Ce texte ne remet nullement en cause le nouveau processus de rationalisation de la carte des intercommunalité

Délai d'entrée en vigueur des nouvelles intercommunalités

Publié le 7 avril 2016 à 07:30 Mise à jour le 4 novembre 2024

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au cours de nos débats sur le projet de loi NOTRe, de nombreux intervenants, sur toutes les travées de cet hémicycle, s’étaient interrogés sur la pertinence d’ouvrir une nouvelle phase dite « de rationalisation de la carte intercommunale ».

Ils notaient, comme nous, que les intercommunalités actuellement en place venaient de se constituer et n’avaient pas encore eu le temps de construire des programmes d’actions dans leurs domaines de compétences,…

M. Jean-Michel Baylet, ministre. C’est vrai !

M. Christian Favier. …pas plus qu’elles n’avaient encore permis aux élus de se connaître et d’apprendre à travailler ensemble. Le président Larcher déclarait lui-même alors que les collectivités territoriales avaient besoin de stabilité.

D’autres intervenants s’interrogeaient sur le rythme de cette nouvelle concentration des territoires qui ne laissait pas le temps nécessaire à la réflexion sur les nouveaux projets de territoire, ainsi que sur les politiques publiques communes à mettre en œuvre.

Enfin, bon nombre se demandaient s’il fallait instaurer un relèvement du seuil minimal d’habitants, relançant le débat déjà ouvert en 2010 sur la pertinence d’un seuil aussi désincarné, ne prenant pas assez en compte les réalités géographiques des territoires non plus que le travail déjà mis en œuvre dans les intercommunalités existantes, ni même certains projets en construction.

Malgré ces interrogations, critiques et désaccords, au moment de l’adoption du texte, toutes ces remarques furent balayées, et les sénatrices et sénateurs du groupe CRC se retrouvèrent bien seuls à voter contre les articles relançant un nouveau processus de regroupement intercommunal.

Depuis, les projets de schémas départementaux de coopération intercommunale sont en cours d’adoption, et chacun sait que beaucoup de critiques se font jour. Cependant, en de nombreux endroits, en vertu de la règle de la majorité qualifiée en vigueur au sein des comités départementaux, ce sont les projets préfectoraux qui sont finalement adoptés, malgré les nombreux désaccords.

Ainsi, en Isère, trois communes ont décidé de former au 1er janvier 2016 la commune nouvelle des Abrets-en-Dauphiné. Le conseil municipal de cette dernière demande son rattachement à la communauté d’agglomération du Pays voironnais contre l’avis du préfet, qui prévoit son rattachement à la communauté de communes de Bourbre-Tisserands. La commission départementale de la coopération intercommunale doit donc se prononcer sur ce rattachement. Or, sur les cinquante-trois membres de la CDCI, vingt-sept, soit la majorité, votent contre la prescription du préfet. C’est tout de même le projet du préfet qui sera mis en œuvre, car ce vote ne dégage pas la majorité qualifiée des deux tiers.

Sans nul doute, partout en France, lorsque les conseils municipaux seront saisis des propositions du préfet, bon nombre n’adopteront pas celles-ci, mais leur vote ne sera alors pris en compte que si le préfet en fait le choix, car il a tout pouvoir en ce domaine.

Notons à ce propos que le débat sur le seuil d’habitants, fixé par le Gouvernement à 20 000 puis finalement ramené par le Parlement à 15 000, est bien loin derrière nous. En fait, cette disposition n’a pour ainsi dire jamais été un critère retenu par les préfets.

M. Jacques Mézard. Tout à fait !

M. Christian Favier. Les projets de regroupements sont en fait souvent bien plus larges. On parle même maintenant d’intercommunalités XXL, avec parfois plusieurs dizaines de communes regroupées, jusqu’à 200 même, et rassemblant plusieurs dizaines de milliers d’habitants.

M. Jacques Mézard. L’obésité mène au diabète !

M. Christian Favier. Il paraît que ces nouveaux territoires regrouperaient alors les communes d’un même bassin de vie, sans d’ailleurs que celui-ci soit vraiment défini à partir du croisement de plusieurs données objectives.

Les flux de population habitat-travail sont souvent pris en compte dans la définition de ces nouveaux territoires, mais ils ne peuvent être considérés comme les seules données pertinentes. Ils s’apparentent plus à des données de zone de chalandise des entreprises actuellement implantées, comme s’il s’agissait d’un aménagement figé, sur lequel nous décidions de ne pas agir, considérant sans doute qu’il ne pourra plus évoluer. De plus, la prise en compte du seul rythme de vie lié à l’emploi renvoie au triptyque bien connu « boulot-transport-dodo », qui laisse peu de place à la vie et ne rend compte de la situation que d’une partie de la population.

En fait, ces projets d’intercommunalité correspondent davantage à des territoires de consolidation des situations acquises de développement, sans porter la moindre volonté politique de perspective d’évolution fondée sur des projets partagés prenant en compte les besoins, dans le cadre d’un aménagement du territoire harmonieux et équilibré, et répondant aux multiples attentes de la population dans son ensemble.

Ces projets de nouvelles intercommunalités ne laissent par ailleurs que peu de place aux élus de nos communes et excluent de la réflexion et de la décision les citoyens eux-mêmes.

Dans ce contexte, en lisant le titre de la présente proposition de loi, nous étions enclins à la soutenir, car il nous semblait alors qu’elle pouvait donner plus de temps pour éventuellement modifier les projets préfectoraux.

Or il n’en est rien. Ce texte ne fait que permettre de reculer d’un an, non pas la mise en œuvre de la définition des nouvelles intercommunalités, mais seulement le délai de mise en place de certaines d’entre elles. Comme le précise d’ailleurs l’exposé des motifs, il s’agit seulement de laisser du temps afin de permettre de régler les difficultés résultant de projets particulièrement complexes.

Nous regrettons les limites de ce texte, qui ne remet donc nullement en cause le nouveau processus de rationalisation de la carte des intercommunalités que nous avions refusée et qui va réduire leur nombre de près de 40 % – 39 % avez-vous dit, monsieur le ministre.

Aussi, malgré nos remarques et nos désaccords, et pour ne pas rajouter de la difficulté aux élus qui sont aujourd’hui, il faut bien le dire, confrontés à l’incohérence d’une loi sous bien des aspects quasiment inapplicable en l’état, nous nous abstiendrons, tout en rappelant notre ferme opposition à cette évolution autoritaire de notre organisation territoriale.

Christian Favier

Ancien sénateur du Val de marne - Président du Conseil départemental
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