Il faut sortir de la logique d’un financement prioritairement assuré en fonction de l’activité

Financement de l'hôpital

Publié le 1er octobre 2012 à 09:55 Mise à jour le 8 avril 2015

Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, dire que notre système de santé est aujourd’hui confronté à des enjeux de taille est un doux euphémisme. La crise financière, économique et sociale que notre pays traverse depuis maintenant plusieurs années n’est pas sans conséquence sur nos concitoyens et sur les structures solidaires qui participent à notre système sanitaire.

D’un côté, la dégradation massive de l’emploi, marquée par le dépassement dramatique du seuil de 3 millions de chômeurs, affaiblit considérablement le financement de notre protection sociale. Les déremboursements successifs, les franchises médicales, la hausse de la fiscalité sur les mutuelles complémentaires et les sanctions financières en cas de non-respect du parcours de soins aggravent les inégalités d’accès aux soins et les renoncements pour motifs économiques.

De l’autre, les politiques comptables d’austérité appliquées sans discontinuité à l’hôpital public – je pense particulièrement à la tarification à l’activité et à la convergence tarifaire – ont eu pour effet de fragiliser les établissements publics de santé, à un point tel que leur déficit constaté en 2010 est de 460 millions d’euros, dont 334 millions pèsent sur 32 centres hospitalo-universitaires.

Et je ne mentionne pas ici l’obstination coupable de certains à vouloir appliquer aux hôpitaux les mêmes règles de fonctionnement que les cliniques commerciales, ce qui s’est concrétisé par la convergence tarifaire puis par la loi HPST, les hôpitaux étant progressivement transformés en de simples entreprises de soins.

Ce sont finalement les deux volets indispensables à la qualité des soins de nos concitoyens qui sont remis en cause. Les reculs en matière de soins préventifs et de premiers recours se reportent naturellement sur les dépenses hospitalières, aggravant encore la situation précaire des hôpitaux. C’est la raison pour laquelle le groupe CRC considère qu’il est impossible de revoir le financement de l’hôpital sans mener de front une politique plus globale, intégrant, par exemple, la lutte concrète contre les déserts médicaux et les dépassements d’honoraires, la lutte contre les entraves financières aux soins de premiers recours et, naturellement, le financement durable et solidaire de notre système de protection sociale.

En même temps qu’il nous faut donc ouvrir ces chantiers, nous devons répondre au besoin de financement de l’hôpital public, car il y a urgence. C’est notamment ce qu’a déclaré, lors de la conférence de presse organisée jeudi dernier avec Annie David, Isabelle Pasquet et moi-même, le collectif « Notre santé en danger » en appelant à manifester le 6 octobre prochain.

Le Sénat contribue à cette recherche de nouveaux financements et nous appuyons la démarche qui est la sienne et qui est défendue dans le rapport de la MECSS, lequel préconise de mettre un terme à la convergence tarifaire – ce que vous soutenez, madame la ministre.

Or, si le gel est nécessaire, de nombreux tarifs ont déjà été arrêtés sur la base de ce processus d’assimilation du public et du privé. Aussi, il nous faut tirer toutes les conséquences de la proposition formulée dans ce rapport et mettre fin à des situations insoutenables pour les établissements publics de santé.

Mais il faudra également – c’est en tout cas notre conviction – sortir de la logique d’un financement prioritairement assuré en fonction de l’activité. À défaut, les fermetures massives de services ou d’établissement de proximité, notamment les maternités et les centres d’interruption de grossesse, décidées par les agences régionales de santé, sans concertation avec les populations, les personnels et les élus, au seul motif de leur non-rentabilité, se poursuivront.

Outre le caractère antidémocratique de ces mesures, nous ne pouvons accepter ces fermetures, alors même que c’est précisément le mode actuel de financement des hôpitaux qui crée cette non-rentabilité. Le rapport de la MECSS sur le sujet est clair, lorsqu’il souligne que la T2A « est peu adaptée à certaines activités ». Face à ce constat que nous partageons, nous considérons qu’une mesure d’urgence s’impose : l’instauration d’un moratoire sur la fermeture de ces structures de santé.

En même temps, une grande concertation, réunissant l’ensemble des acteurs de la santé, des économistes, les partenaires sociaux et les élus, doit être menée pour réfléchir à l’instauration d’un mode alternatif de financement prenant certes en compte l’activité, mais faisant une place plus importante qu’aujourd’hui aux missions de service public et aux besoins des publics.

Je suis naturellement consciente que ce mode de financement, qui correspond au plus près aux besoins des patients et des établissements, exige de renforcer la part de financement dédiée aux hôpitaux. Et je dois dire que nous sommes inquiets au regard des informations parues dans la presse, faisant état d’une évolution de l’ONDAM probablement égale, voire inférieure, à celle de l’année dernière.

Une telle évolution, compte tenu du niveau d’inflation prévisible, conduira à accroître lourdement la pression sur les établissements de santé, singulièrement sur les CHU. Or certains d’entre eux sont dans des situations intenables ; je pense notamment à celui de Caen.

Mme Nathalie Goulet. Très bien !

Mme Laurence Cohen. Vous le savez, nombreux sont les établissements de santé qui équilibrent leurs comptes en réduisant leur principale dépense, celle en personnels. Cela nuit à la qualité d’accueil et de soins des malades et, en même temps, dégrade les conditions de travail des personnels. La Fédération hospitalière de France considère pour sa part que l’évolution de l’ONDAM devrait être d’au moins 3,5 %. Il semblerait que nous en soyons loin.

Dans ce contexte, tout doit être mis en œuvre pour desserrer l’étau financier qui pèse sur les établissements publics de santé. Le poids des emprunts, dont certains sont toxiques, n’est plus supportable et prive bon nombre d’établissements des ressources dont ils ont pourtant cruellement besoin pour investir. La MECSS propose que ces financements ne reposent plus sur les tarifs ; elle préférerait, par exemple, un financement par le biais du grand emprunt.

Pour sa part, le groupe CRC considère qu’il serait utile, pour les investissements relevant de la dotation d’amortissement – équipements, matériels lourds… – de revenir à des emprunts à taux zéro auprès de la Caisse des dépôts et consignations, la CDC, en organisant la planification et la transparence avant de valider ces emprunts « préférentiels ». Mais le recours à la CDC ne peut être qu’une solution d’urgence et ne doit pas devenir le mode régulier de financement des investissements hospitaliers.

À défaut, on prendrait le risque d’accroître la fracture que l’on constate aujourd’hui, entre des établissements rentables qui pourraient seuls supporter l’emprunt et les établissements les plus en difficulté qui seraient contraints à renoncer aux investissements.

On risquerait ainsi de priver ces derniers des capacités financières nécessaires pour rendre possibles les mises aux normes et, in fine, d’entraîner leur fermeture pour motif administratif. Il est donc impératif que les frais d’investissement et de mise aux normes, dont on sait qu’ils vont croissant, soient financés par l’État.

Régler les problèmes financiers de l’hôpital public nécessite de faire preuve d’innovation et d’audace. C’est pourquoi nous ouvrons le débat sur deux mesures : la suppression progressive de la taxe sur les salaires, qui est profondément injuste et improductive ; la suppression de la TVA – autrement dit, la possibilité de récupérer la TVA sur les investissements, comme cela existe déjà pour les établissements et les cliniques privés.

Madame la ministre des affaires sociales et de la santé, nous sommes très attentifs à vos annonces, concernant notamment la révision de la loi portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, la loi HPST. Comme le Mouvement de défense de l’hôpital public, je pense que cette révision suppose une concertation non seulement avec les professionnels et leurs représentants institutionnels et syndicaux – telle que vous l’avez annoncée –, mais aussi avec les associations de patients, les élus locaux et, plus généralement, la population, afin de pouvoir déboucher sur des états généraux.

Madame la ministre, à l’occasion de la présentation, le 7 septembre dernier, de votre « pacte de confiance », vous avez déclaré avoir une certitude : « celle que l’hôpital public a un avenir parce qu’il est le socle de notre système de santé ».

Mme Nathalie Goulet. C’est vrai !

Mme Laurence Cohen. Vous avez parfaitement raison, et ce discours change de celui que l’on entendait par le passé, lorsque l’hôpital était dépeint en des termes uniquement négatifs et accusé de tous les maux.

Vous pouvez compter sur la pleine mobilisation du groupe CRC à vos côtés, dès lors qu’il s’agira de permettre à l’hôpital de jouer pleinement son rôle, notamment en réaffirmant la mission particulière qui est la sienne au sein du service public de santé, qu’il est grand temps de restaurer.

Nos concitoyens ne sont pas seulement attachés à leurs hôpitaux : ils les perçoivent pour ce qu’ils sont, des biens communs qu’il faut pérenniser et développer, pour l’avenir et pour l’intérêt de toutes et de tous.

Laurence Cohen

Sénatrice du Val-de-Marne
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