Election du Président de la République

Publié le 29 mars 2006 à 16:17 Mise à jour le 8 avril 2015

Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Mes cher(e)s collègues,

Permettez-moi de souligner l’ironie du calendrier qu veut que nous soyons saisis d’un projet de loi organique à l’élection du Président de la République au moment même où le fossé est si profond entre notre pays et ceux qui sont au pouvoir, au moment où la crise sociale, économique et institutionnelle, est si patente mais - et vous en êtes sans doute rassurés - hélas, pas nous. Le contenu du projet réformette de circonstance, n’a rien à voir avec les problèmes posés !
C’est regrettable et c’est grave ! Parce que le débat de fond sur nos institutions, comme le débat sur les politiques menées et leur échec, ne pourront continuer longtemps à être éludés.

Ce quinquennat - le premier - a commencé dans des circonstances pour le moins particulières : à la suite d’un véritable séisme politique et démocratique caractérisé par une abstention massive, des scores calamiteux pour les candidats des grands partis à la fonction présidentielle, poussée de l’extrême droite et dont la raison profonde était le désarroi populaire déçu par la gauche portée au pouvoir à la suite d’un puissant mouvement populaire, contre la politique de la droite en 95.
Un peuple dont les aspirations s’expriment si fort et si obstinément.

Le Président de la République élu le 5 mai par une formidable mobilisation, notamment de la jeunesse contre le PEN, n’a décidément rien entendu.
La politique profondément répressive mise en œuvre dès l’été 2002 a été sanctionnée systématiquement à chaque occasion. Aux élections régionales en 2004 où la droite au pouvoir a été battue dans 20 régions sur 22 ; le 29 mai où la majorité de notre peuple a contredit le Président de la République, les 2 partis qui prétendent incarner la bipolarisation induite par le quinquennat et 91% des parlementaires qui avaient voter le Traité de constitution européenne, consacrant le divorce entre le peuple et ceux qui sont sensés le représenter.

Le Président de la République, son gouvernement, sa majorité, n’a visiblement pas entendu...
Comme ils n’ont pas entendu le sens profond de la colère des quartiers en novembre, comme ils n’entendent pas la grande majorité de notre peuple qui, avec la jeunesse, encore une fois, contredit la majorité des parlementaires et rejettent le CPE.
Le constat de divorce montre à l’évidence le rejet massif des politiques menées, mais interroge aussi sur nos institutions.

En faisant du Président de la République « la clé de voûte des institutions », la Vème République consacrait la prééminence de l’exécutif sur le législatif. L’évolution des institutions ont renforcé ce trait original : élection du Président de la République au suffrage universel, recours aux ordonnances, usage de l’article 49-3. Le quinquennat et l’inversion du calendrier accentuent cette dérive et pousse à la bipolarisation, à la marginalisation, donc au désintérêt croissant d’une partie de la population qui ne se reconnaît pas dans un bipartisme d’alternance
N’aurait-il pas fallu, à un an encore de la future élection, faire un premier bilan du quinquennat et de l’inversion du calendrier ?

Vu la crise profonde de nos institutions un parlement non représentatif, dépourvu de pouvoir, un Conseil Constitutionnel juge et partie, un pouvoir exécutif qui se permet tout, n’est-il pas temps de remettre à plat l’architecture institutionnel de la France avec un souci unique : quelle démocratie ? Comment rendre le pouvoir aux citoyens ?

Il est temps, grand temps, de mettre en chantier une VIème République.
Le devenir de la fonction présidentielle elle-même ne doit plus être un tabou. Durant de nombreuses années, les électeurs ont montré leur attachement à cette élection, moment fort de début de démocratie.
Mais au fil des années, le pouvoir personnel s’est accru, les dysfonctionnements démocratique se sont multipliés et la déconnexion du pouvoir exécutif du peuple s’est établie.
Nous proposons que le rôle du Président de la République soit fortement réduit, comme c’est le cas dans de nombreuses démocraties.

L’essentiel de sa fonction sera de garantir le fonctionnement des institutions.
C’est, me semble-t-il, ce type de réflexion que notre peuple attend et aucunement un énième texte d’adaptation technique qui pérennise une situation devenue intolérable sur le plan démocratique.
Combien faudra-t-il de 21 avril ou de 29 mai pour vous le faire comprendre ?

Même si nous en restions au suffrage universel direct, ne faudrait-il pas avoir la possibilité du maintien des candidatures recueillant un nombre déterminé de suffrages ?
Sortir de la bipolarisation est une exigence démocratique.
Bon nombre de thème mérite un grand débat national : quelle place à l’initiative citoyenne, quelle revalorisation du rôle du parlement, quel rapport à l’Europe, quelle mesure pour combler ce déficit démocratique qui fut l’un des points fort du référendum ?
Quelle place pour un Etat décentralisé mais garant de la solidarité nationale et de l’unicité du service public ? Quel contrôle des citoyens sur l’élaboration du budget de la Nation ? Quel contrôle de la constitutionnalité ?
La proportionnelle du non cumul des mandats doit être établie pour garantir la parité, le rajeunissement et la lutte contre le clientélisme.
A aucun moment, durant les quatre années écoulées, un tel débat a eu lieu.
Il est vrai que les préoccupations du gouvernement étaient tout autres.

Imposer une restauration libérale était l’unique priorité. Or, chacun sait que privatisation, précarité, austérité, ne rime pas avec essor de la démocratie.
Pour accepter un débat institutionnel, fondateur d’une nouvelle ère de la citoyenneté, il faut accepter la remise en cause d’un ordre économique et social fondé sur l’injustice et l’inégalité.
Voilà, M. le Président, M. le Ministre, ce qu’aurait dû être le débat tournant autour de la fonction présidentielle. Nous en sommes bien loin.
Le texte que vous nous proposez est de nature essentiellement technique.

Le gouvernement affirme qu’il suit les recommandations du Conseil Constitutionnel formulée le 7 juillet 2005.
Ce n’est pas exact, car la seule proposition un tant soit peu audacieuse, la publication au Journal Officiel ou sur Internet de l’ensemble des noms des présentateurs n’a pas été retenue.
Les amendements présentés en ce sens à l’Assemblée Nationale non plus.

On en resterait donc à la situation actuelle : 500 noms sont tirés u sort et le reste est affiché durant une période courte (4 jours la dernière loi en 2002), dans le hall du Conseil Constitutionnel.
L’argumentation selon laquelle il y aurait une rupture d’égalité entre candidats en cas de publication globale ne me semble pas recevable. Les signataires, comme les candidats, doivent assumer leurs choix, c’est cela la démocratie.

Un point du texte nous interroge.
Il s’agit de la possibilité offerte à la juridiction compétente de moduler les sanctions à l’encontre de tel ou tel candidat qui pourrait ne pas avoir respecté les règles de financement en toute bonne foi.
Il nous semble que la loi doit s’appliquer de manière claire et sans ambiguïté pour un scrutin tel que l’élection présidentielle.

A ce niveau, il serait surprenant qu’un candidat ou son mandataire financier ignore la loi.
Enfin, nous souhaitons que des garanties soit apportées sur la non publication des résultats électoraux dans les départements et TOM d’Amérique où le scrutin se déroulera dorénavant, si la loi est votée, le samedi.

En conclusion, j’exprimerai une nouvelle fois le regret du peu de portée de ce projet de loi organique et plus généralement de l’absence de remise en question de l’actuel fonctionnement, ou plutôt dysfonctionnement, de nos institutions.

Nicole Borvo Cohen-Seat

Ancienne sénatrice de Paris et présidente du groupe CRC

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