Je voudrais d’abord, madame la ministre déléguée, saluer l’excellente initiative de nos collègues du groupe Les Républicains d’avoir proposé ce débat sur la régulation des Gafam. Il aurait mérité, je crois, plus de temps encore.
M. Gérard Longuet. Merci !
M. Éric Bocquet. J’ai même applaudi les propos introductifs de notre collègue Jean-Raymond Hugonet.
En une génération, en effet, le numérique a complètement transformé le monde et nos sociétés. Chaque minute, sur la planète, l’être humain produit 300 000 tweets 15 millions de SMS, 204 millions de mails, et 2 millions de mots clés sont tapés dans le moteur de recherche de Google. Les technologies de l’information et de la communication sont plus répandues aujourd’hui que l’électricité sur la planète.
Toutes ces pratiques fournissent une matière première considérable, les données, que nous offrons gratuitement aux Gafam. Les entreprises du numérique ont atteint un poids financier et économique considérable. La valeur en bourse de l’entreprise Apple a dépassé le seuil des 2 000 milliards de dollars, soit la moitié du PIB du Royaume-Uni.
Mes chers collègues, le débat n’est pas aujourd’hui d’être pour ou contre le numérique ; la question est bien la nécessité évidente d’une régulation.
Pendant la récente campagne de l’élection présidentielle aux États-Unis, effectivement, le démantèlement de ces grands groupes fut évoqué.
En somme, l’objet de ces groupes est d’éliminer du monde toute marge d’incertitude, de rendre le monde et l’humanité prévisibles, de créer une sorte de marché de la certitude totale.
Je citerai pour conclure cette phrase d’une universitaire américaine, Mme Shoshana Zuboff : « Les capacités du numérique perfectionnent la prédiction et le contrôle comportemental, permettant à la connaissance parfaite de supplanter la politique comme moyen collectif de prise de décision. »
Facebook comptait en 2016, 1,6 milliard d’usagers ; ils sont désormais 2,8 milliards. Madame la ministre, n’y a-t-il pas un risque, selon vous, qu’une croissance illimitée des Gafam ne vienne défier un jour la souveraineté des États et la démocratie ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’industrie. Monsieur le sénateur Bocquet, tout l’objet du débat de cet après-midi est de pointer du doigt l’empreinte extraordinaire des plateformes numériques sur nos vies, combien elles peuvent, éventuellement, représenter une concurrence déloyale en matière économique, mais également nuire au débat démocratique et à sa qualité.
Tout l’enjeu, pour nous, responsables politiques – et la question dépasse le cadre national ; cet enjeu est international et engage la responsabilité de l’Union européenne et des différentes instances du multilatéralisme –, est de savoir comment nous allons parvenir à mettre en place une régulation, sans tomber dans le piège de la censure – ce qui peut facilement arriver : on se souvient des questionnements qu’ont suscités la fermeture un peu emblématique, en tout début d’année, du compte d’un personnage exerçant une fonction très importante.
Inversement, il ne faut pas être naïf et il faut se doter d’outils nationaux et transnationaux de régulation. Le choix que nous avons fait consiste à agir à l’échelon national et européen, à nous doter de moyens de contrôle humains tout en permettant l’adoption de sanctions financières de manière à reprendre la main sur la régulation. C’est tout le sens de la politique que nous menons aujourd’hui.
Je constate un certain consensus sur les travées de cette assemblée, ce qui me semble être une très bonne chose. Cela indique que nous sommes parvenus à un point de maturité : l’enjeu, c’est de réussir à trouver ensemble les moyens de cette régulation en préservant un juste équilibre entre, d’une part, la liberté d’opinion, de publier des posts, de travailler et d’entreprendre, et, d’autre part, la régulation et la protection des consommateurs et des citoyens – j’insiste sur ce dernier mot.
M. le président. La parole est à M. Éric Bocquet, pour la réplique.
M. Éric Bocquet. L’outil numérique est une magnifique illustration de l’intelligence humaine ; il peut être un outil fantastique d’émancipation. Sans intervention politique, le risque existe qu’il se transforme en un outil de contrôle et d’asservissement de l’humanité.
Les Gafam imposent leur fiscalité – notre collègue l’a rappelé –, ils ont déjà imposé leur langue – on l’a entendu. Quoi d’autre demain ? Leur pensée ? Leur monnaie ? Leur vision du monde ? Je pose la question.