Sécurité intérieure

Publié le 30 juillet 2002 à 00:00 Mise à jour le 8 avril 2015

par Robert Bret

Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Mes Chers Collègues,

Nul ne conteste aujourd’hui le fait que l’insécurité, qui je le précise touche au premier plan les populations les plus démunies et aggrave leurs difficultés, est une priorité qu’il convient de prendre au sérieux parce que le droit à la sécurité des biens et des personnes est un droit fondamental garanti par la République française.

Mais s’occuper de la sécurité nécessite d’avoir une démarche politique démocratique sur le long terme.

Or, jusqu’à présent, force est de reconnaître que les gouvernements qui se sont succédé ont, chaque fois, pris des mesures à court terme. Je le dis d’autant plus aisément que l’attitude des sénateurs communistes d’hier dans la majorité gouvernementale - dont je rappelle qu’ils ont voté contre la loi relative à la sécurité quotidienne - montre une réelle cohérence avec celle d’aujourd’hui.

A ce propos, n’aurait-il pas été plus judicieux - plutôt que de légiférer dans la précipitation - de procéder à une évaluation précise des incidences de la loi relative à la sécurité intérieure entrée en vigueur seulement le 16 novembre 2001 ?

***

Concernant le présent projet de loi : permettra-t-il la mise en place d’une politique alliant la prévention, la dissuasion et la répression prenant le problème de l’insécurité en amont ? Permettra-t-il de préserver le caractère de service public de la police nationale ?

Je suis, pour ma part, loin de le penser.

Pourquoi ?

Parce qu’il axe ses mesures uniquement sur la répression sans réflexion de fond ni traitement social des causes de la délinquance.

Or, la répression, ce n’est pas nouveau, on connaît, on sait parfaitement que ça ne marche pas.

Notre code pénal est loin d’être laxiste. N’oublions pas, en effet, que la réforme dont il a fait l’objet en 1992 a revu à la hausse les sanctions pénales. Il n’est par conséquent nul besoin d’en ajouter en l’espèce.

Il suffit simplement d’appliquer la loi existante et de donner les moyens à la justice de faire son travail.

Rappelons tout de même qu’un vol simple est puni de 3 ans de prison et que le vol aggravé de 10 ans !

En revanche, donner les moyens pour une véritable politique de prévention de la délinquance et de la récidive d’une part et d’autre part de dissuasion, appellent des moyens humains, matériels et financiers inédits dans les domaines aussi variés que l’Éducation nationale, la formation, l’emploi, la politique économique, de la ville, de la santé, de la jeunesse, qui sont des secteurs résolument tournés vers l’avenir.

Vous le voyez, Monsieur le Ministre, contrairement à vous, j’ai la faiblesse de penser que, non, la répression n’est pas la meilleure des préventions.

Si tel était le cas, nous le saurions depuis un moment.

Au mieux, la répression éloigne momentanément les individus indésirables et fait baisser provisoirement la délinquance et la criminalité. Au pire, elle constitue une véritable bombe à retardement pour l’avenir.

La France est l’un des pays européens qui a le plus de policiers et/ou gendarmes par habitant (394 policiers et/ou gendarmes pour 100 000 habitants).

On voit donc bien qu’il s’agit moins d’un problème de moyens que d’orientations. Vous le savez, Monsieur le Ministre, vous qui, il y a un an, dénonciez les sureffectifs à l’occasion de l’annonce par Matignon de l’embauche de 3000 policiers pour 2002.

Force est de constater que l’orientation d’aujourd’hui ne change toujours pas, elle va encore vers davantage de répression sans s’attaquer aux racines de la délinquance.

Je tiens à préciser, dès à présent, que je réfute l’idée sans cesse avancée que nous serions laxistes en matière de sécurité.

Je vous rappelle à ce propos qu’en 1989, le groupe communiste et apparenté ú soucieux de s’attaquer à l’une des manifestations de la crise qu’est l’insécurité - déposait sur le bureau du Sénat une proposition de loi-cadre tendant à l’utilisation démocratique de la force publique et instituant des dispositions déontologiques applicables aux fonctionnaires de police.

Toutefois, il est vrai qu’au nom de la lutte contre l’insécurité, je ne suis pas prêt à « accepter l’inacceptable » c’est-à-dire un quelconque glissement vers un régime policier liberticide. Une politique sécuritaire n’a jamais fait une politique de sécurité. Rien ne justifie - pas même l’exigence de sécurité ú l’instauration durable d’un appareil répressif.

Vous nous demandez d’adopter en urgence, à l’occasion d’une session extraordinaire qui se déroule en plein cœur de l’été, une loi d’orientation et de programmation en matière de sécurité intérieure qui va engager le pays pour les 5 prochaines années.

Or, l’on sait que les mesures annoncées ne seront opérationnelles que beaucoup plus tard puisqu’elles devront faire l’objet de projets de loi au plus tôt à la session d’automne.

Il nous est donc proposé d’entériner des orientations figurant dans des annexes qui n’ont aucune valeur normative, qui ne sont que de simples déclarations d’intention.

Et pour couronner le tout, la commission des lois préconise l’adoption du texte conforme à la version issue des travaux de l’Assemblée nationale pour éviter une CMP. Alors même que le projet a été aggravé par les députés.

Certes, les moyens financiers et humains débloqués sont conséquents mais notons toutefois qu’ils sont prévus sur 5 ans.

S’agissant en l’occurrence d’une programmation quinquennale, qui nous assure, aujourd’hui, que les moyens annoncés trouveront chaque année dans la loi de finances une traduction budgétaire ?

L’exemple de la LOPS de 95 doit nous inciter en l’espèce à une certaine prudence.

En effet, alors qu’était prévue la création de 5000 emplois administratifs et techniques supplémentaires en 5 ans, ces derniers n’ont au final jamais été budgétisés.

Vous le savez parfaitement Monsieur le Ministre, vous qui, à l’époque étiez Ministre des Finances !

Par ailleurs, les emplois créés en 2003-2004, vous le savez, ne seront pas opérationnels tout de suite.

Combleront-ils seulement les nombreux départs à la retraite qui se profilent ?

Le présent projet d’orientation et de programmation pêche aussi par l’absence de réponses aux revendications des policiers : rien sur les revalorisations salariales pour motiver les policiers à qui l’on va demander encore plus ; le rachat des jours RTT est incertain etc.

Les policiers craignent de surcroît que la réserve civile soit un moyen de remettre en cause le droit à la retraite. N’est-ce pas également un moyen, Monsieur le Ministre, de jouer sur les effectifs des policiers et des gendarmes ?

***

Outre le problème des sources de financement de l’effort, se pose surtout la question de savoir à quelles fins seront dégagés ces fonds.

Le problème réside, à mon sens, moins dans l’augmentation de la délinquance que dans les difficultés que rencontre la police nationale pour accomplir ses missions.

La police nationale n’est plus aujourd’hui en capacité de remplir ses missions et donc d’endiguer l’insécurité.

D’une police de proximité on a progressivement glissé vers une police d’interpellation, qui n’intervient qu’en bout de course, soit uniquement sous l’angle de la répression.

Quant à la gendarmerie, elle a connu ces dernières années une relative stabilité de ses effectifs, sans pouvoir bénéficier des réformes structurelles qui lui sont pourtant indispensables et ce, à un moment où la délinquance a augmenté dans les secteurs géographiques placés sous son contrôle, notamment dans les zones péri-urbaines.

Pour autant, on peut se demander si la réorganisation territoriale que vous envisagez, Monsieur le Ministre, avec votre concept de communauté de brigades devant permettre de mutualiser les moyens de plusieurs brigades, n’est pas une autre façon d’en rester au statu quo en terme d’effectifs ?

***

Si tous les gouvernements ont, dès la fin des années 70, préconisé diverses réformes, force est de constater aujourd’hui qu’aucune n’a réussi à enrayer les phénomènes de l’insécurité :

Qu’il s’agisse de la parité police-gendarmerie en 1977, du plan de modernisation sociale en 1985 qui a ouvert la voie aux emplois précaires dans la police nationale avec les appelés du contingent, de la police territoriale en 1991, de la LOPS de 1995 qui a modifié en profondeur les structures de la police nationale, la conception de ses missions et réformé les corps et carrières des policiers.

Pour autant, peut-on dire qu’elles ont répondu à un moment ou à un autre aux besoins des citoyens en matière de sécurité et à l’attente des personnels des forces de l’ordre ? Une réponse négative s’impose.

En généralisant la qualité d’OPJ par exemple, la loi de 95 n’a fait que contribuer à briser les compétences des services, à tirer la police vers le bas.

La loi d’orientation et de programmation de la sécurité de 1995 de M. Pasqua a cassé la capacité d’investigation de la police judiciaire.

Il est vrai que la police d’investigation ú qui donne de bons résultats à terme - prend du temps.

Elle est surtout beaucoup moins spectaculaire que vos GIR, Monsieur le Ministre, dont la légalité - tout comme leurs résultats rapportés aux forces déployées - est plus que douteuse.

De plus, à qui ferez-vous croire que c’est grâce à l’intervention providentielle des GIR que des saisines de stupéfiants sont réalisées alors qu’on sait pertinemment que ce genre d’action a nécessité de longs mois d’enquête de la part des directions spécialisées.

Il ne faudrait pas dénaturer l’action des policiers de terrain et les reléguer au second plan.

Mais il est vrai que ce qui vous importe avant tout, Monsieur le Ministre, c’est la visibilité immédiate de vos actions qui sont électoralement parlant plus rentables.

Or, on ne s’attaque pas à un problème de société sérieux avec des « flash-ball » !

En précisant dans l’annexe que les responsables locaux de la police judiciaire et de la gendarmerie rendront compte des résultats obtenus en matière de lutte contre l’insécurité et qu’il en sera tenu compte dans leur progression de carrière, vous importez en France le modèle américain avec la responsabilisation des commissaires et/ou des commandants de Brigades de Gendarmerie, et la culture du résultat.

Ce qui est très dangereux car cela incite les forces de l’ordre à faire du chiffre comme s’il s’agissait de simples objectifs commerciaux alors que ce sont les libertés individuelles et publiques qui sont en jeu !

***

L’objectif réel que vous poursuivez relève, par ailleurs, plus de la stigmatisation, de l’affichage politique, voire de la politique à grand spectacle en vue de rassurer les Français que d’une réelle volonté de s’attaquer de manière efficace et en profondeur aux causes de la délinquance.

En réalité, Monsieur le Ministre, vous « surfez » sur la vague du « 21 avril » dernier dans la perspective des échéances de 2004 : régionales, européennes, cantonales, sénatoriales partielles

S’il n’y avait pas eu ce « 21 avril » qui restera gravé dans les mémoires, serions-nous en ce moment même en train de légiférer en toute hâte sur des problèmes aussi cruciaux que la sécurité et, hier, sur la justice ?

Vous souhaitez avec un tel projet ramener vers vous une partie de l’électorat de M. LE PEN. Mais prenez garde : à chasser sur les terres de l’extrême droite, vous faites le lit du Front National.

Non seulement votre projet ne rompt pas avec les politiques menées depuis 20 ans en France et qui ont échoué, mais il va encore plus loin dans l’escalade répressive.

Avec votre projet de loi, indissociable de celui de votre collègue de la Place Vendôme ú qui ne propose rien de moins que d’enfermer nos jeunes et de relancer la construction de prisons nouvelles - se dessine un bien triste projet de société pour l’avenir.

En effet, c’est une véritable politique de répression, d’enfermement et d’exclusion, qui se profile !

La réalité c’est que la délinquance ú ne vous en déplaise mes chers collègues ú prend racine dans l’aggravation des inégalités sociales : d’un côté la marginalisation, la précarisation, la dégradation de l’habitat, l’échec scolaire, la mal-vie, de l’autre l’accumulation des richesses.

La société produit de plus en plus d’inégalités et d’exclusion, qui vont s’accentuer encore avec les projets que vous réservez aux français : privatisations ; diminution de postes dans la fonction publique ; licenciements ; pas d’effort pour le SMIC ; hausse des prix ; les retraites ; les contrats-jeunes etc.

La répression se révèle, dans ces conditions, comme étant alors le corollaire indispensable à votre politique ultra-libérale !

Ce projet de loi va vous permettre de taper encore plus sur ceux qui subissent déjà de plein fouet l’exclusion, les inégalités et les violences sociales et économiques qui sont réelles mais rarement évoquées.

Ma collègue Nicole BORVO développera davantage ce thème dans la question préalable qu’elle défendra tout à l’heure.

C’est ainsi que votre projet stigmatise toute une partie de la population : gens du voyage ; SDF ; prostituées étrangères ; jeunes issus des milieux défavorisés ; les parents d’enfants en rupture scolaire …

Il est dangereux car il vise à réprimer non plus des crimes ou des délits, voire des incivilités, mais « des comportements qui affectent particulièrement la vie quotidienne de nos concitoyens qui se sont multipliés au cours de ces dernières années », comme le décrit si pudiquement l’annexe.

L’insécurité a-t-elle pris une dimension aussi considérable pour arriver à prendre des mesures aussi sécuritaires ? Je ne le pense pas. Je pense au contraire qu’il convient de replacer les questions sécuritaires à leur juste place dans l’échelle des problèmes de notre société, à savoir notamment derrière le chômage et les inégalités sociales.

***

Je m’interroge, par ailleurs, sur l’utilité de mettre l’accent sur la répression des petits délinquants, qui encourent en réalité et vous le savez pertinemment, de petites peines de prison qui se révèlent inutiles pour la société comme pour l’intéressé.

Mieux vaut mettre, dans ces cas là, en pratique les peines alternatives que l’incarcération qui constitue une véritable école de la récidive et du caïdat.

A cet égard, votre projet de loi ú tout comme celui de votre collègue PERBEN sur la justice - nie en bloc le travail sérieux effectué respectivement par les députés et sénateurs ú toutes tendances confondues ú sur les prisons et qui arrivait à la conclusion, aujourd’hui vite oubliée, qu’il fallait « incarcérer moins pour incarcérer mieux ».

De même qu’il contredit les conclusions équilibrées auxquelles est parvenue la commission d’enquête sénatoriale sur la délinquance des mineurs.

Parallèlement, la délinquance financière dite en « col blanc » continue. Mais il est vrai qu’elle se voit moins et qu’elle est moins gênante pour le commun des mortels même si au bout du compte ú précisons-le - elle coûte cher à la collectivité !

Les gros trafiquants d’armes et de drogues peuvent dormir tranquille puisque vous préférez vous attaquer à ceux qui se trouvent au bout de la chaîne de la délinquance mais qui sont, il est vrai, les plus voyants.

Je pense notamment aux petits dealers, aux prostituées étrangères, etc. N’est-il pas, au plan statistique, plus rentable d’arrêter plusieurs petits dealers qu’un gros trafiquant de drogue ou encore dix prostituées plutôt qu’un seul proxénète ?

Dans ces conditions, vous comprendrez qu’il nous soit impossible de voter un tel projet de loi qui a été, de surcroît, aggravé par les députés de la majorité présidentielle.

Outre la question préalable qui sera défendue par Mme BORVO, les sénateurs communistes proposeront la suppression de l’article 1er du texte qui renvoie les orientations politiques du gouvernement en matière de sécurité intérieure à une annexe « fourre-tout » qui n’a aucune valeur normative et dont le détail sera, de surcroît, précisé qu’à l’automne.

Adopter un tel article serait donner un chèque en blanc au gouvernement ; ce que nous refusons fermement.

Nous serons, le moment venu, particulièrement vigilants quant au contenu du futur projet de loi qui devra notamment comprendre le volet répressif annoncé dans l’annexe et combattrons avec force toute disposition renforçant le caractère d’ores et déjà répressif et discriminatoire de la politique que vous prônez, à torts, en matière de sécurité.

Robert Bret

Ancien sénateur des Bouches-du-Rhône
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