Il n’y a pas dans le CETA de référence claire au principe de précaution

Conseil européen des 20 et 21 octobre 2016

Publié le 19 octobre 2016 à 15:32 Mise à jour le 24 octobre 2016

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le prochain Conseil européen abordera notamment les questions relatives au commerce international. Permettrez-moi de m’en tenir à ce seul sujet dans mon intervention aujourd’hui.

Comme vous le savez, le groupe CRC a déposé une proposition de résolution européenne sur les conditions de la ratification de l’accord économique et commercial global entre l’Union européenne et le Canada, le fameux CETA. Cet accord pourrait être signé dans huit jours.

Si nous nous réjouissons que le débat sur le CETA ait enfin pu commencer au Sénat, sur notre initiative, notamment avec l’audition de M. Matthias Fekl, secrétaire d’État chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l’étranger, nous déplorons en revanche, et c’est normal, que notre proposition de résolution européenne, dans laquelle nous invitions le Gouvernement à refuser la mise en œuvre provisoire de l’accord sans consultation préalable des parlements nationaux, n’ait pas été adoptée.

Une proposition de résolution rejoignant la nôtre a été présentée à l’Assemblée nationale, mais elle a malheureusement connu le même sort, alors qu’elle reprenait en grande partie le contenu d’une lettre signée par 100 députés issus principalement de la majorité – ils sont 120 à l’avoir signée aujourd’hui – et adressée au Président de la République le 21 septembre dernier. Nous partageons l’inquiétude de ces collègues.

À cet égard, j’indique, en réponse aux propos de M. le secrétaire d’État hier selon qui notre opposition serait idéologique, que nous ne sommes pas défavorables par principe aux accords commerciaux internationaux. Simplement, des problèmes de contenu et de procédure se posent et méritent d’être soulevés.

À ce jour, notre position demeure inchangée. Elle est d’ailleurs partagée par un grand nombre de nos concitoyens français et européens, voire canadiens. Selon un récent sondage Louis Harris, 62 % des Français souhaitent que la France mette fin aux négociations des deux traités transatlantiques, 80 % sont opposés à toute application provisoire et 81 % estiment que ces textes remettent en cause les normes protégeant la santé, la qualité de l’alimentation et l’environnement. En Europe, comme en Allemagne, en Belgique, et même en France, les manifestations se multiplient depuis plusieurs semaines.

Sur la forme, le CETA a été négocié, cela a été dit sur ces travées et par Matthias Fekl, dans l’opacité la plus absolue entre la Commission européenne et le gouvernement canadien. Il n’a jamais fait l’objet d’une quelconque présentation devant les parlements nationaux. Ces derniers ne disposent que de très peu d’informations. En outre, aucune étude d’impact économique n’a été réalisée sur les conséquences de l’application d’un tel accord. Ce dernier porte pourtant sur la presque totalité des activités économiques et aura des conséquences très importantes dans la vie des citoyens des deux côtés de l’Atlantique.

Si cet accord était signé, ses dispositions relevant de la compétence communautaire s’appliqueraient de manière provisoire immédiatement, pour une durée d’au moins trois ans. Or, même si le périmètre exact de ces dispositions n’est pas connu à ce jour – encore une aberration démocratique ! –, la majeure partie de l’accord concerne la compétence communautaire.

Sur le fond, plusieurs dispositions du CETA nous paraissent inquiétantes, ce malgré la déclaration interprétative conjointe du 6 octobre dernier, rédigée par la Commission européenne et le Canada pour tenter d’apaiser les craintes, et dont les précisions n’ont par ailleurs, selon de très nombreux juristes, aucun caractère contraignant. Que penser d’ailleurs du recours à une déclaration dite « interprétative » ? Le contenu de l’accord serait-il à ce point ambigu qu’il soit nécessaire de l’interpréter ?

Le système d’arbitrage instauré dans l’accord CETA, s’il prévoit désormais l’établissement d’une cour arbitrale permanente, continue de soulever d’importantes préoccupations.

Bien sûr, il convient de saluer la modification du règlement des différends entre investisseurs et États, auquel la France a beaucoup contribué.

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. C’est vrai !

M. Michel Billout. La démonstration est ainsi faite qu’un accord peut évidemment être renégocié jusqu’au moment de sa signature. La Commission européenne n’a pourtant eu de cesse d’expliquer qu’il était impossible de toucher à l’équilibre fragile du CETA…

Pour autant, la création d’une cour permanente d’arbitrage, l’ICS, ou Investment Court System, ne répond qu’en partie aux problèmes soulevés. L’ICS demeure un système d’arbitrage qui permet une justice parallèle, unidirectionnelle, des droits disproportionnés accordés aux très grandes entreprises. Le texte ne précise pas les modalités pratiques du mécanisme d’appel et ne mentionne aucune mesure anti-contournement. Le système ainsi envisagé pourrait permettre à des multinationales de poursuivre les gouvernements et de leur demander des dédommagements. Cette modification ne répond donc que trop partiellement aux demandes formulées dans la proposition de résolution européenne que nous avons adoptée dans cette enceinte même à l’unanimité.

Il est d’ailleurs intéressant de noter à ce sujet la lettre très argumentée de onze universitaires canadiens, tous spécialistes de l’arbitrage privé, dénonçant les risques encourus, même avec l’ICS. Par ailleurs, l’Association des magistrats allemands et l’Association européenne des juges considèrent que la nouvelle proposition de la Commission relative au règlement des différends altère l’architecture juridique de l’Union européenne et sape les pouvoirs des juges nationaux au titre du droit européen. Elles appellent la Cour de justice de l’Union européenne à se pencher sur la question et à livrer une opinion.

D’autres aspects de l’accord méritent d’être relevés tant ils peuvent peser sur les normes environnementales, sanitaires et sociales, en termes de santé et de droits sociaux notamment.

Il n’y a pas, par exemple, de référence claire au principe de précaution dans l’accord CETA. La législation canadienne, comme la législation américaine, ne reconnaît pas ce principe. La déclaration interprétative conjointe du 6 octobre ne le mentionne pas non plus.

En matière d’agriculture, Mathias Fekl s’est voulu rassurant lors de son audition au Sénat en soulignant la reconnaissance par le Canada d’indications géographiques protégées et la suppression de 92 % des droits de douane canadiens. En réalité, même s’il s’agit d’un progrès – nous ne le contestons pas –, seuls 24 % des appellations d’origine contrôlée et 6 % des indications géographiques protégées françaises ont été reconnus par le Canada.

Déjà frappées par des crises touchant de nombreuses productions, plusieurs filières agricoles françaises et européennes, en premier lieu les filières porcine et bovine, risquent de voir leur situation se détériorer à la suite de l’entrée en vigueur du CETA et de la négociation de droits de douane abaissés, couplés à des quotas d’importations canadiennes.

En matière d’environnement, enfin, précisons que le CETA ne reconnaît pas les décisions de l’accord de Paris sur le climat. Certes, le CETA a été négocié avant ce dernier. Sachant que le Canada rejette le principe de précaution environnementale, de nombreuses organisations, comme la Fondation Nicolas Hulot, se sont inquiétées de la création d’une porte d’entrée en Europe pour une potentielle exploitation des gaz de schiste ou des sables bitumineux, par exemple.

Pour toutes ces raisons, nous jugeons que la signature de l’accord CETA et son application anticipée sont inacceptables en l’état, à l’instar du parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Il s’agit non pas de s’opposer de manière frontale au CETA, mais de dire que nous ne disposons pas aujourd’hui d’éléments suffisants pour porter un jugement sur ce traité.

À cet égard, que penser de l’ultimatum fixé à vendredi par la Commission européenne à la Belgique pour la contraindre à dire oui à la signature de l’accord ? Je ne pense pas que l’Union européenne, compte tenu de la crise de légitimité qu’elle traverse, puisse se permettre de dicter sa conduite à un État souverain, encore moins de le menacer.

Les membres du groupe CRC appellent donc le gouvernement français à prendre en compte ces remarques et à reconsidérer sa position.

Si cet accord entre l’Union européenne et le Canada est à ce point bénéfique pour nos économies respectives, exemplaire pour ce qui concerne les normes sociales et environnementales, s’il garantit de manière explicite que les grands groupes industriels ou financiers ne pourront porter atteinte à la liberté des États de légiférer, pourquoi refuser qu’il soit soumis à l’examen et à l’avis des parlements nationaux préalablement à toute application anticipée ?

Pourquoi ne pas nous laisser le temps d’être complètement informés sur le contenu de l’accord – nous avons été privés d’informations à cet égard –, de réaliser les études d’impact indispensables à sa mise en œuvre, ou encore d’organiser les débats nécessaires à la rédaction de protocoles additionnels, seuls à même de rendre ce traité plus respectueux des normes sociales, environnementales et légales européennes ?

On a souvent martelé l’argument selon lequel le CETA serait la meilleure garantie contre un mauvais accord avec les États-Unis. Pour ma part, je pense que, compte tenu de la totale opacité dans laquelle se déroulent les négociations, une procédure de ratification exemplaire permettrait d’envisager beaucoup plus positivement ces traités globaux de commerce et d’investissement, dits « de nouvelle génération ».

Michel Billout

Ancien sénateur de Seine-et-Marne
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