Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, pourquoi le cumul des mandats et des fonctions est-il si répandu en France ? Parce que le pouvoir, tant politique qu’économique, est extrêmement concentré, entre les mains d’un petit nombre. On a encore pu le mesurer hier, ici même, lors de l’examen de la proposition de loi relative à la représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils d’administration et de surveillance et à l’égalité professionnelle.
Lors du débat parlementaire sur la réforme constitutionnelle de juillet 2008, mon groupe avait souhaité inscrire dans la Constitution le principe de la limitation ou de l’interdiction du cumul des mandats électoraux. Vous avez alors rejeté notre amendement. Pourtant, il ne contredisait pas, au contraire, la proposition émise par le comité Balladur, laquelle correspond d’ailleurs à la proposition de loi de nos collègues du groupe socialiste.
Mais il faut bien constater que la réforme constitutionnelle a tourné le dos aussi bien à une « revalorisation de la fonction parlementaire », pour employer les termes du comité, qu’aux aspirations démocratiques de nos concitoyens.
Je soutiendrai la présente proposition de loi parce qu’elle s’inscrit dans l’exigence de démocratisation de la vie politique.
Vous nous dites, monsieur le rapporteur, et vous aussi, monsieur Mézard, que cette proposition de loi n’a pas lieu d’être adoptée aujourd’hui par notre assemblée, soutenant qu’elle doit être renvoyée en commission.
Permettez-moi de réfuter tout d’abord un certain nombre de vos arguments.
Vous faites état d’un lien nécessaire avec la réforme des collectivités territoriales. Mais précisément, cette réforme, si elle est votée et appliquée, avec la création des conseillers territoriaux, mettra en œuvre un cumul des fonctions départementales et régionales, ce qui est totalement inédit !
M. Jean-Pierre Bel. Et là, le cumul sera obligatoire !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Au demeurant, nombreux sont les élus qui s’y opposent.
M. Patrice Gélard, rapporteur. Ce n’est pas un cumul, c’est une fusion !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous évoquez l’état ambivalent de l’opinion publique sur la question des cumuls de mandats et, plus globalement, dans son rapport aux élus : on perçoit chez eux à la fois de la confiance, voire de l’attachement à l’égard des élus de proximité, et de la défiance à l’égard de la « classe politique » ou des professionnels de la politique. À mon grand regret, je dois constater que, de ce point de vue, les parlementaires sont parmi les plus mal « lotis » puisque beaucoup de nos concitoyens ne les tiennent pas en très haute estime.
Permettez-moi de déplorer ici les propos du Président de la République – propos renouvelés, en Eure-et-Loir, jeudi dernier – sur l’importance qu’il y aurait à diminuer le nombre des élus. M. Sarkozy estime apparemment que les pouvoirs ne sont pas assez concentrés sur quelques élus : il veut donc encore réduire le nombre de ces derniers ! Pour tenter de justifier sa réforme, n’a-t-il pas affirmé, contre toute vérité, qu’ils coûtaient trop cher ? Ce faisant, il délégitime l’action des élus et nourrit la défiance de nos concitoyens.
Vous évoquez, monsieur le rapporteur, un texte incomplet, partiel. Certes, il est incomplet si l’on considère, comme je le fais, qu’il faut aller plus loin et revoir dans leur globalité le mode d’élection des parlementaires – et d’ailleurs pas seulement celui-là – ainsi que les conditions attachées à leur mandat.
Le cumul des mandats concerne tous les partis politiques, sans exception. Il est la résultante d’un système électoral qui, par ailleurs, dessert le pluralisme. L’absence de proportionnelle à plusieurs élections ou encore celle d’un statut de l’élu incitent les partis politiques à resserrer leurs candidatures autour de candidats déjà « installés », si j’ose dire. Il est difficile d’y échapper !
Le cumul des mandats est, plus largement, la résultante d’un système institutionnel qui a pour objectif de maintenir le pouvoir dans les mains de ceux qui l’ont déjà. Il est urgent de partager ce pouvoir avec nos concitoyens si nous ne voulons pas voir perdurer la grave crise de la représentation politique que nous connaissons actuellement.
Car, aujourd’hui, se creuse un fossé entre nos concitoyens et ceux qui sont censés les représenter. Il y a crise parce que les décideurs économiques et politiques ne répondent pas aux attentes populaires. L’actualité en témoigne avec la réforme des retraites.
Comment nos concitoyens ne se sentiraient-ils pas mal représentés, pour le moins, quand, dans sa composition, le Parlement n’est absolument pas représentatif de la société telle qu’elle est. J’ai déjà eu l’occasion d’indiquer ici que cette déformation systématique est un des problèmes majeurs de notre démocratie. Il n’y a au Parlement ni ouvriers, ni représentants des minorités visibles, ni jeunes. Les parlementaires sont de plus en plus vieux ! La moyenne d’âge, en tout cas à l’Assemblée nationale, n’a fait que croître depuis la Libération.
M. Jacques Mézard. Pas au Sénat !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il s’agit bien d’une question de fond, à laquelle vous refusez de répondre : celle d’une véritable démocratisation des institutions. C’est là tout l’enjeu d’une éventuelle interdiction du cumul des mandats. Et il en va de même pour le renouvellement des mandats.
Cette démocratisation implique d’affirmer la primauté de la citoyenneté sur l’expertise, la « déprofessionnalisation » et la « dénotabilisation » de la « fonction » politique. Elle suppose, par conséquent, la participation d’un nombre beaucoup plus grand de citoyens aux campagnes pour l’obtention des mandats électifs.
À cet égard, plusieurs mesures s’imposent : le scrutin proportionnel et un statut de l’élu, la citoyenneté de résidence, et, concernant les mandats, leur limitation en nombre et en durée, pour permettre une rotation plus fréquente et donc plus démocratique de l’exercice des responsabilités électives.
Vous évoquez encore, monsieur le rapporteur, le risque d’une « professionnalisation » des fonctions d’élu si les cumuls de mandats étaient prohibés. Vous dites que cela ferait la part belle aux « apparatchiks » et craignez que les parlementaires ne soient coupés des réalités de la vie locale. Ce serait effectivement dommageable.
Mais pourquoi le fait d’exercer successivement deux mandats, une fonction exécutive locale et, ensuite, un mandat parlementaire, au lieu de cumuler les deux, serait-il moins fructueux ? Ne risque-t-on pas, en cumulant ces missions, de les remplir avec moins d’efficacité ?
Il est décisif que soient créées les conditions d’un rapport régulier entre les parlementaires et les électeurs. Pourquoi ne pas prévoir dans la loi l’obligation, pour les parlementaires, de venir présenter les projets de loi dans leur circonscription et d’en débattre avec les citoyens ? Pourquoi ne pas instaurer, entre autres, des conseils de circonscription ? Et ce ne sont là que quelques idées parmi beaucoup d’autres.
Il est de la responsabilité du législateur que nous sommes d’inventer des formes nouvelles d’immersion dans la vie locale, ayant en outre l’avantage d’associer la population aux choix qui la concernent.
Vous le voyez, mon soutien à cette proposition de loi n’est pas une simple question de principe. Il se fonde sur une conviction profonde : l’urgence d’une démocratisation de la vie politique dans tous ses aspects.
Par conséquent, nous voterons contre la motion tendant au renvoi en commission.