Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, « l’état d’urgence […] montre son efficacité, même s’il ne peut pas être un état permanent. C’est pourquoi un projet de loi est discuté en ce moment même au Parlement ». C’est ainsi que s’est exprimé mercredi dernier le Président de la République, en annonçant la fin des débats sur le projet de loi visant à constitutionnaliser l’état d’urgence.
De tels propos clarifient les tenants et les aboutissants du texte sur lequel nous sommes aujourd’hui appelés à voter : ce projet de loi joue le rôle de relais à l’état d’urgence, qui prend fin le 26 mai prochain, soit quinze jours avant l’Euro 2016.
En même temps qu’il renonçait à la révision constitutionnelle et aux dérives sécuritaire et identitaire auxquelles elle conduisait, le Gouvernement est parvenu à faire passer dans notre droit commun des mesures directement issues de l’état d’urgence, et ce au terme de quelques jours de débat à peine, après avoir engagé la procédure accélérée.
Pourtant présenté comme un texte distinct des lois précédentes, cet énième projet de loi antiterroriste, initialement centré sur des mesures visant à alléger la procédure pénale, reprend des dispositions similaires à celles qui figuraient dans l’avant-projet de loi d’application de la révision constitutionnelle pour les introduire dans le droit commun. Il en est ainsi de la mesure relative à la rétention administrative de quatre heures sur simple soupçon.
Alors même que le Gouvernement n’a toujours pas pris de dispositions protectrices – comme celles que nous avons proposées par voie d’amendement – pour répondre aux condamnations prononcées contre l’État pour contrôles discriminatoires au faciès, cette mesure de police contribuera à aggraver les situations et à dégrader la confiance que les citoyens placent quotidiennement dans les forces de l’ordre.
Avec ce projet de loi, une salve d’autres mesures sécuritaires et attentatoires aux libertés publiques a été adoptée.
Désormais, les parquets seront en droit d’ordonner des perquisitions de nuit, prérogative jusqu’alors réservée aux juges. Les procureurs et les juges d’instruction seront autorisés à utiliser de nouvelles méthodes de surveillance, telles que les IMSI-catchers et la captation de données.
M. Philippe Bas. Exactement !
Mme Cécile Cukierman. Les règles relatives à l’engagement armé des policiers sont assouplies.
Bien sûr, la droite sénatoriale a marqué ce texte de son sceau en s’appliquant à durcir davantage notre dispositif préventif et répressif.
M. Hubert Falco. Hé oui ! Et elle a eu raison !
Mme Cécile Cukierman. Elle a ainsi contribué à l’adoption de plusieurs mesures aggravantes, telles que la pénalisation de la consultation régulière de sites incitant au terrorisme ou en faisant l’apologie, mesure figurant déjà dans la proposition de loi tendant à renforcer l’efficacité de la lutte antiterroriste déposée par M. Bas au mois de février dernier. La presse spécialisée elle-même s’interroge, évoquant une inquisition moderne. Comme si le blocage, le filtrage et l’interdiction de la consultation de tels sites représentaient la voie royale pour prévenir le terrorisme !
Malgré les graves distorsions que cette évolution introduit dans l’échelle des délits et des peines, la criminalisation de l’association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste constitue une autre des mesures adoptées dans le projet de loi. Y figurent aussi la création d’une période de sûreté spéciale applicable à tous les crimes terroristes, y compris ceux qui ne sont pas punis de la réclusion criminelle à perpétuité, et surtout la possibilité donnée à la cour d’assises, lorsque le crime terroriste est passible de la prison à vie, soit d’allonger la période de sûreté à trente ans – contre vingt-deux ans actuellement –, soit de décider qu’aucune mesure d’aménagement de peine ne pourra être accordée : le principe de la perpétuité dite « incompressible » est ainsi inscrit dans la loi !
Évidemment, le Sénat a rejeté l’amendement que nous avions déposé et qui visait à supprimer cette disposition. Vous vous y êtes d’ailleurs également opposé, monsieur le garde des sceaux, déclarant que « le Gouvernement [était] conscient qu’en cette période il [fallait] durcir un certain nombre de sanctions ».
Pour notre part, nous considérons que la période n’est pas à la surenchère sécuritaire et démagogique ! Ces mesures et ces débats concernant notamment la perpétuité réelle et la rétention de sûreté sont extrêmement graves : ils viennent entacher nos droits fondamentaux et mettre en péril le socle même du droit pénal français.
L’ensemble de ces mesures seront non seulement inefficaces au regard de l’objectif que le texte cherche à atteindre, à savoir la lutte contre Daech, mais surtout inapplicables, compte tenu des moyens dérisoires alloués à la justice. Quelle logique y a-t-il à aggraver les délits et étendre le quantum de la sanction pénale quand on sait que les tribunaux ne sont pas en mesure de suivre la cadence ?
Et quand bien même les finances publiques seraient au beau fixe, il faudrait tâcher de s’en servir à bon escient, ce dont nous ne pouvons que douter quand on voit le projet de société que vous nous proposez !
Nous le répétons : tous les moyens doivent être mis en œuvre pour les programmes de réinsertion, le milieu associatif, en faveur de la jeunesse, de l’éducation et de la culture.
Bien entendu, nous devons renforcer nos services de renseignement et revaloriser de manière importante et urgente la justice, fille pauvre de notre République ! Cependant, nous devons aussi repenser notre politique publique de sécurité : elle doit être plus équilibrée et davantage en phase avec une réelle politique publique de la prévention, ainsi qu’avec le contexte international – nos choix diplomatiques – et national – nos choix sociétaux.
Le groupe communiste républicain et citoyen le répète : ne tombons pas dans le piège tendu par les obscurantistes. C’est la liberté et le combat social qui permettront à la République de triompher !
Mme Éliane Assassi. Très bien !
Mme Cécile Cukierman. Mes chers collègues, vous l’aurez compris, les membres du groupe communiste républicain et citoyen voteront résolument contre ce projet de loi ! Alors que nous assistons à la banalisation de l’état d’urgence, nous observerons la plus grande vigilance lorsque ces mesures sécuritaires, inédites dans notre démocratie, viendront à s’appliquer !