Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Mes chers collègues,
Nous arrivons au terme de l’examen de ce projet de loi pour la Sécurité intérieure qui est bien loin de nous satisfaire bien sûr, mais aussi, pêle-mêle, les différentes organisations syndicales de magistrats, la Ligue des Droits de l’Homme, la CNIL et bien entendu toutes les associations s’occupant quotidiennement de ceux que vous visez et que vous réprimez dans ce texte.
Nous ne pouvons que regretter de n’avoir pu discuter à nouveau des profonds bouleversements instaurés par l’Assemblée nationale, du fait de la procédure d’urgence déclarée pour l’examen de ce texte.
De même, nous avons pu mesurer combien la Commission Mixte paritaire perd tout son sens et son intérêt parlementaire, dans la mesure où les deux rapporteurs UMP s’étant mis d’accord à l’avance, elle devient une simple commission d’enregistrement pour aboutir à des votes conformes.
C’est d’ailleurs ce qui a justifié le départ de la CMP du 4 février dernier des parlementaires de gauche.
Mais ce qui s’est passé lors de cette CMP est bien symptomatique de l’attitude du Gouvernement à l’encontre du travail parlementaire. Le plus bel exemple est l’usage de l’article 49-3 de la Constitution que le Premier ministre a invoqué hier à l’Assemblée nationale, afin d’engager la responsabilité du Gouvernement sur le texte relatif aux modes de scrutins.
En utilisant cette procédure, le Gouvernement a, ni plus ni moins, décidé de museler la représentation nationale au profit d’un parti politique : c’est une bien étrange conception de la démocratie !
Pour en revenir au projet de loi relatif à la Sécurité intérieure, les nouveaux articles qui ont été votés à l’Assemblée nationale sont autant de dispositions qui n’apaisent guère nos inquiétudes sur l’esprit policier de ce texte.
Nous sommes en train de changer la nature de notre République ; les protections garanties par l’Etat de droit ne s’appliqueront plus de la même manière selon que les citoyens sont d’une catégorie sociale très précaire ou non.
Avec cette loi, la justice s’efface ni plus ni moins derrière la police. L’autorité judiciaire est de la sorte enrôlée dans une logique d’ordre public et sommée de prolonger l’action de la police par des sanctions.
Nous assistons à une extension massive de la sphère pénale à des comportements qui n’étaient jusque-là pas poursuivis par la justice, de même qu’à un durcissement des peines prononcées pour les petits délits.
Outre le renforcement des pouvoirs des préfets, les députés ont élargi le droit de fouiller les véhicules et autorisé les perquisitions des réseaux informatiques, ainsi que les extensions des contenus des fichiers de police et d’empreintes génétiques. L’Assemblée nationale a également décidé de supprimer le droit au silence, notifiable à une personne en garde à vue.
Quant aux dispositions sanctionnant des populations dites « marginales », ce texte aura un effet certain : celui de crisper les relations entre les gens, entre les catégories sociales : il y aura les bons pauvres que vous prétendez représenter, Monsieur le Ministre, et que vous souhaitez protéger des mauvais pauvres : les mendiants, les prostituées, et les personnes en situation précaire dans leur ensemble.
Il est une chose que nous regrettons : la précarité a été la grande oubliée du débat. Or l’insécurité est également présente à l’intérieur même des catégories les plus défavorisées. Mais cette loi n’est manifestement pas destinée à protéger toutes les personnes vivant dans l’insécurité. Les prostituées, les gens du voyage et les mendiants n’ont manifestement pas droit à un minimum de protection de la part de la société. Cette loi ne leur propose qu’un peu plus d’exclusion.
Depuis votre arrivée au Gouvernement quelle est votre idée, monsieur le Ministre ? La tolérance zéro. Les conséquences ? Une obligation de résultats pèse désormais sur les épaules de tous les policiers de France, qui n’ont aucune envie d’être montrés du doigt en tant que mauvais élèves. Et, on l’a vu, avec les autres conséquences que cela emporte, encore plus de dérapages et de bavures de la part de certains policiers.
Par des contrôles systématiques, vous espérez attraper dans la masse quelques « gros poissons », de gros délinquants. Et les effets seront quasi immédiats ! Dans la rue, nous verrons moins de prostituées, moins de sans-abri, les maires de communes pourront se débarrasser plus facilement des gens du voyage…Ce qui ne veut pourtant pas dire que la prostituée ne l’est plus ou que le sans-abri a trouvé à se loger. Mais cela rassure l’électorat !
Toutefois, en ne s’attaquant qu’aux désordres visibles, la délinquance et la criminalité ne baisseront pas pour autant.
La répression du racolage, par exemple, a pour seul objectif de chasser la prostitution de l’espace public pour la reléguer dans des lieux clandestins ou des zones isolées, où les personnes prostituées seront encore plus vulnérables.
Chose plus inquiétante encore, parce qu’elle touche cette fois tous les citoyens, et non plus seulement les populations défavorisées, l’extension quasi illimitée des fichiers, aussi bien strictement informatiques que d’empreintes génétiques, mais aussi l’extension des cas dans lesquels les forces de l’ordre auront le droit de fouiller les véhicules.
En ce qui concerne l’extension quasi illimitée des fichiers de police et d’empreintes génétiques et l’atteinte qu’elle porte aussi bien au respect de la vie privée et à la présomption d’innocence, aucune consultation préalable de la CNIL ne vous a semblé nécessaire, ni même aucune référence, dans le corps du projet de loi, à la loi de 1978 relative à l’informatique et aux libertés. Je ne doute pas que le Conseil Constitutionnel s’intéressera de près à ses lacunes.
Une autre disposition est pour le moins discutable, celle qui rend obligatoire le dépistage du VIH à toute personne suspectée de viol. À la suite de la Commission Mixte Paritaire, ce dépistage ne concerne plus seulement le VIH, mais toutes les maladies sexuellement transmissibles, ce qui n’a comme objectif que de calmer les vives protestations qui se sont élevées à la suite de l’adoption de cet article par les députés.
J’y reviendrai lors d’une intervention sur l’article 15 A, mais je tiens toutefois à vous dire que nous trouvons cette mesure discriminatoire et inopérante.
Discriminatoire car elle va, en quelque sorte, criminaliser la séropositivité et pointer du doigt ceux qui sont séropositifs ; inopérante car il faudrait retrouver l’auteur présumé du viol dans les 48 heures, délai pendant lequel on administre systématiquement un traitement, mais vous avouerez que cela n’est pas si simple.
Par ailleurs, si la personne arrêtée se fait effectivement dépistée et s’il s’avère par la suite qu’elle n’est pas l’auteur du viol, soit la victime n’aura pas pris le traitement en cas de test négatif, soit elle l’aura pris, mais pour rien et aura de toute façon subi les lourds effets accompagnant ce traitement.
Vous vous rendez bien compte de l’impossibilité de rassurer en tout état de cause la victime.
Quant à l’outrage à la Marseillaise et au drapeau national, la logique nous paraît similaire tant son inefficacité est flagrante.
D’une part, en ce qui concerne uniquement l’aspect de l’application de cette disposition, la sanction est de 7500 € d’amende contre une personne qui commettra cet outrage. Vous avouerez que dans un stade, cette personne sera difficilement repérable. L’outrage est puni de 6 mois d’emprisonnement et de 7500 € d’amende quand il est commis en réunion. Vous comptez peut-être, à l’aide de CRS, procéder à l’arrestation de rangées entières de supporters ?
D’autre part, d’un point de vue un peu plus philosophique, sanctionner un outrage à notre hymne national et à notre drapeau semble frôler l’atteinte à la liberté d’expression. Cette mesure s’apparente une fois de plus au nouvel ordre moral que vous souhaitez appliquer coûte que coûte. Nous ne sommes pas bien loin des tribunaux militaires et de l’infraction d’insulte au drapeau.
J’aurai l’occasion de revenir sur ce sujet lors de l’examen de l’article 45 bis créant ce nouveau délit.
Quant aux dispositions relatives à la tranquillité et à la sécurité publiques, je ne peux que réaffirmer fermement notre opposition à ces mesures de répression de masse.
Nous nous opposons à la création d’un nouveau délit de racolage qui, nous l’avons suffisamment dit, ne réglera en rien le problème des réseaux de proxénètes. Ces derniers profiteront d’ailleurs du cadeau que vous leur faites, en mettant leurs filles dans des salons de massage et autres établissements de façade, leur permettant ainsi d’exercer une contrainte encore plus forte sur elles.
Nous nous opposons également à la sanction des rassemblements de personnes non seulement dans les halls d’immeubles mais aussi sur les toits de ces mêmes immeubles, sanction d’autant plus inutile qu’il est déjà interdit de se trouver sur ces toits !
Nous nous opposons toujours à la répression de l’exploitation de la mendicité, non que nous souhaitions que les filières mafieuses continuent d’exploiter des personnes afin de récolter des fonds, mais nous sommes en désaccord sur l’esprit de votre sanction, comme celle s’appliquant à la mendicité agressive.
Ces mesures auront pour effet, et vous le savez, de permettre aux forces de l’ordre de nettoyer les trottoirs de gens que vous ne voulez plus voir.
Et pour cela vous créez de nouveaux délits, au lieu, d’une part, d’appliquer les sanctions existantes dans notre code pénal -qui contient 12000 infractions…- et qui permettraient déjà de réprimer certains troubles et comportements délinquants et d’autre part, au lieu d’essayer de prévenir ces mêmes comportements en réduisant cette fois une autre forme d’insécurité que vous encouragez ces derniers temps, et qui est l’insécurité sociale.
Nous reprochons et continuerons de reprocher à ce texte l’inflation sécuritaire des sanctions venant gonfler notre arsenal répressif.
Faites donc déjà respecter la loi existante ! Il est indéniable que la police manque de moyens, aussi bien humains que matériels. Mais la justice aussi, Monsieur le Ministre. Or, les juges auront bien du mal à faire leur travail si les comparutions immédiates augmentent de façon inquiétante, si vous supprimez tout critère matériel de caractérisation des faits.
Je pense notamment à la notion de menace, sans autre moyen de la qualifier, à l’encontre d’une personne dépositaire de l’autorité publique, mais je pense aussi à la notion de mendicité agressive, d’atteintes à l’ordre public qui permettront aux forces de l’ordre de fouiller les véhicules, etc.
Votre inflation sécuritaire vous exige même de sanctionner l’escalade des murs d’enceintes des établissements pénitentiaires sans habilitation ! Pensez-vous vraiment qu’un quidam ait soudain l’envie d’escalader le mur d’une prison ? En général, seules les personnes complices d’une tentative d’évasion commettent ce genre d’acte. Or la tentative d’évasion est punie par la loi, il me semble…
Décidément, Monsieur le Ministre, ce projet de loi risque fort, à moyen et à long terme, de ne pas avoir beaucoup d’effet sur la grande criminalité. Vous me répondrez qu’en ce domaine, Monsieur le Garde des Sceaux s’empresse d’occuper le terrain afin de réduire à néant les réseaux de grands criminels.
Mais comment voulez-vous que certaines personnes, plutôt défavorisées, respectent la loi quand, en haut de l’échelle, celle-ci est loin d’être respectée et que certains hommes politiques ou grands patrons la détournent à leur profit ?
Toujours est-il que nous sommes résolument opposés à ce texte, aussi bien dans son application sur le territoire métropolitain que dans les DOM-TOM.
Je pense notamment à l’extension des pouvoirs des préfets en matière de réquisition de toute personne en cas de menace à l’ordre public, ou encore la sanction des rassemblements dans les halls d’immeubles et sur leurs toits.
De manière générale, vous justifiez votre action par une augmentation des chiffres de la délinquance entre 1998 et 2001. Les faits constatés auraient augmenté de 13,92 %, ce que vous traduisez par 487 267 « victimes » supplémentaires.
Mais ce que vous oubliez de préciser, cette information relevant ainsi de la pure désinformation, c’est que s’agissant de l’ensemble des faits délictueux enregistrés, sont comptabilisés non seulement les personnes volées, cambriolées ou agressées, mais aussi les joints qui ont été consommés par leurs fumeurs, les murs qui ont été l’objet de graffitis, les voitures qui ont été l’objet de dégradations diverses, les formulaires administratifs qui ont été l’objet de fausses déclarations, etc…
Vous présentez une vision quelque peu catastrophique de la réalité, afin de légitimer toutes les atteintes aux libertés publiques et individuelles contenues dans ce projet de loi.
Vision noire de la société afin de légitimer également la culture du résultat et la récompense du mérite que vous prônez Monsieur le Ministre, et qui pousse parfois les policiers à commettre quelques bavures ; je pense notamment à des expulsions hors du territoire pour le moins musclées ou encore à l’affaire du bagagiste de Roissy.
Cette récompense au mérite, que vous présentez comme une valeur républicaine, va-t-elle récompenser les départements et les villes qui auront le plus verbalisé les étrangers en situation irrégulières, les proxénètes, les jeunes se rassemblant dans les halls d’immeubles, ou encore qui auront le mieux arrangé leurs chiffres ?
C’est une bien étrange conception de la démocratie et du respect que l’Etat doit aux victimes bien sûr, mais à la société tout entière, en ne donnant pas un traitement spectaculaire et faussé des symptômes de la délinquance.
En l’état, et vues les conditions de travail que vous imposez à notre assemblée parlementaire, vous comprendrez que nous n’adhérons pas à l’esprit sécuritaire de ce texte.