La connaissance doit être la première visée de l’université et de la recherche

Loi LRU

Publié le 11 juin 2013 à 17:48 Mise à jour le 8 avril 2015

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la loi relative aux libertés et responsabilités des universités, dite « loi LRU », de 2007 et le pacte pour la recherche de 2006 ont profondément bouleversé le paysage de l’université et de la recherche. En faire le bilan est une nécessité, alors que nous nous apprêtons à examiner le projet de loi d’orientation pour l’enseignement supérieur et la recherche, ou ESR.

Le rapport-bilan de la LRU, présenté conjointement par nos collègues Dominique Gillot et Ambroise Dupont, nous éclaire sur les principes et la visée qui président à la réforme de l’ESR qui nous est aujourd’hui proposée. On se souvient que, lors de son examen et de son adoption, le projet de loi LRU avait fait l’objet de fortes divergences entre la gauche et la droite.

Pour être complet, le bilan de la loi LRU doit cependant s’accompagner de celui du pacte pour la recherche de 2006, qui participe d’une même logique. De même, il faut prendre en compte des dispositifs non législatifs, tels que les initiatives d’excellence, qui s’inscrivent dans la même visée.

La loi LRU et le pacte pour la recherche sont marqués par une vision utilitariste de l’université, ancrée dans le rayonnement et la compétitivité internationale, selon des critères définis par le Conseil européen de Lisbonne de 2000 et aux termes desquels l’université doit devenir un acteur incontournable de la compétitivité européenne dans l’économie de la connaissance.

Dans une telle perspective, l’université et la recherche visent d’abord l’employabilité et la croissance économique. Cela aboutit à privilégier la recherche appliquée au détriment de la recherche fondamentale, et les sciences dites « dures » au détriment des sciences humaines et sociales.

Pour le groupe CRC, la connaissance est la première visée de l’université et de la recherche. L’obsession économique aboutit à une hiérarchisation des savoirs que nous récusons.

Quant à la recherche publique, elle est asservie aux intérêts du privé. Pis, la recherche privée est financée par des fonds publics ! La montée en puissance du crédit d’impôt recherche, avec ses 5 milliards d’euros d’exonération fiscale en 2012, attribués principalement à de grandes entreprises, en est l’exemple le plus emblématique.

Pour autant, cela n’empêche pas la fermeture de pôles de recherche et de développement, comme en témoigne l’exemple de Sanofi, nous amenant à nous interroger sur l’efficacité de ce dispositif.

Les universités s’organisent désormais en pôles de recherche et d’enseignement supérieur, ou PRES, censés s’adapter et répondre aux besoins socio-économiques spécifiques du territoire. La conséquence en est la restructuration de l’enseignement supérieur autour d’une dizaine de pôles de visibilité mondiale, que les initiatives d’excellence ont confortés. La rupture avec le principe d’égalité territoriale s’en trouve renforcée, ce qui est grave pour l’avenir de l’enseignement, de notre jeunesse, de nos territoires et, donc, de notre pays.

Un écart important s’est créé entre quelques grandes universités d’excellence, auxquelles est affecté l’essentiel des moyens, et les autres universités, délaissées, qui accueillent pourtant la majorité des étudiants, Mme Gillot l’a d’ailleurs souligné dans son rapport.

Ces réformes ont donc abouti au développement d’un système universitaire à deux vitesses, tout en favorisant le déploiement de partenariats public-privé. La loi LRU n’a pas permis de faire émerger des espaces de coopération et d’échanges nécessaires et harmonieux sur un même territoire, créant seulement des « super structures ». Selon moi, nous n’avons pas assisté à une révolution culturelle !

Comme on le sait, cette loi a aussi permis le passage aux responsabilités et compétences élargies, les RCE, confiant aux universités autonomie budgétaire et gestion des ressources humaines, censées être compensées par une dotation budgétaire de l’État. Le contrecoup a été le développement de la précarité, du fait même de l’autonomie budgétaire et de l’absence de compensation suffisante du GVT par l’État.

Les RCE ont confié aux universités la gestion de la pénurie provoquée par un budget de l’enseignement supérieur en berne. Ainsi dix-neuf universités étaient-elles en déficit à la fin de l’année 2012 ; la moitié d’entre elles pourrait l’être l’an prochain. Elles se voient contraintes de fermer des formations, en priorité en sciences humaines et sociales, et de supprimer des postes pour atteindre l’équilibre budgétaire.

La logique de financement sur projets de court terme portée par l’Agence nationale de la recherche, l’ANR, a contribué à accroître la précarité. Celle-ci atteint des proportions extrêmement inquiétantes, avec 30 % à 35 % de personnels précaires dans l’enseignement supérieur et la recherche, contre 17 % en moyenne dans le reste de la fonction publique. Cette situation, qui concerne environ 50 000 personnes, est particulièrement préoccupante.

La loi LRU a également miné la collégialité des décisions et la démocratie universitaire, renforçant les pouvoirs du président d’université, diminuant ceux du conseil scientifique et du conseil des études et de la vie universitaire, réduisant le nombre de membres du conseil d’administration, au détriment des étudiants et personnels non-enseignants.

Enfin, la logique de l’évaluation de l’AERES, l’Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur, mise en place par le pacte pour la recherche, est très mal vécue. L’évaluation, jusqu’alors effectuée par les pairs, est désormais confiée à des personnalités non élues. Les chercheurs sont soumis à des contrôles permanents, qui ont pour conséquence l’accroissement des tâches administratives pour des évaluations parfois répétitives, au détriment du temps consacré à la recherche. Comment ne pas conclure à un besoin urgent de rupture claire et forte ?

Hélas, les conclusions du rapport ne remettent en cause ni la loi LRU ni le pacte pour la recherche. L’abrogation de cette loi ne serait, nous dit-on, ni souhaitable ni comprise, car elle aurait permis une « dynamique de progrès ». Si le succès n’est pas au rendez-vous, ce serait avant tout une question de temps – mais aussi de moyens, concèdent tout de même nos collègues dans leur rapport.

Face au déficit d’un nombre croissant d’universités, les auteurs du rapport identifient des difficultés de « mise en œuvre ». C’est non pas le principe même du passage à l’autonomie financière par les responsabilités et compétences élargies qui est alors évoqué, mais l’absence d’évaluation réelle du transfert des charges et de moyens aux universités au moment du passage aux RCE, tout comme les insuffisances du modèle censé opérer un rééquilibrage financier, le logiciel SYMPA – jolie appellation, madame la ministre, mais ce qui serait réellement « sympa », c’est que les moyens soient plus importants. (Sourires.)

Quant aux pôles de recherche et d’enseignement supérieur, les PRES, s’ils ont un défaut, ce serait d’être insuffisamment structurants, et non pas d’avoir alimenté un système universitaire à deux vitesses en concentrant l’essentiel des moyens, y compris extrabudgétaires avec les initiatives d’excellence, sur quelques grands pôles, au détriment des autres.

La précarité des personnels est évoquée, mais le lien avec l’autonomie budgétaire ou la logique de financement sur projet de l’Agence nationale de la recherche, l’ANR, n’est pas mis en évidence par le rapport.

Enfin, l’AERES, l’Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur, unanimement dénoncée par la communauté scientifique, semble épargnée.

Loin d’être remise en cause, la loi LRU devrait donc trouver les moyens de sa bonne application.

Voilà un bilan aux antipodes de celui que nous dressons. L’enseignement supérieur et la recherche ont pourtant besoin de ruptures claires et profondes avec les logiques mises en œuvre par le précédent gouvernement.

Commençons par le reflux rapide et significatif de la précarité, afin de permettre enfin l’élévation du niveau de connaissances pour le plus grand nombre, dans une société où les savoirs sont de plus en plus complexes, mais indispensables. La démocratisation de l’université est essentielle. Elle doit jouer le rôle d’ascenseur social, demain encore plus qu’hier.

Vous l’aurez compris, mes chers collègues, c’est donc sous cet angle que nous examinerons la semaine prochaine le projet de loi relatif à l’enseignement supérieur et à la recherche.

Michel Le Scouarnec

Ancien sénateur du Morbihan
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