Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le projet de loi qui nous est aujourd’hui soumis nous laisse, comme d’autres, pour le moins sceptiques sur la forme comme sur le fond. Nous nous interrogeons également sur le contexte dans lequel intervient un tel débat. Il semblerait en effet que, à la veille d’échéances électorales importantes, les projets, débats, états généraux en tout genre sur le thème de la justice, sont brandis tous azimuts et de toutes parts.
Pourtant, pour nous comme pour un certain nombre de professionnels de la justice, c’est finalement un projet de loi aux mesures éparses et sans véritable cohérence globale qui est proposé, alors même qu’il affiche la volonté de rétablir la confiance des citoyens dans l’institution judiciaire.
Certes, filmer les audiences pourrait présenter une vertu pédagogique en donnant aux justiciables accès aux rouages de la justice du quotidien – nous n’y sommes pas opposés, à condition d’encadrer sérieusement ce dispositif –, mais bien d’autres problématiques amputent aujourd’hui la confiance de nos concitoyens dans cette institution. Il est par exemple important de faire le constat amer des suspicions de nos concitoyens quant à l’impartialité des juges et à leur indépendance vis-à-vis du pouvoir politique. Bien plus, nous ne pouvons ignorer l’impact notable de l’indigence des moyens de la justice sur la qualité des audiences et de la motivation, sur les délais d’audiencement et de jugement – autant d’éléments qui ont une incidence non négligeable sur la mauvaise opinion que les citoyens peuvent se faire de leur justice, et ce malgré l’engagement de l’ensemble des professionnels pour faire mieux au quotidien.
Toutes ces questions ne sauraient donc être résolues par la simple diffusion d’images d’audience à la télévision ou sur internet : elles nécessitent des réformes institutionnelles permettant de renforcer dans les faits le statut des magistrats – la réforme sur l’indépendance du parquet est-elle définitivement enterrée ? – ou encore d’encadrer les transmissions d’informations des juridictions à la Chancellerie. Permettez-moi une digression : nous avons vu qu’il ne suffisait pas d’organiser des débats télévisés avec de grands professeurs de médecine pour rassurer nos concitoyens sur les politiques sanitaires à conduire.
Enfin, ce projet de loi qui affiche pour ambition de renouer le lien de confiance entre justiciables et institution judiciaire manque cruellement de crédibilité en éludant la question de la justice civile, au cœur du quotidien de nos concitoyens. En ce sens, ce texte contient une seule disposition, minime, mais néanmoins positive, la suppression de la juridiction nationale des injonctions de payer, bien que cela n’aille pas du tout dans le sens d’une confiance renforcée dans la politique menée par le Gouvernement en matière de justice, le garde des sceaux supprimant une juridiction créée par la garde des sceaux qui l’a précédé au cours de ce quinquennat.
Venons-en à ce que le texte contient de positif. Nous saluons les mesures concernant le travail en détention. Le contrat d’emploi pénitentiaire marque indubitablement un progrès ; il consacre des relations entre les donneurs d’ordre et le travailleur détenu. Hélas, pour ce code pénitentiaire, le Gouvernement demande l’habilitation à légiférer par voie d’ordonnances.
Concernant l’exécution des peines, alors qu’un pas est fait dans le sens de la régulation carcérale en rendant automatique la libération sous contrainte à trois mois de la fin de peine, ce qui est donné, d’un côté, est repris de l’autre, avec la fin des crédits de peine attribués d’emblée lors du placement sous écrou des détenus. Nous y reviendrons lors de la discussion des articles.
En l’état, ce projet de loi ne peut recueillir notre assentiment. Si un certain nombre de mesures semblent plutôt positives, par exemple celles qui visent à encadrer le travail en détention ou encore celles qui sont relatives à l’évolution des règles déontologiques et disciplinaires des professionnels du droit, d’autres sont pour nous rédhibitoires, à l’instar de la fin des crédits de réduction des peines, de la suppression du rappel à la loi, finalement remplacé par ce qui pourrait s’apparenter à un Canada Dry de la justice, ou encore de la généralisation des cours criminelles départementales. Les crimes sexuels ne peuvent être jugés au rabais et à la place du peuple à travers les jurés populaires ; la cour d’assises doit rester centrale dans le fonctionnement de la justice.
Dans l’ensemble, trop de mesures vont dans le sens d’une gestion comptable de la justice. Elles révèlent un manque de cohérence flagrant et semblent relever, comme je l’ai dit au début de mon propos, d’une logique dictée par les aléas politiques et médiatiques du moment. C’est finalement bien regrettable, car, oui, monsieur le garde des sceaux, il y a urgence à restaurer cette confiance, à redonner à nos concitoyens cette capacité non pas à croire en l’institution judiciaire, mais à avoir l’assurance que l’institution judiciaire est tournée vers eux et fonctionne pour eux.
Pour toutes ces raisons, nous ne voterons pas le texte proposé.