Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’année 2010 devrait constituer une nouvelle étape de régression pour l’avenir des retraites (M. le rapporteur s’exclame), ce qui inquiète à juste titre les salariés de notre pays. En effet, ils connaissent la manière de procéder de votre majorité : par touches successives, ça passe mieux !
Permettez-moi de faire un bref rappel.
Pour les salariés du privé, l’année 1993 fut celle du passage aux quarante annuités de cotisations, avec la prise en compte des vingt-cinq meilleures années et l’indexation des retraites sur les prix. Il en est résulté une baisse de 10 % à 15 % des pensions pour les carrières complètes et de 20 % à 25 % pour les carrières incomplètes.
D’ailleurs, un rapport du Conseil d’orientation pour les retraites, le COR, a mis en évidence le fait que les principales mesures d’économies provenaient pour 80 % de l’indexation des retraites sur les prix, le passage aux vingt-cinq meilleures années pesant pour 16 % et le passage aux quarante annuités pour 4 % seulement !
À l’époque déjà, l’allongement de la durée de cotisation n’était pas la mesure économiquement déterminante. Mais elle était emblématique et avait pour objet de faire croire à nos concitoyens qu’il n’y avait pas d’autre solution que de travailler encore plus longtemps pour sauver notre système de retraites par répartition.
En 2003, vous avez porté la durée de cotisation pour les fonctionnaires à quarante annuités, sous prétexte d’équité, en instaurant un mécanisme de décote et de surcote. Quant aux deux autres mesures présentées par le Gouvernement de l’époque comme mesures phare, le dispositif « longues carrières » et le rachat des années d’études, elles sont – force est de le constater – d’autant plus insuffisantes qu’elles ont été progressivement vidées de leur substance.
Aujourd’hui, malgré les réformes Balladur, Fillon et celle, plus récente, des régimes dits spéciaux, les comptes sociaux connaissent d’importantes difficultés financières.
En 2009, le déficit de la branche vieillesse a atteint 8,1 milliards d’euros et il devrait atteindre 11,3 milliards d’euros en 2010. Et vous prenez prétexte de cette situation pour tenter d’imposer de nouvelles mesures sur les retraites et pour porter de nouveaux coups à notre système par répartition !
Les déclarations sur le sujet se multiplient, à commencer par celles du Président de la République ou celles du Premier ministre. Vos regards, comme ceux du patronat, convergent en direction de l’Allemagne, qui vient de porter l’âge légal de départ à la retraite à soixante-sept ans à partir de 2012.
Mais, dans le contexte économique actuel, marqué par l’explosion sans précédent du chômage, de la précarité, du temps partiel subi, avec ou sans revenu de solidarité active, le RSA, décider d’allonger la durée de cotisations ou de reculer l’âge de départ à la retraite est un non-sens, d’autant que les deux questions fondamentales que sont l’emploi des seniors et la pénibilité n’ont pas été résolues.
Il faudrait également évoquer, même si ce n’est pas l’objet de notre débat d’aujourd’hui, l’accès à l’emploi des jeunes. Car tout est lié.
En matière d’emploi des salariés âgés de cinquante-cinq à soixante-quatre ans, la France fait figure de dernière de la classe de l’Union européenne, avec seulement 38,2 % de salariés de cette tranche d’âge en activité.
Nous doutons fortement que le mécanisme instauré à l’occasion du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2009, prévoyant une sanction financière égale à 1 % de la masse salariale pour les entreprises n’ayant pas conclu d’accord sur l’emploi des seniors ou n’ayant pas mis en œuvre un plan d’action sur le sujet si les négociations ont échoué, soit de nature à apporter une réponse durable sur le sujet.
Aujourd’hui, selon le ministère du travail, 8 000 entreprises ont finalisé un tel dispositif. Mais, à y regarder de près, les accords sont rares. Dans les deux tiers des cas, ce sont des plans d’actions qui sont mis en œuvre. La loi, en ne modulant pas la sanction, constitue pour les employeurs une véritable invite à contourner les partenaires sociaux ! Et quand bien même les employeurs mettraient en œuvre leurs plans d’action, les conséquences sur l’emploi des seniors risqueraient d’être modestes.
Une enquête menée par le cabinet de conseil Mercuri Urval atteste que 80 % des employeurs sondés envisagent d’organiser la transmission des savoirs et le tutorat, alors qu’ils ne seraient que 20 % à avoir l’intention de mettre en place des mesures pour favoriser l’emploi immédiat de seniors.
Dans un tel contexte, envisager l’allongement de la durée de cotisations ou le recul de l’âge légal de départ apparaît comme une véritable provocation. Cela pénaliserait immanquablement les salariés qui ont commencé à travailler tôt, d’autant que le Gouvernement a encore durci les conditions d’accès au dispositif carrières longues, y compris à l’occasion des modifications apportées à la majoration de durée d’assurance.
De la même manière, nous ne pouvons que dénoncer la suppression progressive de la dispense de recherche d’emploi pour les salariés privés d’emploi approchant les soixante ans. C’est en fait tout un modèle économique, tourné vers la performance et le moindre coût du travail, qui incite les employeurs à se séparer des salariés supposés être moins productifs et coûter plus cher, à partir de cinquante-huit ans et huit mois, c’est-à-dire de cinquante-huit ans et demi, comme l’a souligné Dominique Leclerc.
Par ailleurs, au groupe CRC-SPG, nous considérons que le Gouvernement doit faire de la prise en compte de la pénibilité sa priorité pour 2010. Il est nécessaire de déconnecter les deux débats : il faut évoquer la pénibilité avant de parler de la réforme des retraites.
Les négociations sur la pénibilité au travail sont gelées depuis le 16 juillet dernier. Patronat et Gouvernement portent une lourde responsabilité dans cet échec. D’abord, le patronat a refusé pendant longtemps de reconnaître que le travail pouvait être nocif pour la santé des salariés, puis a refusé d’aborder les questions de l’accès à un dispositif de retraite anticipée, de la réparation et du financement. Et le Gouvernement a laissé s’enliser les négociations.
Si celles-ci n’ont pas débouché sur un accord, elles ont néanmoins permis la reconnaissance progressive d’une réalité : les conséquences potentiellement nocives du travail sur la santé des salariés. Aujourd’hui, nul ne peut plus nier cette réalité constatée scientifiquement : l’espérance de vie d’un ouvrier est en moyenne inférieure de sept ans à celle d’un cadre.
La pénibilité peut se classer en trois catégories.
La première catégorie correspond globalement aux accidents du travail et aux maladies professionnelles. Cela requiert un effort important de la part des employeurs pour adapter les conditions de travail et de la part des pouvoirs publics pour adapter les règles et les outils de prévention.
La deuxième catégorie est liée aux conditions mentales ou psychiques de réalisation de l’activité professionnelle, autrement dit le « stress ». La solution passe par une modification des conditions de travail, notamment en termes de rythmes. Je pense notamment aux cas de suicides.
La troisième catégorie, qui est malheureusement irréversible, est celle qui résulte de l’exposition du salarié pendant un temps et selon une intensité certaine à un facteur nocif pour sa santé. Le salarié dont l’espérance de vie est ainsi réduite doit pouvoir bénéficier d’une retraite anticipée. C’est sur cette véritable mesure de justice sociale que les négociations achoppent.
En effet, le patronat considère qu’il n’a pas à financer ce mécanisme, ce que nous contestons vivement, et entend conditionner ce départ anticipé à la retraite à l’approbation d’une commission médicale. Cette proposition aurait pour effet d’instaurer, selon l’expression de la CGT, la Confédération générale du travail, « un mécanisme d’invalidité bis ».
Avec les organisations syndicales, nous refusons cette logique médicale. Nous considérons que la pénibilité et son appréciation doivent reposer sur la reconstitution de la carrière du salarié et sur la prise en compte de son exposition à des facteurs pouvant diminuer son espérance de vie. L’analyse de la commission médicale, qui est préconisée par le MEDEF, le Mouvement des entreprises de France, reviendrait à avancer de quelques mois à peine la retraite des salariés malades du travail. Ce serait rendre quasi inopérant ce dispositif.
Enfin, monsieur le ministre, le 10 juillet dernier, vous déclariez sur France Inter : « Plusieurs solutions sont envisageables. […] On peut envisager une capitalisation plus grande. » Le mot est lâché ! Et les salariés de notre pays savent que vous ferez tout pour substituer ce système individualiste et inégalitaire à notre système actuel, fondé au contraire sur la répartition et la solidarité entre les générations.
Cette annonce nous inquiète. Nous nous étions pris à espérer que votre majorité était enfin échaudée par la crise économique que nous venons de traverser. Car, souvenons-nous, ce sont presque 2 000 milliards de dollars placés dans des fonds de pensions qui ont disparu en quelques mois !
Enfin, nous entendons rappeler notre opposition au remplacement de tous les régimes de base par un régime unique par points ou en « comptes notionnels ». Cela ferait basculer notre régime dit « à prestation définie » vers un régime « à cotisations définies », ce qui aboutirait inéluctablement, à plus ou moins brève échéance, à un véritable effondrement des retraites par répartition. C’est à cela que visent toutes vos hypothèses de réformes.
Pour notre part, nous considérons qu’une réorientation radicale des finances sociales permettrait le maintien de l’âge légal de départ à la retraite à soixante ans.
Comme nous en avons fait la démonstration à l’occasion de l’examen par le Sénat du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2010, votre majorité organise sciemment chaque année un peu plus l’appauvrissement de notre système en refusant de taxer les revenus du capital, en refusant d’élargir l’assiette de cotisations et en favorisant les emplois précaires, véritables trappes à bas salaires pesant sur les salariés comme sur les comptes sociaux, alors même que la part de richesses produites dans les entreprises et consacrée aux dépenses salariales est passée de 72,8 % en 1970 à 66,2 % en 2000. Et vous continuez à autoriser les employeurs à s’exonérer des parts patronales de cotisations sociales : 30,7 milliards d’euros en 2008, selon les chiffres que vient de publier l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale, l’ACOSS.
La véritable cause du déficit est là, et la solution pour les retraites en dépend en grande partie.
Je voudrais vous rappeler nos quatre propositions : réformer l’assiette des cotisations sociales, créer une cotisation nouvelle sur les revenus financiers des entreprises et des institutions non financières, mobiliser tous les moyens en faveur de l’emploi des jeunes générations comme des seniors et, enfin, supprimer les exonérations de cotisations sociales, qui – nous venons de l’apprendre – ont progressé de 13,1 % en 2008.
Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, croyez-moi, la manière dont Mme la ministre de la santé et des sports traite le volet pénibilité du travail infirmier met un singulier coup de projecteur sur le rendez-vous des retraites 2010 ! On accorde un avantage, mais, en contrepartie, l’âge de départ en retraite passe de cinquante-cinq à soixante ans !