Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Mes chers collègues,
S’il est une réalité que personne ne conteste aujourd’hui, c’est le nombre important de détenus dans les prisons de notre pays et atteints de troubles mentaux.
Notre Rapporteur les estime à 10%, une proportion déjà importante, mais sous-estimée de l’avis de beaucoup d’experts.
Une enquête réalisée en 1997 et rendue publique en 2005 par le Docteur Betty Brahmy - Médecin chef du Service Médico-Psychologique Régional de la Maison d’Arrêt de Fleury-Mérogis – les évaluait déjà à 20 % chez les hommes et 30 % chez les femmes.
L’autre constat c’est qu’année après année, le nombre de personnes atteintes de troubles mentaux et incarcérées ne cesse de croître. Cela résulte d’une part de l’accroissement du nombre de détenus – 61 428 en 2011 – et des évolutions législatives et sociétales intervenues depuis des années, et j’ajoute que la politique pénale des dix dernières années n’a pu qu’aggraver la situation.
Le premier facteur responsable de cette situation est sans nul doute, la mauvaise application de l’article 122-1 du code pénal qui opère comme vous le savez, une distinction entre les personnes dont le discernement a été « aboli » au moment des faits et qui sont déclarés irresponsables (et ne peuvent donc pas être jugés) et ceux dont le discernement n’a été qu’« altéré » qui, eux, sont pénalement responsables et donc jugés. Or on constate aujourd’hui un double mouvement : l’altération est devenue la règle et l’abolition l’exception : de plus en plus de malades atteints de pathologies psychiatriques sont renvoyés devant les tribunaux par les juges d’instruction. Et cette notion d’altération, qui devait initialement jouer en faveur d’un allègement et d’un aménagement de la peine, est progressivement devenue une cause d’aggravation. Nous sommes loin aujourd’hui de l’esprit de la réforme intervenue au début des années 90 qui devait permettre à la personne atteint d’un trouble mental passager au moment de la réalisation d’un crime ou d’un délit, de disposer d’un procès pour lui permettre de prendre conscience de son acte et l’aider dans la voie de la guérison .
Autre facteur notable les évolutions législatives intervenues à l’initiative de votre famille politique et qui se caractérisent par une assimilation - non sans risque - entre trois notions très différentes : la maladie mentale, la responsabilité pénale et la dangerosité, voir la dangerosité présumée. Cet amalgame qui joue notamment sur la peur de nos concitoyens vous permet d’adopter des lois reposant sur l’émotion et de justifier des mesures très dangereuses pour les libertés publiques, je pense particulièrement à la rétention de sûreté. Dans un tel contexte, marqué par une défiance du pouvoir politique à l’égard du pouvoir judiciaire, que les plus hauts responsables de l’Etat n’ont de cesse de taxer de laxisme, prêts à les sanctionner et à les livrer à la vindicte populaire, comment s’étonner dés lors que magistrats et jurés préfèrent, opter pour l’altération - synonyme d’enfermement - que pour l’abolition ?
De la même manière, la rétention de sûreté, qui n’est rien d’autre que la possibilité d’enfermer à vie et sans jugement des personnes déjà condamnées, aura immanquablement pour effet de replonger dans le milieu carcéral d’anciens détenus condamnés par le passé, y compris en raison de l’application contestée de l’article 122-1.
Enfin comment ne pas souligner que la procédure de comparution immédiate joue en la défaveur des personnes souffrant de troubles mentaux. Sa rapidité, le peu de temps laissé aux avocats de la défense pour constituer leurs dossiers et établir un véritable dialogue avec leur client, la nature de la procédure qui n’est pas propice à l’expression des souffrances psychiques ainsi que le caractère non suspensif des demandes d’expertises psychologiques, tout conduit à ce que les pathologies liées à la folie rentrent dans les prisons de notre pays. Et même s’il est vrai que dans l’immense majorité des cas les peines prononcées en « comparution immédiate » sont de courte durée, il n’en demeure pas moins que des personnes dont l’état psychique aurait nécessité une prise en charge médiale, se retrouvent en milieu carcéral.
Enfin comment ne pas souligner que la situation carcérale actuelle est elle-même un élément pathogène. La surpopulation carcérale 61 428 détenus pour seulement 56 500 places ainsi que l’allongement de la durée des peines, la diminution des aménagements de peine ne sont pas sans effet sure la santé mentale des détenus car comme le souligne le Dr Betty Brahmy « certaines personnes, peut-être déjà fragiles antérieurement à l’incarcération, peuvent ne pas supporter les conditions de la vie quotidienne en prison : surpopulation, promiscuité, absence d’hygiène, rupture des liens affectifs familiaux et conjugaux, déresponsabilisation, violences, rackets, attente du jugement puis du transfert en établissement pour peine… ».
Cette proposition de loi a le mérite de poser le problème de l’application de l’article 122-1 et de prendre en compte l’atténuation du discernement.
Toutefois, son article 2 renvoie à l’application des dispositifs de droit commun qui s’inscrit dans une démarche d’enfermement carcéral, dans la mesure où l’état actuel des dispositifs de soins psychiatriques sont insuffisants ou inadéquates pendant et après l’incarcération.
Elle n’est donc pas de nature à corriger le manque de cohérence de la politique pénale, carcérale et psychiatrique actuelle. Je regrette d’ailleurs que la Commission des Finances ait déclaré irrecevable financièrement, l’amendement que nous avions déposé et qui tendait à substituer les peines de prison infligées en cas de non-respect de l’obligation de soins par un accueil au sein d’établissements adaptés à leurs pathologies.
Mais elle constitue au moins une réponse pour celles et ceux qui, atteints de troubles mentaux temporaires au moment de la commission des faits, subissent une incarcération en lieu et place d’un suivi médico-social qui serait plus pertinent. Pour elles, et même si nous demeurons opposés à l’obligation de soins prévue à l’article 2, nous voterons cette proposition de loi.