Sécurité intérieure : explication de vote

Publié le 19 novembre 2002 à 16:54 Mise à jour le 8 avril 2015

Par Nicole Borvo, Robert Bret et Josiane Mathon

Nicole Borvo.Monsieur le Président,
Madame la Ministre,
Mes cher(e)s collègues,

La violence, les actes agressifs, l’insécurité qui en découle, se sont considérablement développés et ce, depuis longtemps.
Ils se produisent dans une société bouleversée où l’insécurité sociale est impitoyable.
Les mafias, les trafics, l’économie parallèle profitent de la dégradation des conditions de vie, de l’absence d’avenir de trop nombreux jeunes.

Les solidarités volent en éclat, le mépris de la personne se conjugue avec le culte de la force et de l’argent.
Face à cela, un sentiment d’abandon grandit.
Nous sommes confrontés à un véritable éclatement de la société, car comment croire que les hommes, les femmes et les jeunes d’aujourd’hui seraient « par nature » plus violents, plus délinquants qu’il y a 20 ans ?

Vous prétendez vous attaquer à la violence et la délinquance en y opposant la surenchère du bâton et de la prison : c’est une supercherie !
L’escalade dans la répression fera que l’insécurité trouvera, dans les populations et les jeunes désignés d’avance au soupçon, dans cette guerre aux pauvres et aux plus fragiles, dans les atteintes à la dignité, un aliment et des ressorts à la haine et aux ressentiments.

Sur un tel terrain, comment les caïds, comme les plus dangereux démagogues, ne prospéreraient-ils pas ? Et à chaque étape, comment nos libertés n’en sortiraient-elles pas dangereusement diminuées ?
Nous avons défendu la question d’irrecevabilité parce que votre texte nous paraissait déroger à des principes fondamentaux de notre droit. C’est ce que dit en substance le CNCDH dont les membres et le président récemment nommé par le Premier Ministre ne sont pas tous, que je sache, vos adversaires politiques ou de doux rêveurs !

Cette escalade est sans fin ; elle désigne des boucs-émissaires et divise les populations.
Faire reculer l’insécurité implique de poursuivre avec la même détermination deux objectifs essentiels :

  • Tout acte de violence ou de délinquance doit être combattu et ses auteurs sanctionnés. Leurs victimes ont droit à réparation matérielle et morale. C’est ainsi que la société établit et fait respecter les règles de vie en commun, les valeurs qui la fondent.

Nous avons connu une suite ininterrompue de modifications du Code pénal en 20 ans : lois BONNET, PEYREFFITTE, nouveau code pénal, lois PASQUA, DEBRE, VAILLANT !
Je suis tentée de dire : « N’en jetez plus dans le durcissement des peines ! » Ce n’est qu’affichage politique. Les lois pénales existent. Il faut les faire appliquer.
Pour cela, il faut évidemment donner des moyens à la police et à la justice, aux diverses institutions dont l’action conjointe est nécessaire pour réparer et protéger d’une part, dissuader, réprimer et réinsérer les auteurs d’actes de violence et de délinquance d’autre part.

  • La société doit s’attaquer à tout ce qui constitue des ferments des violences et de l’insécurité : les injustices, les inégalités, les ségrégations, la pauvreté, qui engendrent souffrances, humiliations, frustrations, désespoirs et haines.
    Elle doit s’attaquer à tout ce qui dégrade les valeurs humaines, réduit à l’état de marchandises les femmes, les hommes, les jeunes.

Elle doit faire reculer les dominations et les violences sexistes, racistes, de classe, de groupes et de clans.
Elle doit rechercher en toutes circonstances des réponses humaines aux problèmes des populations migrantes.
Elle doit donner force aux valeurs de respect et de dignité de chaque être humain, en commençant par le respect des plus faibles : les immigrés, les pauvres, les jeunes, les sans droits ; en faisant avancer la justice et l’égalité.
Nous sommes loin, aujourd’hui, de la loi contre les exclusions de 1998 qui ouvrait la voie à des mesures positives.

Ces propositions doivent développer tout ce qui permet le progrès social et humain. Que l’éducation et la culture mettent réellement en partage les savoirs et les valeurs de civilisation ; que les services publics garantissent l’égal accès et usage des biens et des services ; que les protections sociales se renforcent sur leur socle solidaire ; que chacun bénéficie d’un logement, d’une sécurité d’emploi ; que la ville, les quartiers, l’espace public se transforment à dimension humaine ; que la démocratie s’enrichisse d’un réel partage des responsabilités et des pouvoirs.

C’est évidemment une toute autre conception de la tranquillité publique.
Pour cette raison, le groupe communiste républicain et citoyen voter contre ce projet de loi.

Robert Bret.Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Mes Chers Collègues,

Nous ne dirons jamais assez que nous - les élus communistes, dont la majorité, vous en conviendrez, est élue dans des villes souvent difficiles - ne nions pas la réalité des besoins et des attentes des Français en matière de sécurité.

Nous estimons qu’il revient à l’État et à la société civile de construire des réponses proportionnées et adéquates à cette légitime attente.
Et c’est justement au niveau de ces réponses à apporter que nos points de vue divergent le plus.
A notre sens, la répression ne réglera pas les problèmes quotidiens des Français qui ont pour nom : chômage, précarité, pouvoir d’achat, retraites, habitat, santé, éducation et j’en passe.

L’adoption de normes juridiques - répressives ici - apparaît alors comme une réponse rapide et immédiate aux aspirations des Français. Mais sur le long terme ?
Croyez-vous un seul instant que c’est en stigmatisant - sans aucun traitement social de fond - les populations les plus fragilisées ou en marge de la norme sociale : jeunes, SDF, étrangers, prostituées, squatters, gens du voyage, que vous ferez baisser l’insécurité ?

Plus que la délinquance, c’est la « déviance » qui est sanctionnée dans votre texte qui ne vise pas seulement des faits mais des comportements.
Déclarer la guerre à la délinquance c’est bien, ça peut, éventuellement, rassurer les Français mais uniquement sur le très court terme.
En revanche, donner de l’espoir aux jeunes, un emploi aux chômeurs, un habitat décent aux sans logis, c’est plus long mais c’est plus efficace.

Etait-il sincèrement utile de rajouter dans notre code pénal - qu’on peut difficilement taxer de laxiste - de nouvelles incriminations alors même qu’il contient 12000 infractions qui répondent déjà à l’objectif que vous recherchez ?
Appliquons déjà les textes existants, donnons à la justice les moyens de remplir convenablement ses missions avant d’engager de telles réformes.

Pendant les débats parlementaires, nous avons été nombreux à dénoncer le carcatère liberticide de votre texte.
Depuis le 15 novembre dernier, c’est la Commission nationale des droits de l’homme - qui s’est autosaisie du texte - qui abonde dans ce sens.
Il ressort ainsi de l’avis de la CNDH que votre projet de loi est un texte dangereux pour les libertés publiques, porteur d’un ordre moral dirigé contre une partie de la population au mépris de certains principes de droit.
Ce n’est pas moi qui le dis, M. le Ministre, c’est la CNDH, que vous hésiterez sans doute à qualifier de « droits de l’hommiste » compte tenu de la présence en son sein de plusieurs personnalités proches de la droite.

Le système policier et répressif que vous souhaitez mettre en place est confirmé par le budget de l’État prévu pour 2003 principalement axé sur le sécuritaire.
Priorité absolue est, en effet, donnée aux fonctions régaliennes de l’État : les crédits de la Justice augmentent de 7,4%, la Défense de 6,1% et l’Intérieur de 5,1%.
Dans le même temps, vous laissez de côté les budgets nécessaires au soutien de l’activité économique, du social, de l’éducatif, de la prévention,
En résumé, il y aura moins d’adultes dans les écoles, plus de policiers pour arrêter les jeunes et plus de surveillants dans les prisons qui ont de l’avenir avec votre texte.

A la recherche, au développement, à la culture, à la redistribution, vous opposez l’ordre, la surveillance, la suspiscion et la punition.
Quel est l’avenir d’une société qui ne propose que des réponses pénales à des problémes de société ?
Pour toutes ces raisons, les sénateurs communistes voteront résolument contre votre projet de loi.

Josiane Mathon. Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Mes chers collègues,

Décidément, ce texte correspond bien à l’air du temps libéral dans lequel nous sommes entrés depuis 6 mois.
Nous n’acceptons plus les leçons que vous prétendez donner en matière de sécurité. Et surtout pas à nous, parlementaires communistes, qui sommes élus de villes populaires sensibilisées au problème de l’insécurité.

Vous ne pouvez prétendre être le seul défenseur des pauvres. Bien au contraire puisque, je ne prendrai qu’un exemple, vous supprimez la disposition de la loi SRU obligeant les communes à construire 20 % de logements sociaux qui, il me semble, sont justement prévus pour les plus démunis.

Vous souhaitez le retour de l’Etat gendarme au moment où vous exigez moins d’Etat en matière économique et sociale. L’éducation nationale, les politiques de lutte contre le chômage et pour la réinsertion sont les grandes absentes de ce débat.
Les services publics sont également laissés pour compte, alors que c’est avec eux, en les préservant et en optimisant leur efficacité, que nous arriverons à restaurer une certaine autorité publique.

Vous insistez sur le fait que vous voulez préserver et renforcer une police républicaine.
C’est également ce que nous souhaitons, d’autant plus que, contrairement à votre gouvernement, nous défendons et continuerons de défendre nos services publics, qui contribuent à assurer l’égalité des chances dans notre pays.

Nous sommes plus que favorable à une police républicaine, qui effectivement doit protéger et garantir la sécurité de tous les citoyens.
Mais c’est ici que nos points de vue divergent.

Garantir la sécurité publique, ce n’est pas le faire pour les uns au détriment des autres.
Ce n’est pas mettre en prison à tout va des personnes différentes par leur mode de vie, modeste voire précaire, pour satisfaire un électorat.
Car vos procédés d’affichage politique auront peut-être un effet à court terme mais préparent des lendemains désenchanteurs.

Certes, la police sera dotée d’un arsenal répressif renforcé. Mais il serait illusoire de croire qu’il sera effectivement et surtout efficacement employé, surtout s’il n’est pas accompagné de mesures à caractère social.

Et cela aussi bien de manière préventive afin d’éviter l’infraction que pour aider à la réinsertion en cas de peine d’emprisonnement.

En effet, aucun plan d’aide aux victimes n’est apparu dans ce texte, sauf en ce qui concerne la traite des êtres humains, mais surtout, au regard de toutes les nouvelles peines de prison prévues pour être insérées dans notre code pénal, aucun traitement de la récidive n’est envisagé.
La prison n’est décidément pas la solution en matière de traitement de l’insécurité et c’est pourtant la seule réponse que vous apportez à ces violences urbaines que constituent à vos yeux la prostitution, la mendicité et les rassemblements dans les parties communes d’immeubles.

La preuve en est que vous créez un délit de racolage, avec pour seule conséquence de renvoyer les prostituées dans la clandestinité ; vous pénalisez la prostitution bien qu’elle ne soit pas interdite en France ! La mendicité agressive devient également un délit, alors que l’agressivité ne pourra que difficilement être constatée de manière objective, la seule présence d’un chien dangereux pouvant alors caractériser l’agressivité.
Quant aux jeunes, déjà largement stigmatisés lors de votre loi d’orientation et de programmation pour la justice adoptée cet été, le sont une fois encore. Certes, il faut sanctionner quand cela est nécessaire ; mais pourquoi ne pas utiliser des sanctions déjà existantes ?
Monsieur le Ministre, vous nous avez dit beaucoup de choses incohérentes et critiquables durant et autour de ce débat.
Tout d’abord, je vous cite, « le délit de racolage n’est pas crée dans l’optique de punir des malheureuses mais pour les protéger ». Et que faites-vous pour les protéger ? Vous les envoyez en prison.
Je continue toujours à vous citer : « assimiler la quête d’une meilleure sécurité à une agression contre les droits de l’homme est un non-sens ». La commission nationale consultative des droits de l’homme estime pour sa part que « l’action à mener contre l’insécurité ne légitime pas certaines mesures de répression d’ordre moral » et que « la volonté ciblée de lutter contre l’insécurité est mise en œuvre en prenant des libertés avec certains principes de droit ».
Vous dites avoir « pris toutes les précautions pour qu’aucune catégorie de population ne soit désignée dans sa globalité » et vous prévoyez une sanction collective pour les jeunes rassemblés dans les halls d’immeubles et les mendiants agressifs et pour les gens du voyage. Concernant ces derniers, la globalisation va encore plus loin puisque vous avez adopté un amendement facilitant la procédure d’expulsion en cas d’occupation sauvage d’un terrain et qui prévoit que l’ordonnance de référé, prise à l’encontre de certaines personnes présentes sur le terrain vaut ordonnance de requête à l’encontre de tous les occupants.
Enfin, ce qui est le plus choquant, c’est que vous qualifiez de texte inutile l’amendement Abbé Pierre, dont l’objet est la lutte pour des conditions de vie décentes. Vous dites cela d’un texte défendu par un homme qui a fait du combat aux côtés des exclus sa profession de foi depuis cinquante ans, et qui est, à ce titre, la personnalité préférée des français.
Evidemment, la sécurité est un droit fondamental que l’Etat se doit d’assurer à tous.
Mais certainement pas comme vous le prévoyez, de manière sécuritaire et arbitraire, aux dépens des plus démunis.

Nous voterons donc résolument contre ce projet de loi, qui ne répond pas sur le long terme aux réels besoins de sécurité attendus par les français.

Josiane Mathon-Poinat

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Nicole Borvo Cohen-Seat

Ancienne sénatrice de Paris et présidente du groupe CRC

Robert Bret

Ancien sénateur des Bouches-du-Rhône
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