Monsieur Christian PONCELET
Président du Sénat
Monsieur le Président,
Vous avez lancé, au printemps dernier, une réflexion concernant une amélioration de l’organisation des travaux parlementaires du Sénat.
Lors de sa réunion du 30 mai 2006, la conférence des présidents a décidé que cette réflexion se déroulerait en son sein.
Deux points importants, selon moi, ont été soulignés lors de cette réunion :
- seul le consensus pourrait déboucher sur une modification du règlement du Sénat ou de la pratique parlementaire ;
- la constitution de la Vème République limite de fait toute réforme du parlement.
J’ai, pour ma part, toujours, lors de cette même réunion, émis des réserves sur l’ouverture d’un débat sur les modifications de notre règlement alors que de toute évidence, aucune mesure significative pour accroître l’initiative parlementaire, notamment de l’opposition, n’est envisagée.
Je ne reviendrai pas sur l’appréciation de l’institution sénatoriale par notre groupe, appréciation dont la constance est à mesurer à l’absence d’évolution significative da la seconde chambre du parlement depuis 1958. Je vous joins à ce courrier deux documents qui détaillent notre point de vue.
Quelle doit être la fonction d’un règlement et plus largement d’un code, écrit ou non écrit, des us et coutumes parlementaires ?
J’estime que ces règles doivent avant toute chose permettre d’assumer le fonctionnement démocratique de l’assemblée.
Comme je l’indiquais par courrier à M. GELARD, alors Rapporteur d’une tentative « mort-née » de durcissement du règlement à l’égard des groupes minoritaires, « il n’y aura pas de fonctionnement conforme aux valeurs républicaines sans démocratie, mais il n’y aura pas de démocratie sans règlement ».
Un équilibre est aussi à trouver pour permettre à l’institution parlementaire de remplir ses fonctions essentielles, faire la loi et contrôler l’action gouvernementale et, dans le même temps, de respecter le débat démocratique et, par là même, le pluralisme en son sein. »
Or, Monsieur le Président, il est difficile de contester que la rationalisation du travail parlementaire invoquée systématiquement par la majorité sénatoriale a eu pour principale conséquence de réduire les capacités d’opposition.
Réduction du temps de parole sur amendement, sur les motions de procédures, instauration d’un seuil de 30 parlementaires pour engager certaines procédures, les modifications du règlement poursuivaient ainsi un but clairement affiché.
La pratique elle-même a concouru à cette réduction du droit d’expression de l’opposition, notamment en matière budgétaire. En effet, la réduction du débat en séance publique affecte en premier lieu l’opposition, et en général, les petits groupes.
Comment ne pas constater une atrophie du débat parlementaire depuis quelques années ?
Bien entendu, les modifications de la procédure parlementaire n’en sont pas la seule cause. En effet, l’abaissement du rôle du parlement puise également sa source dans le déplacement du pouvoir du politique vers l’économie et des centres de décisions, européens notamment, dépourvus de contrôle démocratique.
En tout état de cause, Monsieur le Président, il ne me paraît pas judicieux d’engager une réforme de notre règlement, ni même un réaménagement significatif de nos pratiques parlementaires à quelques mois d’échéances électorales importantes.
En effet, la révision de notre Constitution est l’un des enjeux de ces scrutins et comment imaginer que le Sénat ne soit pas l’objet d’une évolution qui apparaît nécessaire ? Notre assemblée ne vit pas hors du temps. Un débat politique national se déroule et il revient à chaque force politique d’apporter dans cette période sa contribution, sa vision de l’avenir.
Cette remarque étant faite, je souhaite, en réponse à votre demande, vous indiquer l’opinion de mon groupe sur un certain nombre de questions relatives à la vie parlementaire, soulevées durant ces dernières années. Cette liste n’est, bien entendu, pas exhaustive.
Restreindre le débat en séance publique ?
Le groupe CRC estime qu’au-delà de l’examen en commission des Conventions internationales et de certaines directives européennes, si l’ensemble des groupes est d’accord, et à condition qu’ils soient informés des textes concernés au moins une semaine à l’avance, l’ensemble des textes doivent être examinés en séance publique.
Tout transfert supplémentaire du débat en commission serait une atteinte à la transparence et au pluralisme.
Quel devenir pour la discussion des lois de finances ?
Le bien fondé de l’opposition du groupe CRC à la LOLF se trouve confirmé. Le parlement est en effet confiné progressivement dans un rôle de contrôleur alors qu’il devrait être décideur.
Les sénateurs communistes estiment qu’une réforme importante des institutions constituerait à rendre l’élaboration du budget au parlement.
Nous assistons bien au contraire au raccourcissement progressif et à la perte croissante de la discussion budgétaire, masquée par une LOLF qui permet à certains d’éviter que les débats fondamentaux se déroulent en amont et non pas en aval.
Le système des questions sur les crédits dans le cadre de l’examen de la loi de finances empêcherait par ailleurs à l’expression d’une vision politique globale sur tel ou tel secteur.
Nous proposons de maintenir au préalable une discussion générale en séance publique sur chaque crédit.
A défaut de pouvoir supprimer immédiatement l’article 40 de la Constitution, ce que nous proposons, nous souhaitons un assouplissement des règles d’examen des amendements en matière financière pour permettre à chaque proposition d’être examinée.
Plusieurs de ces remarques peuvent s’appliquer à l’examen de la loi de financement de la sécurité sociale.
Débattre des projets de loi sur la base des conclusions de la Commission ?
Le groupe CRC a déjà refusé cette proposition de la Commission HOEFFEL en estimant que les sénateurs dans leur ensemble doivent pouvoir examiner le texte original. La mise en place d’un « filtre majoritaire » avant même la tenue d’un débat n’est pas souhaitable, la commission pouvant exercer comme les groupes politiques son droit d’amendement.
Le travail de commission :
Dans le cadre de la préparation des débats sur un projet de loi, le groupe CRC demande que les principales auditions soient menées par l’ensemble de la commission et non par le seul Rapporteur.
Le droit d’amendement :
Le groupe CRC estime que c’est le règlement du Sénat, la pratique parlementaire et bien entendu la Constitution, qui cadrent l’exercice du droit d’amendement et non pas le Conseil Constitutionnel. Une nouvelle jurisprudence de ce dernier tend à limiter fortement l’exercice de ce droit constitutionnel dans le cadre des secondes lectures.
Au-delà du respect du principe constitutionnel du droit d’amendement, l’un des fondements de la démocratie parlementaire, une telle dérive n’est pas admissible étant donné que dans de nombreux cas un texte évolue fortement au cours d’une première lecture (loi sur l’eau, loi relative à l’engagement national pour le logement) et justifie le dépôt d’amendements nouveaux et additionnels.
Par contre, le groupe CRC estime qu’un « minimum » démocratique constituerait à aligner le droit d’amendement des sénateurs sur celui du gouvernement ou des commissions.
Par exemple, si le gouvernement peut déposer à tout moment d’une discussion un amendement, les sénateurs doivent pouvoir le faire également.
Quelle est la justification de cette différence de traitement ?
Lieux des séances publiques :
Le groupe CRC refuse l’utilisation d’une deuxième salle en concomitance de l’hémicycle pour des débats, pour des raisons de transparence, mais aussi de pluralisme (les « petits » groupes ne pourront participer dans de bonnes conditions à l’ensemble des discussions).
Le temps de parole :
D’une manière générale, le groupe CRC s’oppose à toute initiative qui a pour objectif ou conséquence de restreindre le temps de parole.
Les motions de procédure :
Le groupe CRC estime important de restaurer la règle prévalant avant 1991, c’est-à-dire l’examen comme à l’Assemblée Nationale des motions de procédure avant l’expression des orateurs des groupes dans le cadre de la discussion générale et non pas après. Le temps de parole antérieur, 30 minutes par motion, devrait être également rétabli.
L’ensemble des groupes devrait par ailleurs pouvoir s’exprimer sur les motions de renvoi en commission, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.
Enfin, la possibilité du dépôt de la motion de renvoi en commission sur une partie du texte doit être maintenue.
Le quorum :
Sa vérification doit pouvoir être demandée comme à l’Assemblée Nationale par chaque président de groupe.
Sa vérification doit être simple : le président de séance constate si le nombre de sénateurs présents en séance correspond au quorum requis.
Les questions d’actualité :
L’organisation des séances de questions d’actualité au gouvernement tend à favoriser l’expression du gouvernement. Le groupe CRC propose de mettre en place un système s’apparentant à celui en vigueur pour les questions orales (question, réponse du gouvernement, l’auteur de la question reprend la parole).
Les seuils d’initiative :
En réaction à de longs débats non souhaités par elle, la majorité sénatoriale a fixé à 30 sénateurs le seuil pour engager un certain nombre de procédures. Le groupe CRC propose de restaurer la règle précédente qui confiait cette responsabilité à chaque groupe.
L’initiative parlementaire :
Le groupe CRC estime que la révision constitutionnelle de 1995 qui créait le droit à l’initiative parlementaire pour chaque groupe, n’est pas appliquée au Sénat.
C’est en effet la Conférence des Présidents qui décide à la place des groupes, mettant en cause la souveraineté, la nature des propositions à débattre dans le cadre de l’ordre du jour mensuel réservé.
Il est urgent de fixer les mêmes règles de fonctionnement qu’à l’Assemblée Nationale où la Conférence des Présidents ne discutent pas des choix des groupes. La pratique sénatoriale, fondée sur l’autoritarisme d’une majorité immuable, vide de son sens cette avancée démocratique.
La majorité sénatoriale doit pouvoir s’imaginer qu’elle sera un jour l’opposition....
Des droits nouveaux pour l’opposition :
Outre une meilleure représentation au sein de l’institution et notamment au sein du bureau du Sénat, il serait nécessaire d’accorder à chaque groupe de l’opposition au moins un rapport de commission par an dont il maîtriserait le contenu.
Vous l’avez compris, Monsieur le Président, j’ai écarté du champ de ce courrier des propositions fondamentales qui concernent, selon moi, les raisons de l’affaiblissement du rôle du parlement : rééquilibrage entre l’exécutif et le législatif, remise en cause de la procédure d’urgence systématiquement utilisée depuis plusieurs années, modification substantielle des modalités de convocation du parlement en session extraordinaire , suppression de la CMP, lieu obscur de consensus parfois inavouable, fixation de l’ordre du jour, article 49-3 à l’Assemblée Nationale, article 40 déjà évoqué, etc...
Ces questions, comme celle du maintien ou non du bicamérisme, de la rénovation profonde du Sénat, relèvent d’un débat national qui n’est pas l’objet de la discussion à laquelle vous nous conviez.
Espérant avoir répondu à votre attente et restant à votre disposition pour détailler nos positions et propositions, je vous prie, de bien vouloir agréer, Monsieur le Président, de ma considération distinguée.