Le sujet qui nous occupe aujourd’hui, la vente à la découpe, s’inscrit dans un contexte bien plus vaste, celui d’une crise du logement sans précédent, mise en évidence par les événements récents - 54 morts dans des immeubles insalubres en plein Paris - et que l’on peut décliner ainsi : pénurie de logements sociaux accessibles, offre insuffisante, désengagement de l’État, spéculation immobilière effrénée.
Quelques chiffres : entre 1997 et 2005, les prix des appartements ont doublé à Paris, augmenté de 95 % en Rhône-Alpes et de 116 % en P.A.C.A. Ces deux dernières années, les familles ont dû supporter une augmentation moyenne de 7 % de leur loyer - sans comparaison avec celle des salaires. Depuis trois ans, les aides au logement sont gelées.
La foncière Gecina a réalisé de 2002 à 2004 un résultat net de 841,2 millions d’euros et son action a progressé de 13,5 % en 2004. Les prix de l’immobilier ancien ont poursuivi leur envolée en 2004 avec une hausse moyenne de 15,5 %. Sur six ans, le prix des appartements a quasi doublé (+ 98,3 %), celui des maisons à gagné près de 82 %.
Le fonds de pension américain Westbrook vient d’acquérir 100 immeubles, soit plusieurs milliers d’appartements dans la capitale, avec pour objectif 30 % de plus-values sur cinq ans.
Face à ces chiffres, ceux des mal-logés : 86 500 personnes sont sans domicile fixe, +809 000 sont privées de domicile personnel, + 2 187 000 connaissent des conditions de logement très difficiles, + 715 000 sont en situation de précarité pour des raisons financières, + 625 000 vivent en copropriété dégradée, nécessitant une aide publique et + 3 507 000 personnes sont hébergées par des proches, faute de logement personnel.
On aboutit à 8 753 000 personnes non logées ou en logement dégradé !
Une telle situation appelle une prise de conscience nationale et des outils d’action publique à la hauteur.
Ce que nous pouvons savoir du projet du gouvernement qui doit nous être soumis prochainement, n’est, hélas, pas convaincant !
La droite à Paris fait assaut de démagogie. (Protestations sur les bancs de la droite.) Il lui en faudra beaucoup pour faire oublier sa politique menée depuis les années 70 dans la capitale : insalubrité ;(MM. Pozzo di Borgo et Goujon s’insurgent) chasse aux catégories populaires ; spéculation immobilière ! Il lui en faudra beaucoup aussi pour se dédouaner de la politique gouvernementale qu’elle soutient, qui ne cesse de réduire l’intervention publique dans le domaine du logement comme dans l’ensemble du champ social et favorise fiscalement les spéculateurs. Il lui en faudra beaucoup pour masquer qu’en Île-de-France des villes comme Neuilly, Le Raincy, Ville d’Avray - j’en passe - comptent de 2 % à 4 % de logements sociaux et refusent d’en construire, tout comme les arrondissements de l’Ouest parisien. (M. Goujon le conteste.)
Alors, évidemment, la vente à la découpe est une goutte d’eau dans l’océan des problèmes du logement, mais c’est une question non négligeable. Le phénomène est apparu dans les années 90, à Paris principalement, mais aussi dans d’autres métropoles : Lyon, Marseille ou Lille, par exemple.
La vente par lots d’un immeuble appartenant à un propriétaire unique n’est pas nouvelle, mais la forme actuelle est caractérisée. Elle consiste pour un bailleur institutionnel (banque ou assurance, par exemple) à céder à un marchand de biens ou à un fonds de pension un immeuble que celui-ci revend ensuite par appartements.
Ce phénomène est directement lié à la spéculation immobilière ; d’ailleurs, le phénomène a pris une ampleur nouvelle depuis 2002 (+ 35 %) - tout naturellement en parallèle avec la flambée spéculative ! À Paris, en 2004, les ventes à la découpe ont concerné 15 % des ventes d’appartements anciens, soit 6 378 logements.
Les investisseurs immobiliers vendent leur « patrimoine-logements » pour les transformer en « immobilier-bureaux » plus rentables, et les marchands de biens profitent de la spéculation rapide et des avantages fiscaux.
Le logement en pâtit : ces opérations alimentent la pénurie de logements locatifs, accentuent la flambée des prix et participent à l’éviction des locataires à revenus modestes et moyens.
Loin d’être cantonné à quelques cas de quartiers chics parisiens, le phénomène touche à Paris de nombreux immeubles, où logent des personnes âgées et des gens modestes vivant depuis longtemps dans leur appartement.
Beaucoup de ces victimes se sont mobilisées depuis 2004 pour alerter les pouvoirs publics et l’opinion obligeant les parlementaires à réagir avec plus ou moins de conviction... À preuve, l’inscription à l’ordre du jour des propositions de loi déposées par notre groupe au Sénat et par le groupe socialiste à l’Assemblée a été refusée !
En revanche, nous discutons aujourd’hui d’une proposition de loi due à Mme Aurillac... On comprend pourquoi ! Ce texte ne porte en rien atteinte au droit sacro saint, non de propriété - comme le prétend notre rapporteur - mais au sacro saint droit de spéculer. (Pro-testations à droite.)
M. SUEUR. - C’est la vérité !
Mme BORVO COHEN-SEAT. - Le texte instaure un droit de préemption spécifique aux locataires, institue un bail précaire pour certains locataires et prévoit de reconduire les baux en cours qui arrivent à expiration avant le délai pendant lequel le propriétaire s’est engagé à maintenir le statut locatif.
Ces aménagements très relatifs ne limitent en rien la possibilité pour les marchands de biens de pratiquer les ventes à la découpe. Seuls 20 % des locataires peuvent se porter acquéreurs, les autres ne seront en rien protégés par le dispositif.
Notre proposition de loi est plus contraignante : elle soumet à autorisation municipale les opérations de congé vente avec le principe d’un permis de diviser. Elle est plus protectrice des droits des locataires et, surtout, modifie la fiscalité sur le logement en revenant sur les dispositifs de Robien-Marini. Force est de constater que l’allégement des contraintes fiscales sur les transactions opérées par les sociétés d’investissement mobilier cotées à nourri les désordres que nous constatons aujourd’hui.
D’après certaines estimations, la seule société Gecina, spécialisée dans les opérations de vente à la découpe, a bénéficié d’un allégement de l’impôt sur les sociétés à hauteur du total des aides publiques à la construction et à la réhabilitation de l’habitat collectif.
Nous défendrons donc des amendements correspondants à notre proposition de loi, laquelle, loin de porter atteinte à l’équilibre entre locataires et propriétaires, considère avant tout que le scandale a assez duré et qu’il est temps de mettre en place les conditions du dégonflement de la bulle spéculative.
Pour ce faire, il importe d’accroître l’offre de logements, de rééquilibrer les relations entre locataires et bailleurs, de revenir sur des faveurs fiscales uniques.
Aujourd’hui le droit au logement n’est pas respecté. Combien faudra-t-il encore de tragédies pour que l’État prenne ses responsabilités. Tous les instruments de l’action publique doivent être mis en œuvre - notamment l’interdiction des expulsions sans relogement, la réquisition, le gel des loyers, la taxation de plus-values - pour construire 600 000 logements sociaux d’urgence en cinq ans. Nous plaidons aussi pour l’application obligatoire de la loi S.R.U.
S’il en était besoin, la vente à la découpe montre à quel point les prétendues ventes régulatrices du marché s’arrêtent là où se profile l’expérience du premier euro de profit !
Il est du devoir des élus du peuple de rétablir les droits des locataires bafoués par les spéculateurs. Il nous revient de garantir le droit au logement.