Une boîte noire pour les entreprises ?

Garantir la confidentialité des consultations juridiques

Publié le 15 février 2024 à 10:30 Mise à jour le 16 février 2024

Le monde des affaires essaie d’imposer un tel texte depuis dix ans. En cas de litige ou de conflit, les entreprises, surtout les plus importantes, consultent leurs juristes. Les documents produits dans ce cadre pouvaient être remis aux autorités de contrôle. Ce ne sera plus possible : le juge des libertés et de la détention (JLD) devra être consulté.

Pour faire simple, en cas de litige ou de conflit, pour négocier un contrat ou bénéficier d’un conseil, il arrive régulièrement que des entreprises, a fortiori celles de taille importante, consultent leurs juristes.

Les documents produits dans ce cadre pouvaient jusqu’ici être remis ou saisis à la demande des enquêteurs des autorités de contrôle comme l’Autorité des marchés financiers ou l’Agence française anticorruption par exemple.

Avec ce texte, cela ne sera plus possible !

A partir du moment où les documents porteront la mention « confidentiel – consultation juridique juriste d’entreprise », les enquêteurs devront faire une demande auprès du juge des libertés et de la détention pour les consulter, alourdissant les contrôles.

Pourtant, les avis de juristes sont une mine d’informations pour dénicher les abus et les atteintes au droit des consommateurs et des citoyens.

Notre groupe souhaite lever le lièvre : ce texte vise à protéger outrancièrement le secret des grandes entreprises. Il met en place une forme d’opacité au profit des multinationales.

Ainsi, ce texte qui va considérablement entraver la capacité d’enquête des gendarmes financiers et autorités est une nouvelle fleur faite par le gouvernement aux grandes entreprises françaises.

De l’aveu même d’Emmanuel Macron qui s’opposait à cette mesure lorsqu’il était ministre de l’économie, ce dispositif ouvre un risque de "boîte noire dans les entreprises". Celles-ci pourront désormais d’estampiller confidentiel des documents non juridiques, en y ajoutant artificiellement quelques éléments de droit, dans le seul objectif de les soustraire à la saisine d’une autorité de contrôle.

A ce sujet, il est évident que le lobbying effectué par certaines entreprises n’est malheureusement pas dénué d’arrières pensées malsaines. Or, c’est bien notre rôle, chers collègues, d’œuvrer pour l’intérêt général.

Si les consultations des avocats sont couvertes par la confidentialité, c’est parce qu’elles s’inscrivent dans le système équilibré de cette profession règlementée soumise à de strictes obligations déontologiques, et à des exigences éthiques et de formation.

A l’inverse de l’avocat, le juriste d’entreprise n’est pas indépendant. Il est subordonné à l’entreprise pour laquelle il réalise la consultation.

La protection des avis des juristes d’entreprises peut transformer ces juristes d’entreprises en potentiels complices de malversations ou en victimes d’une hiérarchie mal intentionnée.

Or, si le législateur a voulu protéger l’intérêt général par la loi Sapin II imposant une protection des lanceurs d’alerte, cette proposition de loi, au contraire, les met en danger.

Soumis à la confidentialité, ils ne pourront plus librement révéler les graves manquements auxquels ils assistent.

Je pense par exemple à la juriste Houria Aouimeur qui a dénoncé en 2019 des détournements de fonds de très grande ampleur au sein de l’AGS. Avec ce texte, elle n’aurait pas pu le faire.

De plus, chers collègues, cette nouvelle confidentialité sera également porteuse d’inégalité entre les entreprises selon qu’elles auront la faculté ou non de recourir à des juristes d’entreprise, mais également entre les justiciables selon qu’ils sont ou non une entreprise.

De plus, la confidentialité des consultations des juristes d’entreprise, telle qu’elle est prévue par ce texte entravera l’accès des justiciables à la preuve, consubstantiel au droit au procès équitable.

Enfin, nous le savons tous ici, si des dispositions sont prévues pour permettre de déroger à cette confidentialité, la saisine du Juge des libertés de la détention, en plus d’être dissuasive, est irréaliste.

Cette proposition de loi sera la source de nombreux contentieux alors que les magistrats sont déjà surchargés, sans que rien ne soit fait pour palier à ces carences.

En conclusion, vous l’avez compris, afin de préserver l’intérêt général et de faire face aux assauts des multinationales, nous voterons contre cette proposition de loi.

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