Responsabilités locales, deuxième lecture

Publié le 28 juin 2004 à 00:00 Mise à jour le 8 avril 2015

Josiane Mathon-Poinat

Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Mes chers collègues

Cette deuxième lecture du projet de loi transférant aux collectivités locales des compétences sans les moyens correspondant devrait être pour notre Assemblée l’occasion d’évaluer l’accueil que ce projet reçoit.
Depuis un an et demi que Monsieur Le Premier Ministre a ouvert son dossier de la décentralisation, le public s’est intéressé à ce chantier, en a analyse les plans J anticipé ses retombés s’est fait son opinion et l’a manifesté.

Car ce chantier n’est pas resté interdit à nos concitoyens. Et le danger qu’il représente lui est maintenant bien connu. C’est pourquoi les électeurs ont désavoué ce gouvernement
Notre mission n’est elle pas alors d’entendre ces critiques et de reprendre fondamentalement le projet ?
Les Sénateurs du groupe Communiste, Républicain et Citoyen voient leur demande d’une véritable décentralisation confortée par l’expression forte et sans appel du mouvement social et du corps électoral.

M. RAFFARIN lui-même après la déroute des élections régionales s’était verbalement engagé à revisiter en profondeur ce texte. clairvoyance ! Mais vite obscurcit
Nous voyons aujourd’hui qu’il n’en est rien. Et pourtant même devant l’Assemblée nationale il a dû s’employer à maintes démonstrations de force pour imposer à sa propre majorité d’ adopter son projet et ce ne fut pas une adoption plénière cette obstination semble proportionnelle au désaveu politique des citoyens et d’un grand nombre d’élus locaux La semaine dernière l’adoption de la charte de l’environnement fut qualifiée d’historique pourtant son contenu n’est pas à la hauteur des enjeux mais ce qui est vraiment historique c’est ce texte tentaculaire sur lequel nous débattons , dans des conditions indignes et qui contient les germes d’un démembrement inouï des services publics ! Voilà l’événement majeur de cette législature : mettre un terme à la solidarité nationale, à (Intérêt général imposer vaille que vaille un projet qui suscite tant de résistance et de refus !

Ce texte qui nous parvient de l’Assemblée voit son titre modifié : on a cru bon adjoindre la belle notion de "liberté" à celles des responsabilités locales.
Mais de quelle liberté parle-t-on ? De celle d’instaurer des péages aux quatre coins d’un département ? De celle de choisir entre augmentation
des impôts locaux et privatisation du service public voire abandon ?de gestion libérale des collectivités ? de vrai faux choix d’option pour le personnel de la fonction publique ?
Décidément plus on décortique et moins on évoque réellement la décentralisation.

Quelle confiance peut-on encore raisonnablement placer dans ce gouvernement pour mener à bien cette grande réforme dont notre pays a besoin, gouvernement désavoué jusque dans ses propres rangs et balayé à chaque expression du suffrage universel, comme en avait donné le signal les électeurs Corses il y a un an tout juste ? Mais il est vrai que M Raffarin préfère commenter les matchs de l’équipe de France de football plutôt que de prendre en compte son propre score électoral. Cette confiance citoyenne qui fuit le Gouvernement, celui-ci semble en précipiter lui-même son éloignement, jusque dans cet Hémicycle.

Ainsi comment pouvons-nous, mes chers collègues, être assurés d’un débat respectueux des avis, des analyses et des propositions de chacun d’entre nous, alors qu’officiellement la session ordinaire se termine dans deux jours et que le décret convoquant une probable session extraordinaire n’est pas publié ?
Ce gouvernement prend-il au sérieux le travail parlementaire ? Il nous est proposé d’examiner les amendements du Gouvernement* ce soir, pause entre deux séances, entre deux portes...

La confiance dans la politique suivie par la majorité de droite est profondément émoussée à travers le pays. De fortes inquiétudes se font jour sur des questions précises, comme en témoigne le questionnaire de l’Assemblée des Départements de France interrogeant les élus locaux sur l’opportunité du transfert des routes nationales aux Conseils Généraux, sur le devenir des parcs de l’équipement.
Au-delà, c’est même à un front du refus qu’a à faire le gouvernement avec le positionnement de nombreux Présidents de Conseil Régionaux qui décident de ne pas solliciter de transferts de compétences dans le cadre de l’expérimentation, et qui affirment également, de manière publique, qu’en cas de transferts de charges imposés par la loi, ils ne les mettraient pas en oeuvre !

Monsieur. le ministre, le souffle de la contestation de votre projet est puissant !
Ce mouvement a compris qu’il ne pouvait rien attendre de positif de votre action.
Ce n’est pas une surprise pour les membres de mon groupe, qui n’ont eu de cesse de dénoncer vos intentions, vos choix et vos actes.
Votre volonté n’est pas d’opérer une décentralisation donnant aux collectivités locales et aux citoyens les prérogatives leur permettant de décider de ce qui les concernent.

Voire objectif politique est de transformer en profondeur notre pays vers plus de libéralisme, de mise en concurrence des hommes et des territoires.
Votre projet a le seul mérite d’être cohérent. De la privatisation d’EDF à la casse des retraites par répartition à la réforme qui dénaturera la sécurité sociale, vous poussez notre société à se tourner vers le marché pour répondre à ses besoins fondamentaux. Vous voulez "un nouvel ordre économique et social pour remplacer le modèle mis en place en 1945", comme l’avouait dans la presse votre ami Ernest Antoine Seillière fin 2003.

La décentralisation, dans votre esprit et dans vos textes de loi, est l’occasion de défaire les services publics, votre objectif, qu’ils deviennent des services marchands alors que faites vous ? Vous démembrez.

L’Education nationale, sans consultation et même en dehors du débat sur l’école, est déstructurée, démantelée. 90 000 personnels TDS seraient transférés sans aucune garantie sur leur avenir individuel et collectif vers des régions qui n’ont pas les moyens de les accueillir. Le gouvernement a déjà du reculer sur la date de ce transfert, reconnaissant sa précipitation, mais s’entêtant sur son idée. La communauté éducative n’est pas une simple addition de catégories de personnels, c’est aussi le partage d’une mission commune, dans un cadre commun. C’est à cela que vous vous attaquez.

Les agents de l’Equipement assureront quel service public si vous parvenez à les transférer aux départements ? Ecoutez-les, ils manifestent aujourd’hui même devant chaque Préfecture de France ! Ils défendent avec raison l’unicité, la cohérence, la gratuité du service public pour lequel ils travaillent aujourd’hui, car c’est leur mission, bénéficiant d’un statut leur permettant, malgré la baisse du nombre des postes, de déployer leurs compétences pour l’intérêt général. Demain qui financera ce service indispensable d’entretien des routes ? Le principe utilisateur-payeur que vous introduisez avec le transfert de la voirie nationale marque un choix pour une société de l’individualisme ou la solidarité est ramenée à la portion congrue.

Votre projet n’apporte qu’inquiétudes et incertitudes aux élus locaux. La grande crainte est celle de ne pas pouvoir faire face aux charges nouvelles qui seront transférées sur les collectivités locales. Votre projet n’est pas financé, la loi sur l’autonomie financière des collectivités n’apporte q’une définition des fonds propres Mais rien n’est écrit ni décidé quant à l’indispensable péréquation entre les collectivités. Certains transferts comme celui du RMI/RMA ne sont pas suivis d’un transfert de financement en fonction de l’évolution de la charge, mais en fonction de révolution de la recette transférée.et déjà nombre de départements ont augmenté leurs impôts locaux et l’on constate des différences financières importantes de l’APA d’un département à l’autre
En Outre Mer également, le cœur du débat posé par ce texte est celui des moyens financiers pour compenser les charges transférées.
Dans le cadre de la concertation engagée entre le Gouvernement et les Présidents de Région d’Outremer, notre collègue et ami de la Réunion Paul Vergès a mis en évidence que les mécanismes proposés par la loi sont pénalisants pour l’Outre Mer car ils ne prennent en compte ni les retards en équipement et infrastructures, ni la dynamique démographique que connaissent ces régions.

Aussi, au nom de notre collègue, nous relayons dans le cadre de ce débat la demande forte des régions d’outre mer pour que la mise en œuvre de cette loi outre mer soit précédée d’un audit ou d’une évaluation. Il est important que ce rapport d’évaluation détermine préalablement à la mise en œuvre de la loi dans ces régions, les retards et les besoins générés, dans tous les secteurs, par la progression démographique. Cet audit est rendu indispensable pour déterminer les moyens financiers qui doivent en découler pour l’application de la loi dans ces régions, sans rupture d’égalité entre l’Outre mer et la métropole.

Pouvez vous, Monsieur le Ministre indiquer à nos amis d’outre mer si le Gouvernement est ouvert à la mise en œuvre de cette étude ? Pouvez vous également nous indiquer dans l’éventualité où ce rapport concluait à la nécessité de déroger ou d’adapter la loi pour l’Outre-Mer, dans quelle mesure, dans le cadre de l’article 73, cela est possible tant pour les départements français d’Amérique que pour la Réunion ?

Quant aux communes, toujours ignorées, pour mieux favoriser l’émergence des EPd, bien que non reconnus constitutionnellement comme collectivités territoriales, faciliter des fusions entre ces entités, leur conférer de nouvelles prérogatives, et ce faisant vidant un peu plus la plus petite d’entre elle de sa substance démocratique. Ce texte aurait pu être l’occasion d’approfondir la démocratie locale, de donner à notre pays des outils pour le développement de la citoyenneté, pour une démocratie plus participative. Il n’en est, hélas, rien.

Votre projet de décentralisation est en réalité une opération de dynamitage des solidarités républicaines, l’Etat se désengage alors qu’il se doit d’être le garant de l’unicité du territoire, de l’égalité d’accès des citoyens aux services publics, de solidarité entre régions pauvres et régions riches, il se doit de solliciter, d’encourager de nouvelles missions respectueuses de l’environnement en répondant aux besoins de la population (un service public de I’eau par exemple).

Nous nous opposerons à ce texte d’abord par une motion de procédure présentée par ma collègue Nicole Borvo et ensuite par des amendements nous nous y opposerons avec d’autant plus de conviction que votre projet est minoritaire dans le pays et que très certainement une véritable décentralisation est nécessaire, possible et réalisable Nous aurons l’occasion dans le cadre du débat de montrer en effet que d’autres dispositions peuvent être décidées apportant de nouveaux droits pour les collectivités et les citoyens , porteuses d’ambition pour des services publics réaffirmés afin de dynamiser un développement harmonieux des territoires, de ses habitants et que démocratie , justice sociale deviennent tangibles.

Josiane Mathon-Poinat

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