Réponse à la déclaration de politique générale du gouvernement

Publié le 4 juillet 2007 à 17:06 Mise à jour le 8 avril 2015

Monsieur le Président,
Monsieur le Premier Ministre,
Mes cher(e)s collègues,

Nous avons écouté l’intégralité de votre discours lu hier par M. BORLOO au Sénat.

Nous avons entendu ce que le Président de la République a déjà exprimé dans ses nombreux discours et ses multiples interventions dans les médias, sur tous les sujets.
Vous répétez après lui que vous voulez une majorité « sans arrogance, sans complexe ». En effet, le suffrage universel a parlé.

Le Président de la République a été élu par 53% des électeurs, 47% n’ont pas voté pour lui. Vous avez une majorité à l’Assemblée Nationale, amplifiée par le mode de scrutin, mais moindre que dans la précédente assemblée.
Après 5 ans de pouvoir UMP, la gauche n’a pas convaincu, elle a échoué ; chacune de ses composantes doit en tirer les leçons.

Aujourd’hui, vous êtes devant les parlementaires, vous respectez les formes, mais à vrai dire, depuis un mois, nous avons un aperçu de la nouvelle gouvernance et de la politique réelle conduite par le Président de la République et mise en œuvre par son gouvernement.

Vous annoncez une réforme institutionnelle. Pour ce qui concerne le présidentialisme, il est déjà en œuvre.
C’est sans doute inhérent aux réformes antérieures (quinquennat, inversion du calendrier) que, pour notre part, nous n’avons pas approuvées.
La mise en pratique nous conforte dans ce choix, tant elle concentre le pouvoir et accentue le caractère monarchique de nos institutions et l’exercice personnel du pouvoir. Le peuple l’approuve ? Il est bien tôt pour le dire ! Quant au Parlement, il est de fait d’ores et déjà confiné dans un rôle subsidiaire d’enregistrement de la volonté présidentielle.

Notre conception d’une avancée démocratique, c’est la reconnaissance de la diversité des sensibilités politiques, leur nécessaire représentation au Parlement et nous continuerons de mener le combat, non pas pour une opposition à « sa majesté », mais pour un véritable pluralisme.
Hier, vous avez donc fait un discours, mais en réalité, nous sommes déjà passés aux actes, nous sommes passés de l’idéologie à la pratique.

Pourfendeur des idéologies - sous-entendu d’une certaine gauche dogmatique - le Président de la République a décliné sous toutes ses formes le triptyque travail-autorité-mérite assorti de l’identité nationale et du volontarisme politique. C’est encore ce que nous avons entendu hier, qui est, je dois le dire, une habile adaptation populaire du credo de Mme PARISOT. On retrouve d’ailleurs tous les thèmes de la politique décomplexée dont vous nous parlez, annoncés dans le petit livre du MEDEF publié en janvier 2007, « Besoin d’air ».
Ce volontarisme politique a incontestablement séduit, mais que restera-t-il de l’illusion des mots, sinon les actes ? Et les actes, ils commencent à se voir.

Comme le Président de la République, vous voulez une « rupture ». Je vous l’accorde, les politiques passées n’ont pas réussi. Mais vous venez d’être au pouvoir, vous, et les nombreux ministres déjà ministres avec vous ces 5 dernières années. On pourrait résumer ce que dit le Président de la République à « plus vite, plus fort, plus loin ». C’est ce que vous confirmez déjà.
Les exonérations de cotisations sociales pour les patrons, c’est ce que vous avez fait vous-même en 2005, et d’autres avant vous d’ailleurs. Le coût est élevé pour la collectivité et le résultat nul en matière de création d’emplois.

Vous voulez faire beaucoup plus, non pas pour aider les PME, mais au bénéfice des fonds d’investissement.
Vous annoncez donc de nouveaux profits pour les actionnaires. Or, qu’ont-ils fait pour l’emploi ? Hélas, les suppressions d’emplois succèdent aux suppressions d’emplois : 10.000 à Airbus ; 10.000 à PSA ; 1500 à Alcatel ; 3500 au Crédit Lyonnais.
La diminution du nombre de chômeurs ne correspond pas à des créations d’emplois car, vous le savez bien, le nombre d’emplois continue de diminuer.
D’ailleurs, les chiffres du chômage sont pour l’instant contestés. Comme vous le savez aussi, les profits sont de plus en plus accaparés par les actionnaires et de moins en moins réinvestis. Au fait, où est l’interdiction des parachutes dorés ? Pour notre part, nous proposons sans complexe de rémunérer plus le travail que les actionnaires pour revenir à un partage travail-capital plus favorable au travail.

Comme vous le savez encore, entre 1998 et 2005, les revenus des plus riches ont progressé de 19% contre 5,9% pour les revenus moyens ; et de 42% pour les 0,01% de vraiment très riches ; tandis que les 90% des moins riches n’ont eu que 4,7% en 7 ans.
C’est sans doute l’illustration du « travailler plus pour gagner plus ».
Qui plus est, vous supprimez les droits de succession au motif louable que ceux qui ont acquis un petit « bien » doivent pouvoir le laisser à leurs enfants ! Sauf que cette mesure concerne 5% des patrimoines, les plus élevés s’entend.

Vous avez oublié de parler du bouclier fiscal à 50% et de l’allègement de l’ISF.
Travailler plus ! Pour ceux qui n’ont ni patrimoine mobilier, ni portefeuille d’actions, vous avez fait miroiter les heures supplémentaires. Miroir aux alouettes. Qui décide des heures supplémentaires ? Globalement, le patronat n’utilise pas le quota dont il dispose. C’est de la propagande pure et simple, excusez-moi, destinée à enfoncer le clou de la disparition à terme de la durée légale du travail.

Je pense que la véritable « armée de Français » qui travaille à temps partiel contraint, voudrait bien travailler au moins 35 heures pour être payée au moins au SMIC !

Le SMIC ? Parlons-en. Il concerne 2,5 millions de salariés, 20% des ouvriers, 20% des femmes, 30% des moins de 25 ans. L’augmentation du pouvoir d’achat n’était-il pas un engagement du candidat SARKOZY ? Le minimum aurait été de donner un coup de pouce au SMIC, ce qui était simple justice et en plus, utile pour dynamiser la croissance ! Mais sans doute les salariés qui travaillent - durement pour beaucoup - en usine, dans la distribution, ne le méritent pas. Pourtant, comment peut-on vivre avec moins de 1500 euros ? C’est donc sans complexe que nous continuerons à mener ce combat.
Votre perception de l’intérêt des services publics passe par le prisme de la dépense publique et non pas de leur utilité.

Nous avions bien entendu le candidat SARKOZY s’engageant à supprimer un poste sur deux des fonctionnaires partant en retraite, mais nous avions cru entendre que cela ne concernait ni l’école, ni l’hôpital. Résultat immédiat : pour l’instant, 10.000 postes d’enseignants en moins. Cela commence mal, car nos concitoyens savent que ce n’est pas la bonne réponse à la demande d’une école de qualité. Je vous propose de faire l’inverse et de recruter des enseignants, des infirmières, des personnels d’accompagnement dont nos services publics ont tant besoin.
La recherche et l’université étaient, au moins me semble-t-il, dans les priorités du candidat N. SARKOZY. Mais, je ne vois pas dans la précipitation de la concertation immédiatement suivie d’un projet de loi sur l’université, la prise en compte des énormes problèmes de notre système d’enseignement supérieur, en premier lieu l’échec.

Vous aimez comparer avec d’autres pays ! Nous dépensons beaucoup moins que nombre d’autres pays européens.
Quant à la recherche, ce que nous pouvons craindre, c’est l’abandon de la maîtrise publique.

La longue tradition rentière du patronat français et la non-pertinence des fonds d’investissement pour financer la recherche fondamentale sont, hélas, des obstacles de taille à la mise en œuvre des promesses présidentielles d’un investissement « sans précédent » pour la recherche.
Je vous propose sans complexe la mise en œuvre d’une fiscalité plus juste avec une progressivité accrue des prélèvements et la diminution des impôts indirects. Encore une fois, les pays du nord qui réussissent ont des prélèvements obligatoires supérieurs aux nôtres.

Nos concitoyens d’ailleurs, ne s’y trompent pas. Dès lors que vous avez lancé le ballon d’essai de la TVA que vous avez baptisée « sociale » pour remplacer les cotisations patronales, ils ont très bien compris qu’ils allaient la payer sur leur pouvoir d’achat et qu’elle pénaliserait plus par définition les plus pauvres que les plus riches ! D’ailleurs, ils l’ont en quelque sorte déjà exprimé au deuxième tour des élections législatives...
Vous avez précisé ce que vous aviez déjà annoncé : une mesure particulièrement injuste en matière de santé, la franchise médicale.

Et vous nous expliquez que ceux qui gagnent plus paieront plus pour leur santé. Les pères de la sécurité sociale avaient inventé un bon système pour garantir l’égalité de soins, quel que soit son revenu : des cotisations plus importantes en fonction du salaire. Les choses ont beaucoup changé depuis, c’est vrai, mais je vous propose dans cette conception de faire contribuer tous les revenus à la sécurité sociale et donc les revenus financiers. Votre conception s’apparente davantage à la médecine à deux vitesses.

Le candidat à la présidentielle s’était fait fort de défendre l’intérêt national, promesse qu’on a du mal à croire quand on entend Luc CHATEL, Secrétaire d’Etat à la consommation, faire la publicité de la concurrence à l’entreprise nationale EDF ; curieuse façon de défendre les intérêts de l’Etat et donc de l’argent public. A ce propos, on ne peut qu’être inquiet de l’utilisation de l’argent public en constatant que l’Etat a vendu l’Imprimerie nationale 85 millions d’euros en 2003 au fonds d’investissement Carlyle et qu’il l’aurait rachetée 376,7 millions cette année pour loger le Ministère des Affaires étrangères. Quel gâchis !

Fort heureusement, les Français, y compris ceux qui ont voté pour le Président de la République, ne sont pas disposés à changer de fournisseur et ils confirment après élections ce qu’ils disaient avant élections. En effet, 63% rejettent l’ouverture à la concurrence du marché de l’électricité et du gaz. Et la mission commune d’information du Sénat sur l’énergie créée à l’initiative de mon groupe, vient de confirmer la nécessité d’une maîtrise publique
Hélas, la libéralisation est le maître mot de l’Europe des marchands.

L’expérience de France Telecom est édifiante. Vous avez engagé vous-même, en 1996, la privatisation de France Telecom en jurant, à l’époque, que l’Etat garderait 51% du capital.

Avec la cession annoncée, l’Etat n’en détiendra plus que 25%. Mais quels sont d’ores et déjà les effets pour le secteur national et pour les usagers ?
22.000 suppressions d’emplois (en France) que ce soit pour France Telecom ou ses concurrents (les salariés de SFR en savent quelque chose) et les abus tarifaires que dénoncent toutes les associations de consommateurs !
Pourtant, la déclaration finale, signée par les 27 à Bruxelles le 22 juin, se félicite des avancées de la mise en œuvre des principes de mise en concurrence : libre circulation des marchandises, des personnes, des services et des capitaux, comme elle se félicite des « progrès » réalisés sur le projet de directive relative aux services postaux.

Le Président de la République ne cesse de s’auto-féliciter de son initiative européenne. Politique oblige. Nul ne peut faire comme si les Français avaient voté oui au projet de Traité de constitution européenne en 2005.
Alors, qu’à cela ne tienne, le discours veut enfoncer le clou, je cite : « La décision prise est conforme au vote des Français en 2005, nous avons obtenu une réorientation majeure. »

Véritable tour de passe-passe. Non : les principes ultralibéraux, objets de la critique de la majorité de nos concitoyens, demeurent.

D’ailleurs, ils souhaitent - pour 57% d’entre eux - être consultés sur le futur mini traité. Nous aurons l’occasion d’y revenir plus longuement ce soir.
Le dialogue social, autre credo de campagne - qui pourrait être contre ? Il y a un tel déficit en ce domaine ! Mais quelle conception du dialogue social ? Le Président de la République a donné le « la » et vous le confirmez. D’abord, le dialogue social n’a pas pour objet de « déranger » les réformes engagées. Sauf à la marge, pour l’image, comme avec les étudiants ; sinon, le Président de la République impose.

Il entend d’ailleurs régenter la démocratie syndicale, instituer la primauté du contrat au niveau de l’entreprise. Cette conception du syndicalisme est tout à fait conforme à celle de Mme PARISOT.

J’ajoute, dans un autre domaine, que le premier projet du gouvernement que nous allons examiner au Sénat, à savoir, une 8ème modification du code pénal depuis 2002, augure mal du dialogue social. L’instauration des peines plancher et la quasi suppression de la minorité pénale ont été repoussées par les parlementaires de la majorité pendant 5 ans et l’ensemble des professionnels de la justice les refuse ! Là encore, l’illusion prime sur le réel.
Nos concitoyens veulent voir diminuer la délinquance. Ils ont été traumatisés par les dysfonctionnements de la justice. Il n’est pas inutile de souligner que le prétendu laxisme des juges qui sous-tend la réforme actuelle est l’inverse de ce qui s’est passé avec Outreau.
Alors, par un tour de passe-passe, on répond que la délinquance, hier en régression grâce à l’action d’un récent Ministre de l’Intérieur, est aujourd’hui, en augmentation, bien que les statistiques s’arrêtent à 2005. Prévenir la récidive est certes difficile, mais encore faut-il savoir qu’une bonne partie des peines ne sont pas exécutées, faute de moyens.

Mauvaise information, mauvaise réponse. Nous aurons l’occasion d’en débattre, même si nous nous sommes déjà entendu dire que « le peuple avait tranché ».
Vous n’avez pas manqué de rappeler les choix du Président de la République en matière d’immigration. Ils ont d’ailleurs été largement développés dans le quinquennat précédent : avant de venir en France, il faut déjà être Français.

Est-ce que vous êtes bien d’accord avec le patronat de grandes entreprises qui ont pignon sur rue, qui emploient massivement les travailleurs immigrés ? Buffalo Grill, Modeluxe, Metal Couleur, Cooperl, OSP, etc... Equation difficile à résoudre.
Le Président de la République se fait fort d’être le meilleur dans l’action pour contribuer à des solutions urgentes aux conflits et aux situations les plus dramatiques dans le monde. Précisément, la situation en Palestine appelle des actes forts. Il est urgent que la voix de la France se fasse entendre pour faire prévaloir des solutions qui existent, à savoir, le respect des résolutions de l’ONU.

M. le Premier Ministre, votre discours et les décisions déjà prises pour appliquer la politique du Président de la République confirment la cohérence d’un projet tout au service des plus riches, au service de l’argent. Nous le combattrons et nous en montrerons la nocivité à nos concitoyens avec, comme principale ambition, de redonner sens aux valeurs de solidarité, de justice sociale, moteurs indispensables de l’efficacité.

Il va sans dire que nous n’approuverons pas votre déclaration.

Nicole Borvo Cohen-Seat

Ancienne sénatrice de Paris et présidente du groupe CRC

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