Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, depuis 2008 que le combat… le débat, voulais-je dire… (Rires.)
M. le président. C’est la même chose !
M. Philippe Marini, président de la mission commune d’information. Le débat est un combat !
M. Adrien Gouteyron. Lapsus révélateur !
M. Bruno Sido. Chassez le naturel, il revient au galop !
M. Guy Fischer. Vous lisez en moi, chers collègues ! (Sourires.)
Depuis 2008 que le débat et la réflexion sur ce que votre majorité appelle « la prise en charge de la dépendance » a commencé au Sénat, notre conviction de fond a peu évolué…
Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Pour la faire évoluer, c’est dur !
M. Guy Fischer. … et nous demeurons plus que jamais attachés à un principe pour nous essentiel : apporter une réponse solidaire, juste et nationale aux besoins de nos concitoyens.
Cette exigence de justice sociale est d’autant plus importante pour nous que le Président de la République et son Gouvernement s’attachent méthodiquement à mettre à bas ce qui fonde notre République : son caractère social.
Les récentes prises de position du chef de l’État sur ce dossier le confirment. Il entend franchir avec la dépendance une nouvelle étape vers l’instauration d’une société assurantielle. Or un tel modèle de société se situe à l’exact opposé du pacte social qui unit nos concitoyens depuis 1946, c’est-à-dire depuis la mise en œuvre du programme du Conseil national de la Résistance.
Avant de poursuivre cette démonstration, il m’apparaît important de préciser certains concepts fondamentaux qui justifient notre opposition au projet que préparent conjointement le Gouvernement, les parlementaires de sa majorité et les représentants du patronat, des assurances privées et des groupes bancaires.
Tout d’abord, nous ne souhaitons pas que l’on appréhende le débat qui s’annonce sous l’angle restrictif de la « dépendance ». Nous préférons à ce terme l’expression « prise en charge des besoins liés à la perte d’autonomie ».
Vous comprendrez bien que la différence entre ces deux dénominations n’est pas uniquement de nature sémantique. L’expression que nous retenons correspond en effet à une approche globale des besoins des personnes en situation de perte d’autonomie, situation qui peut survenir progressivement, du fait du vieillissement, ou brutalement, à la suite d’un accident ou d’une maladie invalidante.
Pour nous, la perte d’autonomie est la résultante multifactorielle de situations qui jalonnent la vie de tout individu. Ces situations, prévisibles ou non, peuvent mener à une perte d’autonomie physique, psychologique ou cognitive et avoir des répercussions matérielles, sociales et familiales. Elles peuvent être cumulatives, porter atteinte à la dignité, voire à la poursuite de l’existence.
Les personnes qui souffrent d’une perte d’autonomie peuvent se retrouver dépendantes de leurs proches, au premier rang desquels les membres de leur famille, ou de personnes intervenant dans un contexte professionnel. Pour atténuer le risque de dépendance, il est impératif que nous construisions, en amont, une politique publique et solidaire.
L’autre divergence fondamentale que nous avons avec le Gouvernement porte sur le champ de ce que devrait recouvrir la perte d’autonomie. Nous l’avions indiqué en 2008, nous l’avons réaffirmé dans notre contribution au rapport de la mission commune d’information sur la prise en charge de la dépendance et la création d’un cinquième risque, en janvier dernier : nous souhaitons une prise en charge universelle des besoins résultant de la perte d’autonomie. Autrement dit, nous ne voulons pas que ce débat débouche sur des dispositions légales qui écarteraient les personnes en situation de handicap. Bien qu’il s’agisse là de deux manifestations distinctes de la perte d’autonomie pouvant appeler des réponses matérielles et humaines différentes, l’exigence reste la même : éviter que l’autonomie perdue ou en voie de l’être ne se traduise par une destruction, même partielle, du lien social.
La prise en charge de la perte d’autonomie n’a de sens que si elle place au cœur de ses ambitions la satisfaction des besoins propres à chacun de nos concitoyens. Et nous soutenons que le motif invoqué par le Gouvernement pour écarter aujourd’hui l’intégration des besoins liés au handicap dans la prise en charge de la perte d’autonomie est uniquement d’ordre économique.
Madame la ministre, alors que vous participiez aux manifestations célébrant les cinquante ans de l’Union nationale des associations de parents et amis de personnes handicapées mentales, l’UNAPEI – je tiens d’ailleurs à saluer cette fédération pour son travail et ses cinquante ans de combat –, vous avez affirmé : « La réforme se limitera donc aux personnes âgées dépendantes. Dans un contexte budgétaire tendu, c’est là la garantie que cette réforme ne se traduira pas par un recul des droits pour les personnes handicapées, recul qui aurait pu résulter d’une convergence vers le bas. » Autrement dit, pour vous, il ne pourrait y avoir de réformes tendant à renforcer les droits de toutes et de tous ; voilà un bel aveu !
Nous considérons pour notre part que la perte d’autonomie, qu’elle soit due à l’âge ou consécutive à un handicap, doit faire l’objet d’une même prise en charge. C’est d’ailleurs cette conviction qui nous a conduits, dès 2008, à refuser la dénomination de « cinquième risque » utilisée alors.
Cette appellation, issue du secteur assurantiel, à qui vous entendez livrer le marché de la dépendance, n’est pas appropriée à la perte d’autonomie. Pour le groupe CRC-SPG, la vie, ses évolutions, les éventuelles dégradations des conditions d’existence ne sont pas des risques assurantiels ; ce sont des besoins à satisfaire. La référence au risque n’est donc pas neutre : elle s’inscrit dans votre volonté de substituer l’assurance à la solidarité, de faire croire que la seule prévention possible reposerait sur la conclusion de contrats d’épargne ou d’assurance pouvant, le cas échéant, permettre le financement au moins partiel des besoins liés à cette situation. Or la dépendance, pour reprendre votre vocable, n’est ni un risque en soi, ni un risque pour la société.
Tout d’abord, la perte d’autonomie pourrait être considérablement limitée si nous construisions une politique solidaire, une véritable politique de prévention mobilisant toutes les énergies et toutes les solidarités en amont. Cela passe notamment par le développement du concept de design universel ou d’architecture pour tous : l’espace public doit faire l’objet d’une réappropriation par tous les publics. Concrètement, il faut pour cela créer et promouvoir des équipements, des architectures, des environnements simples d’emploi et adaptés au plus grand nombre possible d’utilisateurs. Cela implique de revenir sur l’ensemble des dérogations relatives au bâti et de faire de l’accessibilité pour tous un principe incontournable, un préalable à toute nouvelle construction ou à tout projet pouvant accueillir du public.
Mes chers collègues, si les assurances sont très intéressées par le pactole que pourrait constituer votre conception de la prise en charge de la dépendance, elles ne veulent pas entendre parler du handicap, et ce pour une simple et bonne raison : elles estiment ne rien avoir à y gagner, contrairement à ce qui se passe avec le vieillissement.
En 2008, la Fédération française des sociétés d’assurance, la FFSA, comptait 2 007 600 assurés versant 387,6 millions d’euros de cotisations au titre d’un contrat pour lequel la dépendance était la garantie principale et elle payait 112,4 millions d’euros de rente, soit une différence de 275,2 millions d’euros. En 2009, 2 024 200 assurés versaient 403,1 millions d’euros de cotisations pour 127,7 millions d’euros de rente versés, soit une différence de 275,4 millions d’euros.
Le 8 février dernier, Nicolas Sarkozy annonçait devant le Conseil économique, social et environnemental : « […] je demande à chacun d’entre vous d’examiner toutes les autres options possibles, de n’écarter d’emblée aucune solution, y compris celle de l’assurance, pour des a priori idéologiques. » Derrière cette déclaration se dissimule en réalité l’affirmation, d’emblée, précisément pour des raisons idéologiques, du transfert de la dépendance du champ de la solidarité au domaine marchand.
Notez, mes chers collègues, la contradiction suivante : celui qui déclare ne vouloir écarter aucune piste pour des motifs idéologiques en repousse précisément une : celle de la solidarité nationale !
M. Bruno Sido. Pas du tout !
M. Guy Fischer. C’est pourtant cette piste, et elle seule, qui peut garantir, à l’ensemble de nos concitoyens, un traitement équitable et de nature à répondre à tous leurs besoins.
M. Bruno Sido. C’est excessif !
M. Guy Fischer. C’est pourquoi, pour notre part, nous proposons le principe d’un financement assumé par ces deux piliers que sont la sécurité sociale et le financement public.
Nous suggérons, tout d’abord, de repenser en profondeur le financement de la sécurité sociale et de réformer considérablement les cotisations sociales, afin que celles-ci soient calculées en fonction à la fois de la masse salariale versée par l’entreprise, du niveau de qualification et de la qualité de l’emploi. Cette modulation entraînera immanquablement une modification des comportements des employeurs, favorable à l’emploi et aux rémunérations.
Le financement que nous proposons doit également s’accompagner d’une réforme fiscale conforme à l’idée que nous nous faisons d’une fiscalité juste et redistributive. Il n’est en effet pas acceptable, comme le préconisent les partisans d’une taxation du patrimoine des classes moyennes ou modestes ou de l’instauration d’une seconde journée de solidarité, que ce financement pèse indistinctement sur tous les ménages.
À l’opposé de cette logique, nous voulons créer une contribution supplémentaire portant sur les revenus financiers des entreprises, des banques et des assurances, ainsi que sur les ménages les plus riches. Une telle contribution permettrait de dégager, sur la base des profits réalisés en 2009, près de 40 milliards d’euros pour l’assurance maladie, 25 milliards d’euros pour la retraite et 16 milliards d’euros pour la famille, étant entendu que la part du financement supportée par la sécurité sociale devrait provenir, selon nous, de l’assurance maladie. La dernière étape de cette réforme fiscale résiderait dans la suppression progressive de la CSG, couplée à une réforme des tranches de l’impôt sur le revenu.
Les sommes ainsi dégagées seraient destinées, pour la part issue de la sécurité sociale, au paiement des prestations et, pour les ressources tirées de la fiscalité, au financement d’un pôle public national structuré de manière départementale, chargé non seulement de financer, mais également d’imaginer de manière cohérente une vaste politique d’élaboration de structures d’accueil, de formation, de professionnalisation et de création d’emplois qualifiés en nombre dans le domaine des services d’aide à la personne, en partenariat avec le monde associatif.
Bien que favorables au maintien du caractère national des prestations en cause, garantie d’une égalité territoriale et d’une solidarité nationale entre nos concitoyens, nous n’écartons pas pour autant les départements, qui doivent continuer à jouer un rôle incontournable. Si l’échelon national est plus adapté à la définition des critères servant à l’attribution des prestations, le département doit demeurer le niveau opérationnel de proximité.
Or, on le constate bien aujourd’hui eu égard aux difficultés que rencontrent les départements dans le cadre de la distribution des allocations individuelles de solidarité, notamment l’APA, l’État ne joue plus son rôle. Nous entendons lui permettre d’assurer, grâce à de financements nouveaux, une véritable compensation, à l’euro près, des sommes engagées par les départements.
Madame la ministre, monsieur le président et monsieur le rapporteur de la mission commune d’information, tels sont, exposés de manière nécessairement synthétique, les éléments de réflexion et de proposition que les membres du groupe CRC-SPG entendaient vous livrer et soumettre prochainement à débat, en associant l’ensemble des acteurs intéressés par ce sujet. Ces propositions sont à l’opposé de celles que vous formulez et que, croyez-le bien, nous combattrons.