Un rendez-vous manqué

Transparence de la vie publique (nouvelle lecture)

Publié le 25 juillet 2013 à 07:53 Mise à jour le 8 avril 2015

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, à la suite de l’échec de la commission mixte paritaire, nous débattons aujourd’hui de textes dont l’ambition est d’assurer la transparence et le contrôle des patrimoines des responsables publics et donc de restaurer la moralité en politique et, bien évidemment, nous l’espérons, de redonner confiance aux Français. Néanmoins, il me semble qu’en la matière il reste encore beaucoup de chemin à parcourir.

L’issue de la commission mixte paritaire n’est pas une surprise tant son échec était attendu. À vrai dire, comment pouvait-il en être autrement dès lors que la version de l’Assemblée nationale proposait une déclaration de patrimoine consultable en préfecture avec interdiction de divulgation sous peine de sanction pénale, tandis que le Sénat avait amputé le projet de loi organique de l’article 1er et le projet de loi de l’article 11 ? Pourtant, la commission des lois du Sénat avait fait des efforts pour les maintenir dans une version améliorée, en prévoyant une publication au Journal officiel et en supprimant le délit de divulgation des déclarations de patrimoine.

Force est de constater, à l’issue des lectures dans chacune des chambres et de la CMP, que deux conceptions de la transparence se sont opposées et s’opposent encore. C’est si vrai que, en dépit de la posture positive adoptée ce matin par M. le rapporteur, la commission des lois a déposé des amendements pour rétablir la version du Sénat après que l’Assemblée nationale a choisi de revenir à son propre texte.

Reste que tout cela ne m’apparaît pas circonstanciel : qu’il y ait de profonds désaccords entre la gauche et la droite sur un tel sujet était attendu.

Mme Jacqueline Gourault. C’est terrible de schématiser ainsi !

Mme Éliane Assassi. Non, je ne schématise pas !

Mais ce qui tend à rendre le débat plus opaque que transparent, ce sont les profonds désaccords au sein même de la gauche gouvernementale.

M. Gérard Longuet. Voilà un sujet intéressant !

Mme Éliane Assassi. Ils masquent à peine d’autres enjeux, dont celui relatif – c’est selon – au cumul ou au non-cumul des mandats.

In fine, ces textes seront vidés de leur contenu par le Sénat, notamment sur des points essentiels qui auraient pu donner tout son sens au mot transparence dans sa dimension démocratique.

M. Philippe Bas. C’est plutôt démagogique !

Mme Éliane Assassi. Monsieur Bas, vous prendrez la parole quand on vous la donnera.

M. Philippe Bas. Merci, madame la présidente ! (Sourires sur les travées de l’UMP.)

Mme Éliane Assassi. Comment expliquer aux Français le « vite fait, mal fait d’un texte qui connaît l’un des parcours législatif les plus chaotiques de l’année », pour citer un fameux journal du soir ?

Comment leur redonner confiance quand des projets de loi qui avaient pour ambition de « lutter de manière impitoyable contre les conflits entre les intérêts publics et les intérêts privés et [d’] assurer la publication ainsi que le contrôle sur les patrimoines des ministres et de tous les parlementaires » ressemblent plus aujourd’hui à des textes d’affichage ?

Comment leur redonner confiance quand trop d’affaires ternissent le monde et le personnel politiques ? Ces scandales constituent autant de fractures qui nourrissent un réel désenchantement populaire à l’égard du politique et de la chose publique.

Mes chers collègues, ces textes ne sont pas parfaits, mais ils contiennent tout de même des avancées, comme la création de la Haute Autorité, même si, pour notre part, nous ne sommes pas vraiment assurés qu’elle soit dotée des moyens nécessaires pour assumer ses missions.

M. Gérard Longuet. Ça change quoi ?

Mme Éliane Assassi. Nous nous réjouissons également de la définition – enfin ! – dans notre droit de la notion de conflit d’intérêts, même si, comme je l’ai déjà dit, nous aurions préféré la définition de la commission Sauvé. Mais, au bout du bout, il me semble que notre rendez-vous avec la vraie transparence va être manqué ! Le plus grave est que nous en avons raté d’autres ces derniers jours, comme celui avec la lutte contre la fraude fiscale ou encore celui avec la création d’un parquet financier. Ce faisant, nous ne contribuons pas à rétablir la confiance.

Des sénateurs vont sans doute, tout à l’heure, rejeter ces textes ; ils vont de ce fait rejeter la mise en place d’un dispositif minimaliste de prévention, de contrôle, de publicité et de sanction des obligations d’intégrité des élus que nous sommes.

M. Vincent Delahaye. Ça ne sert à rien !

Mme Éliane Assassi. Je me demande comment ce rejet sera perçu à l’heure où la confiance des citoyens envers les élus est mise à mal.

Notre groupe le regrette profondément. D’ailleurs, en proposant d’aller plus loin que les dispositions prévues dans ces projets de loi, nous avons toujours soutenu la mise en place d’un véritable contrôle citoyen, c’est-à-dire d’un contrôle par celles et ceux qui nous ont élus et dont nous sommes les représentants.

Cette transparence par le contrôle citoyen restaurerait ou, en tout cas, contribuerait fortement à restaurer la confiance des Français envers leurs élus et les institutions et tendrait à combler le fossé qui s’est creusé entre les citoyens et les élus. Celui-ci est, je l’ai déjà dit, très profond ; il a plusieurs causes et plusieurs effets. Nous les avons déjà évoqués, mais je voudrais quand même les rappeler : la multiplication récente des affaires, qui sont les symboles d’une collusion entre le monde politique et le monde financier ; le renforcement d’un système dans lequel sont considérées comme normales la primauté donnée à la finance et l’accumulation d’argent ; la concentration de pouvoir dans l’exécutif ; la dévalorisation du Parlement ; le peu ou pas de place donnée à la souveraineté populaire et à l’initiative citoyenne. Malheureusement, tout cela conduit aussi au repli sur soi, à l’individualisme et à l’abstention des électeurs, voire au vote de dépit en faveur de partis d’extrême droite.

Il me semble que tous ces débats, en ce qu’ils révèlent, illustrent aussi le fait que notre Ve République est malade et que les vingt-quatre révisions qu’elle a subies depuis son origine n’ont pas réussi à mettre un terme à ses souffrances. En ce sens, l’idée d’une VIe République citoyenne et sociale, en rupture avec la Ve, doit être posée avec des objectifs clairs : redonner la souveraineté au peuple, instaurer une véritable initiative citoyenne dans la cité et dans l’entreprise, sortir du présidentialisme et restaurer la primauté du Parlement. Ce dernier n’est aujourd’hui pas représentatif de la population, ce qui n’est pas sans rapport avec le fait que les parlementaires sont les élus les plus décriés, alors qu’ils sont censés représenter le peuple tout entier.

Il est temps d’arrêter de se cacher derrière de faux arguments et derrière l’idée selon laquelle ces questions ne seraient pas une priorité pour nos concitoyens au regard de la situation de l’emploi, du pouvoir d’achat, etc. Dans la situation économique et sociale que nous connaissons, il est évident que nos concitoyens sont fortement préoccupés par ces problèmes, mais, ne nous leurrons pas, ils sont tout autant préoccupés par l’utilité de la politique pour y répondre, avec un personnel politique intègre. À cet égard, je vous renvoie à ce fameux sondage qui montre que plus de 80 % d’entre eux pensent que les politiques ne se préoccupent pas d’eux.

Pour terminer, je dirai que nous sommes bien là au cœur d’une valeur fondamentale : celle de la démocratie et de son exercice. Mais, à l’évidence, elle n’est pas non plus au rendez-vous de nos débats !

Comme l’a dit un personnage célèbre, en une citation que j’aime beaucoup : « Ne regardons jamais une question comme épuisée ! » Pour notre part, nous allons suivre ce conseil et, comme nous sommes des militantes et des militants de la transparence, nous voterons ces textes.

Éliane Assassi

Sénatrice de Seine-Saint-Denis - Présidente du groupe CRCE
Voir le site Contacter par E-mail Suivre sur Facebook Suivre sur Twitter

Ses autres interventions :

Sur le même sujet :

Politique