Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, de par la volonté du Président de la République, vous voulez coûte que coûte faire adopter par le Parlement la réforme des collectivités locales dont nous parlons depuis déjà un certain temps, réforme pourtant largement contestée, y compris dans vos rangs.
Vous venez – pour mettre en route le processus – d’imposer, avec la suppression de la taxe professionnelle, une mise en cause de l’autonomie des collectivités locales, et ce contre l’avis de nombreux élus locaux de votre propre camp.
Aujourd’hui, vous voulez imposer dans l’urgence une réduction importante des mandats des conseillers régionaux qui seront élus en 2010 et des conseillers généraux qui le seront en 2011 pour être en situation, en 2014, d’appliquer la réforme dont le Parlement n’a pas encore débattu. C’est écrit dans l’exposé des motifs de ce projet de loi.
Monsieur le rapporteur de la commission des lois, vous êtes évidemment aux premières loges, puisque vous faites partie – selon une terminologie guerrière – de la task force du Président de la République pour justifier l’adoption des dispositions du projet de loi dont nous débattons aujourd’hui en invoquant l’exigence de sincérité du scrutin pour les électeurs et la démocratie, ce que l’ensemble de la réforme fait, au contraire, régresser.
Vous évoquez l’opportunité de supprimer le renouvellement triennal et l’intérêt de la concomitance des deux scrutins. Vous évoquez même la nécessité de découpler les scrutins nationaux et locaux, en pleine contradiction avec le Président de la République qui vient d’entrer directement dans la campagne pour les élections régionales en disant qu’il s’agit d’élections nationales.
Voilà de nombreuses contradictions, mais toutes ces propositions se discutent, alors discutons-en, mais dans le cadre de la réforme et ne les faites pas avaliser en douce avant !
Vous dites, à bout d’arguments, que ce que le législateur fait, il peut le défaire, mais c’est vrai pour tout. Nous l’avions dit pour La Poste, et vous nous avez affirmé contre toute évidence que les 100 % publics une fois votés seraient nécessairement immuables. Là aussi, vérité d’un côté, contre-vérité de l’autre !
La majorité vient précisément d’adopter en commission des lois – vite fait, bien fait – la création des conseillers territoriaux ! Preuve, s’il en était besoin, qu’elle entend à toute force aller de l’avant sur son projet.
La véritable raison d’être du projet de loi est bien ailleurs. Vous le dites vous-mêmes : ce texte « est le support d’enjeux institutionnels forts ».
Dès lors, mes chers collègues, ne tournons pas autour du pot : en posant les fondements de la création des conseillers territoriaux, ce projet de loi nous est soumis pour que nous anticipions sur nos choix à l’issue d’une discussion qui n’aura lieu que dans les prochains mois et qui durera assez longtemps.
C’est une atteinte franchement inacceptable aux droits des parlementaires que nous sommes. Et c’est d’autant plus imprudent que l’idée des conseillers territoriaux est contestée, y compris dans votre majorité, je viens de l’entendre ici.
Ce texte court n’est donc pas anodin. Il participe du bouleversement de nos institutions inscrit dans une réforme territoriale qui renie les principes fondamentaux de la décentralisation, puisque les collectivités territoriales, à tous les niveaux, perdent leur libre administration.
La réforme participe elle-même de la mise en œuvre du projet libéral du Président de la République et du Gouvernement, que vous défendez ici. Vous voulez revenir sur le rôle des collectivités territoriales, qui contribuent, je le rappelle, à 73 % de l’investissement public – Dieu sait si c’est important aujourd’hui ! – et à de nombreux services publics locaux, que vous souhaitez les voir abandonner.
Dans ces conditions, allons-nous, mes chers collègues, accepter une fois encore la mise en cause de nos propres droits ?
Le Président de République disait dans son discours d’Épinal, le 12 juillet 2007 : « Les institutions, ce sont les règles qui sont connues par avance qui permettent à chacun de savoir raisonnablement ce qu’il peut attendre de tous les autres. »
Or, ce texte contredit cette déclaration puisque, aujourd’hui, les règles ne sont pas dites.
Vous renvoyez à plus tard la définition des compétences qui seront attribuées aux deux assemblées, mais vous n’attendez pas pour leur retirer la compétence générale.
Vous renvoyez à plus tard le nombre des cantons par département et leur périmètre, lesquels seront fixés encore une fois par ordonnance, procédure peu démocratique s’il en est, et qui plus est après la promulgation du redécoupage des circonscriptions législatives dans lesquelles s’inscriront les nouveaux cantons.
Pour vous, monsieur le secrétaire d’État, la démographie ne serait pas déterminante. En conséquence, avec une réduction de moitié des élus, l’ensemble du territoire sera moins bien représenté ; et avec un minimum de quinze conseillers territoriaux par département, les zones urbaines le seront encore moins bien que les zones rurales.
Vous avez parlé d’économies avec le passage aux conseillers territoriaux. Mais vous en rajoutez en évoquant des « remplaçants » au rôle renforcé. Combien coûteront-ils ? Il est dit aussi qu’il faudra renforcer les moyens humains et financiers des institutions chargées de faire face à quatre, voire cinq élections la même année.
Avec ce texte, vous inventez un élu bicéphale, multicarte, pouvant cumuler des mandats, bref un professionnel de la politique, contrairement à ce qu’exige une juste représentation du peuple.
Ce que vous visez, en réalité, c’est, d’une part, la disparition des départements – nul ne l’ignore – et, d’autre part, une refonte, qui ne dit pas son nom, du système électif français.
La disparition des départements n’est certes pas explicite, puisque de nombreux élus la rejettent. Mais elle est implicite…
M. Guy Fischer. M. Mercier l’a dit !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. … Elle sera la conséquence logique des divers regroupements et de la combinaison des transferts au sein du couple région-départements et des départements et régions vers les métropoles.
Vous avez commencé à configurer la réforme en transformant les services de l’État, puisque le pilotage des politiques publiques est confié à l’échelon régional, les départements devenant des sous-divisions, autrement dit des administrations transversales pilotées par des « managers », comme l’a dit le Premier ministre.
M. Guy Fischer. Comme dans les hôpitaux !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Nous sommes loin des grands commis de l’État qui avaient tout de même leurs avantages.
Vous inventez pour notre pays un scrutin uninominal à un tour à l’anglo-saxonne, totalement inconnu en France sous la République.
Ce n’était pas la proposition du comité Balladur – vous vous en éloignez quelquefois – lequel concluait à un scrutin de liste proportionnel à deux tours assorti d’une prime majoritaire – comme dans les régions actuelles – dans le cadre de circonscriptions infradépartementales tenant compte de la population de chaque département. C’est d’ailleurs l’une des rares propositions non retenues par le Gouvernement, c’est dommage…
Dans le document présentant les « propositions de l’UMP pour la réforme des collectivités locales », vous proposiez, monsieur le rapporteur, un scrutin uninominal à deux tours en milieu rural et proportionnel en milieu urbain. Pourquoi avez-vous changé d’avis depuis ? Vous êtes-vous livré à de savants calculs démontrant que le mode de scrutin uninominal à un tour était favorable à l’UMP ? De toute évidence, il donne la suprématie au parti majoritaire, mettant en cause le pluralisme.
Les 20 % de proportionnelle n’y changeront rien, cela vient d’être dit et je partage ce sentiment. Ils laisseront peu de place aux autres formations politiques, même à celles qui ont obtenu plus de 5 % des suffrages.
En supprimant la proportionnelle dans les régions, qui comptent aujourd’hui 47,7 % de femmes, vous mettez en cause l’obligation de parité inscrite dans la Constitution. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.) Je ne m’y attarderai pas, ma collègue Josiane Mathon-Poinat en parlera.
Monsieur le secrétaire d’État, vous vous dites ouvert à toute proposition permettant de sécuriser la parité. Mais la seule sécurisation qui vaille – on peut le regretter mais c’est ainsi –, c’est précisément la proportionnelle.
Derrière votre réforme se cache aussi une volonté de refondre notre système électif. Il est manifeste que votre objectif est de réduire les consultations à deux moments : un moment national et un moment local, en plus des élections européennes. C’est ce que confirme M. le rapporteur en évoquant une nécessaire déconnexion entre les enjeux locaux et nationaux.
Vous voulez éviter que les électeurs ne soient tentés d’élire des assemblées à majorités différentes et, à terme, vous entendez conforter votre majorité dans toutes les assemblées.
Votre prochaine étape sera-t-elle le scrutin à un tour pour les élections législatives, voire toutes les élections ? Ce serait un recul historique dans notre pays.
Je le disais, ce projet de loi n’est pas anodin. Il représente un véritable coup de force contre l’institution parlementaire, contre les départements et l’ensemble des collectivités territoriales, et contre nos concitoyens.
Vous escomptez rencontrer la faveur du peuple en mettant au ban les élus, en les accusant de coûter cher et d’être trop nombreux. Que je sache, aujourd’hui, nos concitoyens sont loin d’être convaincus.
Pour toutes ces raisons, nous voterons contre ce texte.