Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, à quelques jours de l’élection européenne, permettez-moi pour commencer de rappeler les propos tenus par le président Emmanuel Macron lors de son discours d’Athènes : « En 2005, une page s’est tournée et nous ne l’avons pas vu tout de suite. C’est que l’Europe ne peut plus avancer à part des peuples. Elle ne peut continuer son destin que si elle est choisie, voulue. »
Quel fossé entre cette déclaration, dont nous partageons le constat, et ce qui se passe aujourd’hui ! Non seulement aucune conséquence n’est tirée de ce diagnostic dans les politiques menées, dont le cours libéral continue à marche forcée, mais que constatons-nous, une fois de plus, avec l’organisation des élections européennes ? L’incurie démocratique et la médiocre qualité du débat des élections européennes demeurent la règle.
Nous pourrions certes appréhender le présent projet de loi comme un simple détail technique. Il est vrai que les circonstances du Brexit obligent juridiquement, mais également politiquement, à conserver des représentants britanniques au sein de l’assemblée européenne jusqu’à ce que le retrait du Royaume-Uni soit effectif et définitif. Nous ne nous opposerons donc pas au projet technique présenté.
Pourtant, force est de constater que cette situation, qui nous conduit à revoir in extremis les conditions de l’élection de nos représentants européens sans que les électeurs français saisissent rien, est révélatrice d’une Union européenne à bout de souffle démocratiquement.
Les dirigeants britanniques et européens se sont jusqu’à présent montrés incapables de mettre en œuvre une sortie pérenne et organisée du Royaume-Uni, quoi qu’on en pense sur le fond. Le Brexit a été un terrible aveu d’échec, et l’un des nombreux signaux d’une distanciation toujours plus forte des peuples vis-à-vis de l’Union européenne.
Le chaos politique s’aggrave au Royaume-Uni, où le dangereux Nigel Farage pourrait rafler la mise de cet incroyable imbroglio. Quant à l’Union européenne dans son ensemble, cet épisode, après d’autres, révèle à quel point les dirigeants de cette Europe conçue seulement pour les marchés ne savent jamais quoi faire quand des peuples émettent des votes contraires à leurs intentions.
En vérité, rien n’est jamais prévu pour qu’il soit tenu compte du vote desdits peuples. Nous en avons nous-mêmes déjà fait l’expérience, avec le refus de respecter la souveraineté populaire qui s’était exprimée à l’occasion des référendums danois, irlandais, néerlandais et français – il n’était pourtant pas question, à l’époque, de sortie, mais de refus de constitutionnaliser le cours libéral de l’Union européenne, et de transformation de son sens.
Le traitement politique des conditions de l’élection européenne est lui aussi révélateur de cette incurie démocratique. Cet événement devait être un grand moment de débat démocratique. Or rien n’est réellement fait pour mobiliser l’intérêt de nos concitoyens.
Les conditions de cette élection ont d’ailleurs, depuis l’origine, fait débat. Je rappelle que la loi fixant les modalités de la première élection des parlementaires au suffrage universel direct, en 1977, fut le premier cas, dans notre histoire constitutionnelle, d’utilisation de l’article 49-3 de la Constitution dans un domaine lié à nos relations extérieures.
La participation aux élections européennes risque, cette année encore, de dépasser tous les records d’abstention ; elle avait déjà baissé de 20 points, en 2014, par rapport à 1979. La déception profonde causée par les politiques menées, leur rejet désormais majoritaire dans toute l’Union et l’opacité des processus de décision en sont les causes fondamentales.
Et puisque ce projet nous donne l’occasion de revenir sur les conditions d’organisation de la campagne électorale, je veux redire notre colère sur trois points qui conduisent directement à alimenter la situation que je viens de décrire, faite d’asphyxie démocratique et de méfiance populaire.
Je redis que le seuil électoral, fixé en France à 5 %, est une grave distorsion démocratique.
M. François Bonhomme. C’est ça, nous manquons de listes !
M. Pierre Laurent. Souvent prompts à plagier l’Allemagne, nous faisons, en l’occurrence, le contraire de ce qu’elle fait, en tordant gravement la représentation proportionnelle. Parmi les électeurs qui s’apprêtent à s’exprimer, ceux qui risquent de se voir priver de représentation au Parlement européen n’auront probablement jamais été aussi nombreux. Le niveau d’abstention et le seuil électoral vont, combinant leurs effets, dégrader gravement la représentation démocratique française.
Je redis, par ailleurs, que la répartition du temps de parole, issue du projet de loi dont nous avions dénoncé ici les travers, est un véritable scandale. Non seulement l’égalité du temps de parole n’est plus qu’un rêve, mais la répartition prévue par la loi aboutit à une caricature.
Chacun de nous, mes chers collègues, pèse royalement sept secondes de temps de parole par candidat ; et que donne concrètement ce tripatouillage législatif voté ici sans broncher l’an dernier ? La République En Marche se voit attribuer un temps de diffusion des clips officiels supérieur à celui des listes communiste, France insoumise, Europe Écologie Les Verts et Génération.s réunies ! Le Front national se taille une part de lion, concentrant plus de temps d’antenne que Les Républicains et l’UDI réunis.
Mme Éliane Assassi. Eh oui !
M. Pierre Laurent. Le Gouvernement souhaitait favoriser indûment la polarisation entre La République en marche et le Rassemblement national ; la loi a exaucé ses vœux. C’est un choix dangereux pour la démocratie et l’avenir de l’Union européenne.
Enfin, mes chers collègues, permettez-nous, à nous qui défendons ici si souvent le service public de France Télévisions contre les attaques dont il est l’objet, d’élever une protestation sur la manière dont France 2 organise le débat entre les listes présentées.
Une première fois mise en échec, la chaîne publique recommence à vouloir écarter plusieurs d’entre elles, dont certaines sont représentées au Parlement européen – celle conduite par Ian Brossat en fait partie –, du principal débat. (Mme Françoise Gatel applaudit vivement.) Les journalistes de France 2 réalisent bien souvent – je le sais – un travail sérieux et instructif dans des conditions difficiles. Ce ne sont pas eux que je mets en cause. Mais j’invite la direction de France Télévisions à revoir sa copie pour accorder un traitement juste et équitable à l’ensemble des listes.
Mme Éliane Assassi. Très bien !
M. Pierre Laurent. Il est temps, pour l’avenir démocratique de l’Union européenne, que soient créées les conditions d’un choix équitable des Français, qui supportent de moins en moins qu’on les prive de leur libre jugement.