Monsieur Le Président,
Monsieur Le Ministre,
Mes chers collègues,
Avec cet article 48 du projet de loi nous voyons de confirmer une évolution que nous pressentions - pour la dénoncer, ces dernières années tendant au démantèlement des principes directeurs de la justice des mineurs, via une remise en cause son unité et le désengagement de l’Etat.
Cet article en effet a pour objectif de transférer par expérimentation, du juge des enfants aux départements la mise en œuvre des mesures d’assistance éducative décidées judiciairement ; si bien que, à l’exception des placements auprès de personnes physiques ou des placements en établissement psychiatrique, les départements auraient désormais l’entière maîtrise des mesures d’assistance éducative.
Cette décision est lourde de signification pour l’avenir : sous prétexte de mettre fin à la "judiciarisation" de la justice des mineurs, on remet en cause le partage de l’assistance éducative issue des lois de décentralisation, qui sauvegardait le caractère national de la politique de protection de l’enfance ; dans le cadre de ce partage en effet, le département a un rôle exclusif en matière de protection administrative des mineurs, au travers de l’aide sociale à l’enfance et de la protection maternelle et infantile ; mais dès lors que cette protection résulte d’une décision judiciaire, alors elle relève de la responsabilité de l’Etat.
Ce partage n’est pas arbitraire mais résulte logiquement du caractère coercitif des décisions prises par le juge des enfants, tant pour les familles que pour le département lequel a compétence liée pour leur mise en œuvre ; au contraire, les décisions administratives sont conditionnées par l’accord des familles : le partage de la responsabilité résulte donc bien de la différence de nature qui préside aux décisions.
Si le texte était adopté, l’ensemble des dispositifs de protection des mineurs échappera désormais au juge puisque celui-ci n’aurait plus la maîtrise de ses propres décisions : le choix de l’institution de placement ne lui appartiendrait plus dès lors qu’il n’aurait ni le pouvoir de placer le mineur dans un établissement en dehors du département, ni même choisir l’établissement dans le ressort du département.
On comprend dès lors que des "inquiétudes" se soient exprimées lors des auditions en commission.
Car, tant les juges des enfants que les syndicats de la protection judiciaire de la jeunesse analysent cette décentralisation de l’action éducative comme la marque du désengagement de l’Etat en matière de protection des mineurs. Désengagement que dénonçait il y a quelques semaines ma collègue Michelle Demessine qui, opposait au catalogue de mesures purement ponctuelles donné par le projet de loi relatif à l’accueil et la protection de l’enfance la nécessité d’une véritable politique nationale de protection de l’enfance. Désengagement que traduit encore la baisse des crédits inscrits dans le projet de loi de finances pour 2004 en faveur de la famille.
Alors que l’Etat devrait constituer un "incitateur et un garant" en matière de protection de l’enfance, comme le recommandait le rapport Naves, tout, dans le présent projet de loi concoure à rendre aléatoire, dans le temps comme dans l’espace ce qui devrait pourtant constituer une cause nationale : il est en effet clair que l’intérêt porté à l’action éducative dépendra de l’investissement des Conseils généraux, en termes financiers (sous l’angle de la maîtrise des coûts) comme en termes de choix politiques (en fonction des priorités de l’action sociale).
Cette situation est d’autant plus génératrice d’inégalités que l’ensemble des dispositifs de prévention en matière de protection de l’enfance sont mis en péril au travers de ce projet de loi relatif aux responsabilité locale : qu’il s’agisse des dispositifs de détection que sont les médecins et les infirmières scolaires ou d’intervention s’agissant des pédopsychiatres ou des services d’accueil d’urgence, les enfants ne seront pas traités de façon égale sur l’ensemble du territoire national, ce qui est intolérable s’agissant d’enfants en situation de danger.
Vous comprendrez donc notre hostilité à cet article 48 dont nous vous demandons la suppression par amendement.