Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le débat, qui s’ouvre aujourd’hui grâce au travail des rapporteurs des deux missions considérées, porte sur les mesures qui ont été adoptées dans le cadre de la loi du 30 décembre 2006 sur l’eau et les milieux aquatiques et sur ce que nous devrions améliorer, corriger, inventer.
Le premier rapport établit un bilan national et le second a pour finalité de proposer des mesures, afin de prévenir la survenance des conflits d’usage de l’eau. Son objet se limite à l’eau douce et n’aborde pas les enjeux géostratégiques. Les propositions émises restent donc limitées à la France, mais le constat d’urgence, que nous partageons sans réserve, dépasse largement nos frontières. D’ailleurs, le rapport de la délégation à la prospective évoque le lien, désormais incontestable à l’échelon planétaire, entre le dérèglement climatique et les tensions sur la ressource en eau.
L’ONU a adopté, dans le cadre de son programme de développement durable, un objectif n°6, qui invite à « garantir l’accès de tous à l’eau et à l’assainissement et assurer une gestion durable des ressources en eau ». En outre, les travaux de la COP 22 prévoient d’aborder cette thématique plus précisément.
Il est de la responsabilité des États, des collectivités et des entreprises de mettre en œuvre, concrètement et sans attendre, cet objectif à l’échelle nationale, comme internationale, en reconnaissant enfin l’eau comme un patrimoine commun de l’humanité, un bien commun supérieur pour l’ensemble du vivant.
Or face à l’ampleur de la tâche et à l’urgence vitale, un long chemin reste à parcourir.
Ainsi, d’après les chiffres donnés par les Nations unies, 663 millions de personnes dans le monde sont encore privées d’eau potable et au moins 1,8 milliard d’individus utilisent une source d’eau potable contaminée, notamment par des matières fécales – la catastrophe actuelle à Haïti montre les ravages sanitaires d’une telle situation.
Plus de 80 % des eaux usées résultant des activités humaines sont déversés dans les rivières ou à la mer sans aucune dépollution et, chaque jour, 1 000 enfants meurent de maladies, pourtant faciles à prévenir en améliorant les conditions d’assainissement et d’hygiène.
Aujourd’hui, la pénurie d’eau affecte plus de 40 % de la population mondiale, et ce pourcentage devrait augmenter. Plus de 1,7 milliard de personnes vivent actuellement dans des bassins fluviaux, où l’utilisation de l’eau est supérieure à la quantité disponible et se fait également au détriment des écosystèmes.
Comme le décrit le rapport de la délégation à la prospective, le dérèglement climatique accélère ces phénomènes et crée de nouvelles tensions sur l’eau et la biodiversité. Le stress thermique pour les populations de poissons ou les phénomènes d’eutrophisation et d’évaporation inhérents à l’augmentation de la température et qui risquent d’accentuer la concentration des sels dans les sols ne constituent que quelques exemples. La liste est longue des maux auxquels nous devons nous préparer.
C’est pourquoi nous vous rejoignons sur le réalisme dont nous devons faire preuve, comme sur la solidarité qui doit guider nos actions.
Mais après la lecture des propositions, au moment de l’action, je formulerai quelques réserves.
Tout d’abord, quelques remarques liées aux propositions de la mission d’information sur le bilan de l’application de la loi de 2006.
Pour ce qui concerne la gestion qualitative de l’eau, nous dénonçons, comme vous, le prélèvement par l’État sur le fonds de roulement des agences de l’eau. Il serait d’ailleurs bon que cette position soit réaffirmée chaque année, quel que soit le gouvernement en place… J’écouterai avec attention les propos qui seront tenus l’année prochaine sur ce sujet… (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Rémy Pointereau. Aurions-nous déjà gagné ?...
Mme Évelyne Didier. Nous pensons également qu’il est utile de privilégier des solutions locales pour associer l’ensemble des acteurs à la concertation.
Dans sa contribution annexée au rapport de la délégation à la prospective, l’Association des maires de France signale, à juste titre, la difficulté née de la réforme territoriale, qui impose un cadre territorial et administratif, alors que les élus locaux prônaient une rationalisation des services de l’eau et de l’assainissement.
Il faut absolument prendre en compte les facteurs physiques géographiques de la qualité et de la proximité de la ressource en eau.
Pour ce qui concerne la gestion quantitative de l’eau, vous avez raison, monsieur Lozach, la ressource ne se crée pas, elle se gère ! Or l’état des réseaux est préoccupant : 25 % de l’eau prélevée n’arriverait pas à l’usager et, dans certains secteurs, ce pourcentage est encore plus élevé. Connaître les réseaux, les réparer et les entretenir entraîne des coûts, que les collectivités ne peuvent pas supporter seules.
Et si la vente d’eau génère des bénéfices, alors ceux-ci doivent financer ce qui, pour nous, doit être un service public !
Nous sommes évidemment favorables à un soutien financier aux collectivités pour financer l’assainissement et lutter contre les fuites sur les réseaux d’eau potable, ainsi qu’à la mise en place d’un plan d’action visant à acquérir une connaissance approfondie de ces réseaux, afin de rechercher et réparer les fuites ou renouveler les conduites.
Je dirai maintenant quelques mots sur ce qui, à mon sens, manque dans les propositions.
D’une part, les rapports évoquent la question des pollutions diffuses. À ce sujet est cité le rapport d’évaluation de la politique de l’eau établi par Anne-Marie Levraut au mois de septembre 2013 et rappelé que la moitié des masses d’eau sont dégradées du fait de pollutions diffuses d’origine agricole : utilisation de nitrates ou de pesticides. Mme Levraut concluait son rapport par cette phrase : « L’enjeu est de passer d’une multitude d’actions curatives à une approche préventive cohérente et à la bonne échelle, tirant ainsi les conséquences de la reconnaissance d’un cycle de l’eau unique au bénéfice de tous les usages. »
Mais voilà, les propositions qui devraient en découler restent timides. Certes, des progrès doivent être relevés, comme en témoigne l’application de la directive Nitrates, mais on constate également des rendez-vous manqués.
Un exemple récent : lors de l’examen du projet de loi relatif à la biodiversité, le parlement français n’a pas voulu interdire la culture des plantes tolérantes aux herbicides. Pourtant, dès 2011, un rapport de l’Institut national de la recherche agronomique, l’INRA, et du Centre national de la recherche scientifique, le CNRS, sur cette question, commandé par les ministres de l’agriculture et de l’écologie, notait que l’emploi de ces variétés tolérantes aux herbicides conduisait mécaniquement à des teneurs plus élevées des molécules chimiques dans les eaux et augmentait le risque d’atteindre les taux limites réglementaires pour la potabilité.
D’autre part, le rapport de la délégation à la prospective note à propos de l’eau virtuelle, c’est-à-dire la quantité d’eau nécessaire pour produire des biens de consommation, que « c’est une notion importante, car elle est de nature à modifier les ordres de grandeur du commerce international » et que la négliger reviendrait à déplacer nos problèmes sur les pays qui sont déjà en difficulté. Nous sommes en accord avec cette affirmation. L’économie mondialisée déplace effectivement nombre de problèmes vers les pays les plus pauvres et les populations les plus vulnérables. C’est la raison pour laquelle il faut développer une économie circulaire de proximité, respectueuse, de fait, de l’environnement et des hommes. L’économie de l’eau en est le cœur.
Enfin, je regrette que le droit à l’eau pour les plus démunis n’ait pas été évoqué dans les rapports. Tout le monde n’a pas accès à l’eau potable en France. C’est une réalité que nous devons combattre avec détermination.
M. Roland Courteau. C’est vrai !
Mme Évelyne Didier. C’est aux collectivités locales qu’incombe cette responsabilité, et il faut les y aider.
Pour conclure, je tiens à saluer le travail utile et intéressant réalisé dans le cadre de ces deux rapports complémentaires qui nous permet de poursuivre notre réflexion sur des sujets aussi essentiels.