Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre
Mes chers collègues,
La crise laitière 2009 pressentie depuis 2008, fait partie du paysage désormais habituel et cyclique des crises qui frappent de façon quasi chronique les productions agricoles alimentaires dans leur ensemble.
Chaque crise apporte son lot de colère, d’exaspération, de renoncement et de faillites des producteurs qui constituent pourtant la trame de notre ruralité. Chaque crise mène, à un degré de concentration plus élevé des exploitations, au bénéfice d’une rentabilité accrue pour les transformateurs et la grande distribution. Ainsi, le nombre de vaches laitières a reculé de 14,2% au cours de la période 2001-2007 et plus de 28.000 exploitations ont disparu.
Avec une augmentation de population de plus de 10 millions d’habitants depuis 1985, la collecte annuelle de lait a par contrereculé de 25 milliards de litres de lait à 23 milliards de litres, soit 2 milliards en moins.
Les causes des crises laitières sont multiples et bien identifiées.
► Les crises laitières elles-mêmes affaiblissent la production et les producteurs ;
► le pouvoir d’achat en baisse des Français qui réduit la consommation des ménages ;
► la baisse de production de la filière veau, grande consommatrice de poudre de lait - filière qui produisait 405.000 tonnes en 1980 et 274.000 seulement aujourd’hui ;
► les règles économiques du marché et de la concurrence qui conduisent à la loi de la jungle et aux importations abusives anti-communautaires ;
► le comportement de prédateur de la grande distribution qui réalise des marges exagérées via ses centrales d’achat envers les transformateurs ;
► les transformateurs qui, sous la pression de la grande distribution, camouflent leurs marges et sont contraints de répercuter les pressions sur les producteurs ;
► la réduction des soutiens par l’Europe aux produits de dégagement que peuvent être le beurre et la poudre de lait en période de crise ;
► le poids de l’Europe libérale qui, en accord avec l’OMC, supprime progressivement tous les outils de régulation, dont les quotas laitiers, et libéralise à outrance le marché laitier, pour que le prix de référence mondial soit la règle générale, alors que ce prix ne correspond qu’à 6% des échanges ;
Monsieur le Ministre Luc Chatel a tenté, la semaine passée, au sein de la Commission des Affaires économiques du Sénat, de justifier la LME et de minimiser son rôle dans la crise laitière.
Pourtant, cette loi, censée améliorer les relations commerciales, a pour effet de les aggraver en livrant les producteurs et les transformateurs aux diktats des centrales d’achat qui font la pluie pour les fournisseurs et le beau temps pour elles-mêmes.
Pas surprenant quand on sait que de multiples volets de la loi ont été concoctés entre M. Michel-Edouard Leclerc et le Président Sarkozy.
Il y a un an, avec Michel Barnier, votre gouvernement a cédé une fois de plus aux sirènes libérales de Bruxelles et retiré au CNIEL le droit de formuler des recommandations trimestrielles sur le prix du lait. Aujourd’hui, vous nous proposez trois outils qui, sans procès d’intention, restent inefficaces face aux problèmes de fond de la crise.
Vous nous proposez d’autoriser l’interprofession à établir des indices de prix, il faut tout de même savoir que les centres d’économie rurale ont déjà tous les chiffres concernant le prix de revient.
Vous nous proposez également de multiplier les contrôles par la DGCCRF après avoir affaibli cet organisme au nom de la RGPP.
Vous nous proposez, enfin, de changer le braquet de l’Observatoire des marges et des prix.
Les constats et les contrôles n’ont jamais constitué un outil efficace de prix rémunérateurs, ils peuvent à tout le moins, donner des indications souvent déjà connues.
Pendant des années, les producteurs en crise se sont laissés endormir par les instruments classiques de régulation autorisés en Europe.
Ce qui, à chaque crise, n’empêchait pas la concentration, mais rendait un peu moins douloureuse la situation des dégagés d’office.
La situation appelle autre chose que des mesurettes ou de l’enfumage, M. le Ministre. C’est une question de jours pour certaines exploitations, de semaines et de mois pour les autres.
L’exemple calculé par le Centre d’économie rurale (CER) Côtes-d’Armor est éloquent pour prendre la mesure de la gravité de la crise.
Une exploitation laitière dégageait ces dernières années une moyenne de 15 à 16 000 euros de revenu par an et par Unité de travail humain (UTH). Si nous prenons le cas d’un exploitant travaillant seul pour produire un quota annuel de 200 000 litres, nous arrivons à 1250 euros de revenu net par mois. Si on applique à cet éleveur une baisse de 4 centimes par litre dès le quatrième trimestre 2008, son revenu net mensuel tombe à 666 euros. Si nous effectuons un même calcul pour un couple qui produit 400 000 litres de lait par an, nous arrivons au même résultat : 1 332 euros net par mois pour deux personnes au travail.
A supposer que la demande des industriels d’une baisse minimum de 100 euros par 1000 litres de lait soit appliquée dès le mois de janvier, le revenu moyen mensuel calculé à partir des chiffres fournis par l’étude du CER des Côtes-d’Armor devient négatif. Un éleveur qui produit 200 000 litres de lait par an perd 416 euros par mois. Un couple à 400 000 litres de quota annuel perd 832 euros par mois.
Les communistes proposent de longue date d’encadrer les marges abusives, de développer la notion de « prix minimum garanti » et de l’élargir à l’Europe, d’utiliser le principe du coefficient multiplicateur qui établit un lien vertueux entre le prix de vente à la production et celui à la consommation, d’imaginer un partage équitable des marges permettant au producteur de vivre du fruit de son travail, sans pénaliser le consommateur. Chaque fois nos propositions sont caricaturées au nom de « l’économie administrée » ou « la soviétisation de l’économie ».
Je constate aujourd’hui que la FNSEA demande, je cite « La mise en œuvre d’un dispositif particulier d’encadrement des marges et/ou de coefficients multiplicateurs pour les produits alimentaires de base, qu’il s’agisse de produits agricoles bruts ou de première transformation ».
Le métayer serait-il devenu communiste ? Que nenni, M. le Ministre, mais le bon sens et la pression des campagnes en feu le conduisent à infléchir les règles intangibles du libéralisme.
La contractualisation permet de fixer des prix planchers dans le cadre actuel de la loi LME, mais cela ne suffira pas, M. le Ministre. Il faut réviser cette loi en faveur des producteurs, assurer la pérennité des transformateurs et encadrer rigoureusement la grande distribution qui assure plus de 75% de la mise en marché.
Ne nous refaites pas le coup du coefficient multiplicateur pour les fruits et légumes voté au Sénat puis rendu inapplicable par de multiples dispositions via les décrets et autres dispositions gouvernementales.
Ne laissez pas la grande distribution répercuter ailleurs ou autrement les pertes de marge qu’elle pourrait subir comme elle l’a fait à chaque nouvelle loi économique.
Dans l’attente de légiférer efficacement, il est urgent de tenir une nouvelle table ronde pour le second semestre 2009 qui permette d’assurer la poursuite de l’ensemble des exploitations laitières et celle des transformateurs.
A ce propos, la situation difficile d’Entremont Alliance dans l’Ouest laisse présager les pires scenaris si le gouvernement n’agit pas en accordant prioritairement son aide aux producteurs dont le lait est payé en fonction des débouchés beurre-poudre, en mettant en place une caisse de péréquation nationale et un outil de gestion collective des volumes excédentaires.
Demain, dans l’Ouest, nous craignons de voir des producteurs abandonnés par leurs laiteries parce que trop petits ou trop éloignés.
Demain, nous craignons que les outils de transformation soient rachetés par la grande distribution, ce qui accentuerait encore la dépendance des producteurs déjà bien affaiblis.
Vous voyez, MM. les Ministres vont être confrontés à des responsabilités importantes pour l’agriculture et le commerce. Votre mission sera déterminante si nous voulons conserver une agriculture française et européenne, face à la mondialisation des échanges et aux critères ultralibéraux qui le guident.