Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Mes cher(e)s collègues,
Vous nous avez tenu, Monsieur le Ministre, un discours de meeting électoral. Mais le ton - bien loin de la modestie prônée par le Premier Ministre - n’y change rien. Votre projet n’en est pas moins critiquable et vous n’avez pas dissuadé les sénateurs communistes de poser une question préalable.
Le vote en urgence qui nous est imposé - avec un travail parlementaire réduit à sa plus simple expression, est bien peu propice à un débat de fond sur les réponses à apporter aux attentes des Français en matière de tranquillité publique. L’architecture du texte le confirme. Il renvoie à un autre texte le vote d’un projet sur des mesures précises, pour l’automne, mais nous demande néanmoins d’approuver dès maintenant les orientations figurant en annexe.
Pourquoi cette précipitation ? Affichage c’est certain, mais ni l’étendue et ni le contenu de l’annexe ne permettent pas de « l’expédier » en 4 jours (2 à l’Assemblée Nationale et 2 ici).
Votre loi de programmation étant la jumelle de celle de la justice, je me permets d’en dire la même chose.
Vous légitimiez votre projet - et l’urgence - par le vote des Français et leurs attentes en matière de sécurité.
D’emblée, je tiens à préciser que nul ici n’ignore la réalité de la France, que nul ici n’ignore la mal-vie des quartiers difficiles, ni la violence, ni l’insécurité.
Cette remarque est particulièrement fondée pour les élus communistes, élus le plus souvent de quartiers populaires.
Depuis des décennies, nous sommes aux premières loges de la détérioration du tissu social.
A l’évidence, nos concitoyens aspirent à mieux vivre, emploi, salaires, tranquillité publique, respect. De ce point de vue, gouvernement et majorité précédents ne les ont pas convaincus. Mais il n’en est pas moins vrai que le débat de fond sur les réponses à apporter, les choix à faire pour s’attaquer durablement aux phénomènes de violence et d’insécurité, il n’y en eut pas réellement au cours de la longue période électorale que nous avons connue.
Le discours sur l’insécurité et la délinquance a envahi le champ politique et médiatique, à partir de l’été 2001 le Président de la République - alors futur candidat - a donné le « la » le 14 juillet et la déferlante a couvert tout autre débat.
A juste titre, les événements du 11 septembre à New-York ont suscité inquiétude et peur. Elles ont été exploitées sans vergogne.
Les médias, notamment radios, télévisions, ont adopté une attitude qui mérite pour le moins réflexion.
La violence qui est réelle, la détresse des victimes, permettait, sans doute, de faire du chiffre. La présenter de manière brute, sans analyse et confrontation d’idées, fut un choix facile. Cet étalage médiatique, le martèlement des ténors de la campagne de la future majorité a dévié le sens de la campagne électorale. Le débat de fond sur le choix de société a été éludé.
Le résultat ne s’est pas fait attendre. Les intentions de vote pour le Front National ont suivi la courbe de l’intonation des discours sécuritaires ; LE PEN dépassa les 16% et fut présent au second tour.
Cette réalité fait réfléchir. Elle semble vous pousser à continuer dans la même voie.
Pourtant, il y a une autre réalité : c’est la réaction au 21 avril que fut le 1er mai avec un million de personnes dans les rues de Paris, des centaines de milliers dans toute la France, 1er mai de la tolérance, de la République, d’une jeunesse que vous n’écoutez guère Monsieur le Ministre et que bien au contraire, vous montrez souvent du doigt.
Cette vague a porté le Président de la République au pouvoir avec le résultat que l’on connaît, non pas sur une base de peur, de haine, mais sur une certaine idée de la liberté, de l’égalité et de la fraternité.
Cette réalité doit aussi faire réfléchir avant de s’empresser de continuer. Le candidat Jacques CHIRAC, semblait plus prudent qui disait le 19 février 2002 ceci :
« Lorsqu’on évoque la sécurité, on pense bien souvent que seuls la police et la justice sont en cause, mais en réalité, la sécurité est l’affaire de tous. L’affaire des familles, de l’école, des communes. ]…[La famille qui doit être mieux aider à assumer sa fonction éducative]…[les municipalités et les associations devront être encouragées à développer l’accueil des enfants avant et après l’école pour leur donner aides aux devoirs et l’accès aux sports et à la culture] ».
Je ne vous citerai pas le long paragraphe consacré à l’école, vous le connaissez sûrement !
Certes, Monsieur le Ministre, vous ne manquez pas d’évoquer quelques autres objectifs du gouvernement, politique de la ville, insertion, formation, emploi, intégration… mais permettez-moi de dire que vous vous trouvez devant quelques contradictions.
Pacte de stabilité oblige, choix libéral oblige, vous annoncez la limitation des dépenses publiques. L’effort que vous programmez en matière de sécurité sera payé par des restrictions ailleurs.
Mais il y a surtout, d’ores et déjà, l’affichage de ce texte - comme de celui de la justice.
Où sont les orientations d’une politique globale ? La prévention est traitée en une demi-page, très vaguement, comme elle l’est dans le texte justice, qui ne traite pas non plus de réinsertion.
Reste la répression dans les deux textes. Les intentions sont en deçà de celles de M. PASQUA en 1994 qui disait, alors qu’il présentait la précédente loi d’orientation et de programmation, « la police ne peut pas être la voiture balai de la société ».
« L’insécurité est pour une large part le reflet des dysfonctionnements de la société, le fruit des difficultés économiques ».
Le traiteriez-vous de laxiste ? D’idéologue ? Alors que vous-même, alors en charge du budget, souteniez qu’il ne s’agissait pas tant de moyens mais d’orientations. D’ailleurs, les effectifs de la police étaient en baisse à ce moment là !
Vous me répondrez sans doute que votre texte concerne la police, pas les autres responsabilités de l’Etat, mais hélas, il y a un contenu.
Vous jetez l’opprobre sur les quartiers difficiles, sur les pauvres, les jeunes. Vous ignorez superbement que si ces quartiers sont difficiles, c’est le fait d’une crise économique et sociale qui sévit depuis maintenant près de trente ans, qui a profondément déstructuré les rapports sociaux et qui a précarisé la vie des habitants de ces lieux où la pauvreté sévit, le délabrement de l’environnement, des services publics, où tous les maux sont ghettoïsés, vous qui êtes si hostile à la mixité sociale.
Quel est l’ordonnancement des préoccupations des Français ? Les études d’opinion très changeantes en la matière peuvent parfois surprendre. Je note d’ailleurs qu’une récente étude a montré que l’avenir des retraites préoccupait plus de Français que l’insécurité.
Ce ne fut pourtant pas le thème central de la campagne passée.
En 1999, ce n’est pas si vieux, un sondage du ministère de la ville montrait la montée du sentiment de l’insécurité.
Mais 62% des sondés plaçaient le chômage des jeunes comme raison de cette montée de la violence, 37% les conditions de vie dans les quartiers populaires et seulement 28% le manque de fermeté des propos et 25% l’insuffisance des effectifs de la police.
65% considéraient comme actions à mener, l’insertion des jeunes dans le monde du travail, 64% l’aide aux parents en matière éducative et 34% le renforcement de la présence de la police.
Les acteurs proposés les plus importants sont pour 71% les parents, 50% les éducateurs, 37% les enseignants et pour 21% les policiers.
Ces constats sont de bon sens. Et ce n’est pas être laxiste que d’exiger une évolution profonde de notre société pour faire face à l’insécurité.
Seule cette politique radicalement novatrice, rompant clairement avec la conception archaïque de l’Etat gendarme que vous tentez de renouveler, Monsieur le Ministre, Etat gendarme qui accompagne une politique libérale sur le plan économique et social.
Une lutte efficace contre la violence exigerait une rupture claire avec des choix qui privilégient la rentabilité financière à l’épanouissement humain. Comment peut-on prétendre améliorer la situation en agitant les flashballs.
Alors que tant de moyens sont nécessaires pour développer l’école, assurer la santé et les retraites, construire des logements, améliorer le cadre de vie, pourquoi faire des cadeaux à ceux qui n’en ont pas besoin, tels que la baisse de l’impôt sur le revenu ?
J’aurais souhaité, Monsieur le Ministre, vous entendre nous expliquer la réalité de l’insécurité, chiffre à l’appui, sur sa diversité et ses différents aspects.
Cette analyse doit être faite pour déterminer les modalités de traitement de la délinquance.
Vous me répondrez sans doute qu’il y a d’un côté ceux qu font des discours et de l’autre, ceux qui agissent. Nos concitoyens veulent que l’Etat agisse, c’est certain, mais dans tous les domaines qui contribuent à leur mal-vie.
Or, de ce point de vue, votre discours est éloquent.
En effet, vous affirmez que vous voulez développer une culture du résultat fondée sur des indicateurs précis, or, pour cela, la commission PANTRAU-CARECHE l’a montré, il faudrait des statistiques plus fiables, il faudrait distinguer incivilités, dégradations, injures, agressions, viols, meurtres.
A vous entendre, les meurtriers, les violeurs ne sont pas punis par la loi ou poursuivis par la police ! Savez-vous que le nombre de personnes en prison ne cesse d’augmenter ces dernières années ?
Grande et petite délinquance, incivilités, injures, agressions, meurtres et viols, ne peuvent se traiter de la même manière. Prenons l’exemple des GIR. Sont-ils vraiment adaptés à traiter les maux de la violence dans les métros ?
Pour les professionnels eux-mêmes, cette structure est adaptée pour combattre le crime organisé qui n’est pas à la source de l’exaspération populaire. Il s’avère inadapté pour réagir aux incivilités et délits plus modestes.
L’opération démesurée dans le quartier Picasso à Nanterre l’atteste.
Je regrette au passage, Monsieur le Ministre, que les quartiers populaires soient les seuls objets de votre attention.
Les grands délinquants, ceux qui vivent du trafic et du blanchiment de l’argent sale, ces délinquants en col blanc, vivent, eux, dans des villes comme la vôtre, à Neuilly, à Versailles ou dans le XVIème arrondissement de Paris. Ce sont bien par eux que s’organisent les trafics dont les « petites mains » roulent en mercedes.
Les biens de tous doivent être l’objet de votre action, mais aussi les paradis fiscaux qui reçoivent le fruit des pratiques illicites.
Sur le projet de loi lui-même, je souhaite, sans revenir sur les propos de M. BRET, m’interroger sur la pratique des annexes.
Le Parlement ne devrait pas, selon moi, accepter de légiférer de la sorte. Les annexes n’ont aucune valeur normative. Elles constituent de simples déclarations d’intention. Preuve que la précipitation n’est pas bonne conseillère.
Certains ici de la majorité ont, en d’autres temps, critiqué cette méthode des annexes.
Les effets d’annonce de votre première annexe n’en sont pas moins inquiétants.
Lorsque dans un seul étau elle évoque pêle-mêle, l’absentéisme scolaire, l’immigration clandestine, la mendicité, les gens du voyage, les prostituées et les trafiquants de stupéfiants, je crains de voir se profiler à nouveau une politique du bouc émissaire et de l’amalgame dangereux pour les libertés publiques, comme la généralisation de la vidéo surveillance, fichiers, etc…
Prenons les gens du voyage.
Pourquoi confondre les ressortissants français et par exemple les citoyens roumains qui vivent une situation très difficile chez eux et provoquent du fait de l’absence de coordination et de réflexion de nos autorités, des désordres et mécontentements.
Concernant l’absentéisme scolaire, vous savez qu’il est sanctionné par les caisses d’allocations familiales. Pourquoi ne pas se préoccuper de mieux prévenir les caisses et d’entendre les responsables d’associations familiales qui ont engagé une réflexion sur la responsabilité des parents à partir notamment des exemples de réussite.
Vous indiquez clairement que vous voulez légaliser les arrêtés municipaux bien connus, comme les feux, les jeunes, dans les cages d’escaliers, anti-mendicités…
Vous voulez même créer une .. particulière concernant les prostituées étrangères.
J’avais cru comprendre pourtant que la nécessité de combattre l’esclavage sous toutes ses formes, dont sont victimes les êtres humains, femmes et enfants, quelle que soit leur nationalité, faisait consensus dans notre pays.
Vos effets d’annonce sont-ils efficaces ? J’en doute. En tout état de cause, il y a loin de vos annonces au traitement en profondeur des problèmes.
Je me suis laissée dire que nombre d’hommes politiques français avait rendu visite à l’ancien maire de New-York, M. GUILIANI, qui a « nettoyé » la ville. La délinquance a-t-elle diminuée outre atlantique ? La société est-elle moins violente ?
Un vaste débat, une concertation de tous les acteurs sans exception, devraient être mené. Il faut tourner le dos aux discours de ces derniers mois qui en focalisant le débat sur les quartiers les plus pauvres, sur les jeunes, pousse à la confrontation sociale.
Notre pays qui est l’un des premiers employeurs de policiers en Europe doit-il persévérer dans cette voie uniquement répressive ou se poser, réfléchir, afin d’apporter une réponse globale.
Pour ces raisons, nous refusons de voter en l’état le texte qui nous est proposé.