autant plus important que les réseaux ferrés des grandes métropoles sont beaucoup plus coûteux à développer et à entretenir que les seuls réseaux de bus.

Cette problématique nous invite aussi à considérer que la gratuité n’est pas une fin en soi ni un but absolu. Il s’agit d’un outil de politique publique parmi d’autres, qui doit s’inscrire dans un projet de mobilité, un projet urbain plus vaste.

Ainsi, pour toutes les villes moyennes où les réseaux sont neufs et sous-utilisés et dont les centres-villes sont de moins en moins fréquentés, la gratuité des transports, associée à une politique de revitalisation des centres-villes, est un outil extrêmement efficace, comme le prouvent les exemples de Châteauroux, de Dunkerque ou de Niort. C’est une autre recommandation du rapport que de penser la gratuité comme un levier au service d’une politique globale, et non comme un objectif à part entière.

En effet, la gratuité pose fondamentalement la question du financement des transports en commun dans notre pays.

M. Loïc Hervé. C’est la vraie question !

M. Guillaume Gontard, rapporteur de la mission d’information. Les leviers actuels, qu’il s’agisse de la billettique, des impôts locaux ou du versement transport, semblent de toute façon insuffisants pour envisager le déploiement de la mobilité écologique du XXIe siècle.

C’est une autre préconisation du rapport que de repenser le financement des transports collectifs. Nous avons émis plusieurs idées qui n’ont cependant pas fait l’unanimité et qui, de ce fait, ne sont pas des recommandations en tant que telles : je pense notamment au péage urbain, à la taxation des plus-values immobilières, à la taxation des plateformes comme Uber ou à celle des zones de stationnement des centres commerciaux.

Une seule d’entre elles a recueilli l’assentiment de tous les membres de la mission et figure parmi les préconisations : le rétablissement du taux de TVA à 5,5 % pour les transports collectifs. Une telle disposition a d’ailleurs été adoptée par la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire de l’Assemblée nationale lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2020 avant d’être rejetée en séance à la demande de votre gouvernement, madame la secrétaire d’État.

Alors que mon propos touche à sa fin, et avant de vous présenter les deux dernières recommandations du rapport, permettez-moi d’ajouter un commentaire plus personnel.

Ma conviction est que la gratuité des transports relève d’abord d’un choix politique, plus ou moins ambitieux en fonction des territoires et des réalités locales.

Pour ne donner qu’un seul chiffre, le coût consacré à l’entretien et au fonctionnement de tous les réseaux de transport en commun du pays s’élève à environ 16 milliards d’euros, somme financée par les usagers, les contribuables locaux et les entreprises. Le coût consacré à l’entretien de toutes les routes concédées aux collectivités locales, qui est à la charge des seuls contribuables, se monte également à près de 16 milliards d’euros, ce qui permet aux usagers d’y accéder gratuitement, comme je l’indiquais.

Personne ne se pose la question de faire payer l’accès aux routes aux usagers. En revanche, tout le monde se pose celle de l’opportunité d’appliquer la gratuité aux transports en commun. C’est paradoxal quand on songe aux urgences sociales et écologiques auxquelles nous devons faire face.

À titre personnel, je pense qu’il s’agit d’un horizon vers lequel toutes les collectivités peuvent et doivent tendre selon un rythme adapté à leurs particularités, la gratuité partielle constituant un premier pas dans cette direction.

Enfin, nos travaux nous conduisent à deux réflexions plus larges : l’une sur la mobilité entre zone rurale et zone urbaine, l’autre sur la « démobilité ». Attention aux distorsions entre des territoires peu ou pas dotés en transports en commun et des centres urbains disposant de l’ensemble des services, qui sont de surcroît gratuits.

En réalité, la question qui se pose est celle de notre projet urbain, de la taille de nos villes, de l’étalement urbain, de la dissociation entre les zones d’activités économiques et les zones d’habitat. Alors que les centres-villes de nos communes moyennes sont en déshérence, que la transition agricole nécessite une multiplication des emplois et, donc, une forme d’exode urbain, nous sommes amenés à considérer que c’est finalement dans un rapport différent au territoire que la gratuité pourrait trouver toute sa place.

Mme la présidente. Il faut conclure !

M. Guillaume Gontard, rapporteur de la mission d’information. Pour rebâtir un modèle économique résilient, capable de résister aux aléas financiers et respectueux de l’environnement, il faut s’appuyer sur des projets locaux et refonder les économies à partir de circuits courts autour de nos villes. C’est également la manière la plus efficace de résorber la fracture territoriale et d’envisager, dans une perspective tant sociale qu’écologique, tout autant qu’un droit à la mobilité, un droit à la démobilité !

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