Tout divorce est une épreuve, même ceux qui semblent se dérouler dans les meilleures conditions possibles, même les divorces par consentement mutuel. Car ni la réforme de 1975 qui a permis la possibilité de « démariage » à l’amiable, ni la fréquence des unions libres ni le Pa.C.S. ne rendent plus facile la rupture du couple. Peut-être même la renforcent-ils : le mariage étant librement consenti, son échec est ressenti d’autant plus douloureusement.
Le grand avantage de cette proposition de loi est de chercher à faire que, à l’épreuve de la séparation, ne se rajoute pas l’épreuve de la procédure. Ainsi simplifie-t-elle celle du divorce par consentement mutuel ú rejointe en cela par la commission des Lois ú en proposant que le prononcé du divorce puisse se faire dès la première comparution devant le juge. Cela évitera les procédures inutilement longues et coûteuses, pour la justice comme pour le justiciable. Cependant, cette simplification doit être assortie des garanties nécessaires à la liberté du consentement au divorce. Dans le contrôle des conventions, le rôle du juge doit être réel.
Au-delà, c’est à la « pacification » du divorce que s’est attelée l’Assemblée, en remettant en cause le divorce pour faute, tant il est vrai que ses « dommages collatéraux » sont souvent démesurés par rapport au conflit conjugal lui-même : obligeant les époux à apporter la preuve de cette faute, il envenime les conflits, traumatise l’ensemble de la cellule familiale, prise à partie sinon mise à contribution dans le conflit et il focalise la discussion sur le passé plutôt qu’il n’encourage la construction de l’avenir. D’où des effets très dommageables sur les individus et, au premier chef, sur les enfants, principales victimes, à long terme, des conflits parentaux. Comme l’a rappelé, Mme Royal, lors de la discussion du texte relatif à l’autorité parentale, les adultes doivent avoir à cœur de mettre autant que possible les enfants à l’abri de ces conflits « qui ruinent leur confiance dans leurs parents et au-delà des adultes ».
C’est pourquoi, il convient d’encourager tout ce qui contribue à atténuer le conflit et, au premier chef les mesures de médiation. Il est urgent que, préalablement à l’entrée en vigueur des textes qui la renforcent, soit enfin mis en place un véritable statut de la médiation ; on doit également réaffirmer qu’elle intervient dans un champ différent de celui de l’institution judiciaire et qu’elle ne doit en aucun cas être stigmatisante pour ceux qui n’arrivent pas à s’entendre.
Il convient de même d’éviter tout ce qui peut exacerber le conflit. Or, en l’état actuel des procédures, le divorce pour faute constitue la seule alternative dans laquelle vont s’engouffrer les époux dès lors que l’un d’eux sera hostile au principe même du divorce : la très faible proportion des divorces pour rupture de la vie commune ú à peine 1,5 % du total ú le prouve. Et 32 % des divorces pour faute sont en réalité prononcés sur le fondement de l’article 248-1 du Code civil c’est-à-dire sans énonciation des fautes, tandis que 27,5 % le sont par défaut, en l’absence de défendeur. Si l’on suppose qu’une partie des divorces aux torts partagés auraient pu se régler via une autre procédure, on aboutit à un nombre réel de divorces pour faute bien en-deçà des chiffres.
Les procédures ne sont plus adaptées au phénomène social qui fait qu’un mariage sur trois se termine par un divorce. Le régime de divorce de 1975 ne correspond plus aux évolutions sociologiques et nous devons en tenir compte, en reconnaissant un droit au divorce. Nous admettrions ainsi le droit pour toute personne de se libérer de liens conjugaux qui ne sont plus voulus et dont le maintien forcé est une catastrophe pour toute la structure familiale, et surtout les enfants.
Nous rejetterions ainsi l’idée de « culpabilité » dans la dissolution du lien conjugal que continue de véhiculer la procédure actuelle du divorce pour faute et du divorce pour rupture de la vie commune.
Cela ne veut pas dire que celui qui se réclame de ce droit ne doive pas respecter un certain nombre de devoirs et d’obligations. Mais nous ne voulons pas d’un droit de la famille moralisant, car on sent bien, derrière, les réserves bien françaises face au divorce… L’État n’a pas à dire quel doit être le bon modèle familial. Cette conception paternaliste du droit de la famille est aujourd’hui dépassée, ce qui ne signifie pas que le rôle de l’État en matière de politique familiale diminue mais qu’il évolue afin de permettre l’épanouissement de toutes les familles. Il convient en effet maintenant de s’attaquer à l’inégalité économique. Le gouvernement a pris la mesure de ce défi et je rends hommage à son action en faveur des familles les plus modestes.
Les situations de précarité, notamment économiques, sont destructurantes pour la famille. Notre Délégation aux droits des femmes a démontré que le chômage augmentait le nombre de divorces. En même temps, la précarité rend encore plus difficile la gestion des ruptures. Comme l’a dit Mme Théry, plus la famille est fragile, plus les relations avec l’enfant risquent de se distendre.
Comme nous l’avions dit dans le débat sur l’autorité parentale, les principes que nous défendons, comme la résidence alternée ú très coûteuse ú doivent s’accompagner de moyens matériels.
Le rejet du préjugé moral passe-t-il par la suppression du divorce fondé sur la faute ? La question fait débat, comme le montrent les divergences entre la proposition de loi adoptée par l’Assemblée nationale, que rejoint la proposition de notre collègue About, et la position de la majorité de la commission des Lois. Nous devons, en fait, nous prononcer sur le statut actuel du mariage : les droits et obligations définies par notre Code civil sont-ils des éléments d’une telle importance que leur seule violation constitue une cause objective de rupture du mariage ?
Cette question ne peut être abordée sous l’angle des violences conjugales car celles-ci vont bien au-delà d’un comportement conjugal fautif, ce sont des comportements socialement, voire pénalement répréhensibles. Il faut reconnaître le caractère spécifique de ces violences produites, sinon permises, par la relation conjugale : alors que nous reconnaissons les particularités des violences exercées dans le cadre du travail, qu’il s’agisse de harcèlement moral ou sexuel, il serait étonnant de revenir sur celles qui ont lieu dans le cadre marital ! L’enquête nationale sur les violences envers les femmes a révélé que près d’une femme sur dix reconnaît avoir été victime de violences physiques ou morales dans l’année. Il est donc satisfaisant que le juge puisse faire mention de ces comportements inadmissibles dans l’acte même du jugement de divorce, tant la reconnaissance sociale est nécessaire à la reconstruction des victimes de ces violences, comme le reconnaissent les associations de femmes battues.
De même, il est indispensable que les dommages et intérêts alloués sur ce fondement le soient par le juge du divorce plutôt que par celui de la responsabilité.
Enfin, nous sommes favorables à des mesures urgentes en cas de danger pour la sécurité du conjoint ou des enfants comme la résidence séparée, car elles offrent des garanties absolument indispensables à ces victimes.
Reste donc la question de savoir si, comme l’estime notre commission, les manquements aux obligations du mariage, comme le devoir de fidélité, secours et assistance, doivent être conçus comme portant atteinte aux fondements mêmes du mariage.
L’Assemblée nationale considère que les époux sont égaux, et que l’inégalité qui demeure est de nature économique. Tel est l’objet de la prestation compensatoire qui prévoit des dommages- intérêts pour celui qui, n’ayant pas fait le choix du divorce, subi du fait de la dissolution du mariage des « conséquences d’une exceptionnelle gravité ».
Certes, l’égalité des époux apparaît, à bien des égards, fictive et certains avocats rappellent combien les indemnités pour dommages-intérêts sont faibles. La disparité des situations au sein du couple, que creuse le mariage puisque beaucoup de femmes font passer leur famille avant leur vie professionnelle, serait encore aggravée par la suppression du divorce pour faute.
La question mérite réflexion, mais nous avons estimé que le maintien de la notion de faute risquait de cristalliser plutôt que d’atténuer cette inégalité.
Hélas, notre commission en reste à la logique actuelle et elle voit encore dans le divorce une faute morale vis-à-vis des obligations du mariage.
Ainsi, au-delà du maintien du divorce pour faute, le nouveau cas de divorce, « pour altération irrémédiable des relations conjugales » reste empreinte de cette notion de faute.
Le débat est loin d’être achevé et aurait mérité de plus amples discussions.
En tout état de cause, la réforme ne sera pas achevée avant la fin de la session. Nous espérons que la réflexion se poursuivra sur une réforme d’une telle importance. Pour l’heure, nous ne voterons pas le texte proposé par la commission des Lois.