L’intelligence artificielle est un sujet dont les enjeux économiques sont proportionnels aux progrès spectaculaires obtenus par la recherche en la matière. L’accroissement rapide et imprévisible des tâches potentiellement automatisables nous amène à nous interroger sur les activités humaines futures.
On passe d’un système où les emplois très manuels et ceux qui sont fondés sur les talents semblaient préservés de l’automatisation à un scénario de transformation qui touche potentiellement beaucoup plus de monde.
Ainsi, selon le Conseil d’orientation pour l’emploi, ou COE, la destruction d’emplois pourrait être moins étendue que nous le pensons et se chiffrer à moins de 10 % des emplois. Néanmoins, l’automatisation entraînerait une transformation importante d’un emploi sur deux. En effet, d’après un rapport du Conseil national du numérique de mars 2017 visant à anticiper les impacts économiques et sociaux de l’intelligence artificielle, les conséquences seraient « moins destructrices que transformatrices du travail ».
Le but à atteindre est de créer de la valeur dans le travail pour toutes et tous, de donner plus de pouvoir et d’intelligence et non pas de mécaniser les humains. Les politiques publiques, nationales et régionales, doivent être mobilisées pour construire une vision positive de l’intelligence artificielle, ce qui nécessite de placer la formation au cœur du travail.
En cela, l’intelligence artificielle rejoint notre projet « sécurité emploi-formation », qui vise à permettre à chaque travailleuse et à chaque travailleur d’alterner emplois stables et correctement rémunérés et formations permettant d’accéder à de nouveaux emplois.
L’intelligence artificielle peut soit provoquer une hémorragie des emplois dans certains secteurs professionnels, soit, au travers d’une redistribution des gains de productivité, financer des formations évolutives et une montée en gamme des qualifications. Tout dépend de la volonté politique.
Monsieur le secrétaire d’État, êtes-vous d’accord pour que l’on utilise l’intelligence artificielle afin de libérer le salarié du travail fastidieux et répétitif, en réduisant la charge et le temps de travail ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargé du numérique. Monsieur le sénateur, vous abordez plusieurs questions : la transformation du travail, les économies liées à l’intelligence artificielle et la capacité que nous aurons à la maîtriser.
Vous avez cité le rapport du COE et évoqué celui du Conseil national du numérique, qui a été rendu à l’époque où j’en étais le président. Je me permettrai donc de rappeler que, même dans ce cas, il ne faut pas s’engager sur les chiffres ; il ne faut compter que sur une chose : la résilience de notre société et notre capacité à maintenir et à nourrir notre modèle social.
Le pacte social français, ce qui fait la France en somme, est d’avoir décidé de socialiser le risque de santé et celui de la perte d’emploi. Ce modèle fait partie du socle qui est commun à tous les membres des deux assemblées. Certes, ce qui différencie historiquement les uns des autres, c’est le niveau des cotisations et des paiements, le coût à assumer, mais nous avons tous la conviction qu’être Français, c’est ne laisser personne sur le côté. Voilà ce que le Gouvernement porte : encore une fois, un équilibre entre performance et humanité.
Qu’est-ce que cela signifiera quand on n’aura peut-être pas assez d’emplois pour tous, quand, peut-être, 50 % à 100 % les emplois seront transformés dans un temps très court ? Eh bien, il restera cette philosophie de la résilience et cette idée de l’équilibre ; il faudra offrir à chacun la capacité de rebondir, qui est essentielle.
Quand aura lieu cette transformation ? Nous avons eu, durant la campagne présidentielle, un débat sur le revenu universel. Néanmoins, nous avons estimé – message important – que ce n’était pas le moment de parler de ce sujet, car la question du revenu universel ne se pose pas maintenant. Le sujet, aujourd’hui, ce sont les compétences et la création d’une allocation chômage universelle pour toutes les personnes, quel que soit leur statut d’emploi actuel. Cela contribuera à nous préparer aux transformations à venir.
Le débat aura bientôt lieu ici sur ces sujets. Quand Mme Muriel Pénicaud évoque la transformation de la formation professionnelle, quand on parle de rendre accessibles les allocations chômage aux entrepreneurs ou aux démissionnaires, c’est bien dans l’idée que nous allons traverser, dans les cinq, dix ou quinze années à venir, un changement majeur dans la vie de chaque citoyen travailleur. Chacun va devoir se former à nouveau, chacun va peut-être passer quelques mois ou quelques années sans emploi, période durant laquelle il lui faudra pouvoir continuer à vivre dignement.
C’est pourquoi cette capacité à se transformer et à transformer notre outil de solidarité est essentielle au vu des changements que nous allons subir. Quinze milliards d’euros vont être engagés dans le plan d’investissement pour les compétences ; le débat sera long sur la transformation de l’assurance chômage, mais il sera essentiel et nécessaire : voilà les premières briques de la préparation sociale à cette transformation scientifique et sociétale !