Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Mes cher(e)s collègues,
Les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen proposent au Sénat le rejet de ce texte, véritable déni de démocratie imposé sans débat par le gouvernement au mépris de la représentation populaire de l’Assemblée Nationale et en suivant la majorité de la Commission des Lois, au mépris des droits les plus élémentaires du parlement, celui d’amender.
Ici, la majorité UMP, veut aller vite en besogne.
Comme le dit M. GELARD, sans détour, ce texte a été adopté « sans véritable débat » à l’Assemblée Nationale.
La Commission des Lois du Sénat propose le vote conforme, c’est-à-dire sans adoption d’amendement et elle n’en propose d’ailleurs aucun.
Le droit d’amendement du Parlement est donc mis sérieusement à mal, alors que le gouvernement a fait adopter 38 amendements, à la sauvette, sans débat à l’Assemblée Nationale, dans la foulée du 49-3.
Le tout UMP commence à produire un effet curieux, je dirais peut-être inattendu : le bicaméralisme, l’existence de deux Chambres, l’utilité du Sénat qui vous et nous est chère, trouvera-t-il longtemps une justification si un texte adopté dans l’une des chambres doit être systématiquement voté conforme par l’autre ?
Mais venons-en au texte lui-même.
Comme l’indique M. GELARD, je le cite, « Ce projet de loi semble ainsi favoriser une bipolarisation ».
Votre aveu, M. GELARD, a le mérite de la franchise. Ce n’était pas le cas des auteurs de l’exposé des motifs du projet de loi, MM. RAFFARIN et SARKOZY : « Le but poursuivi par le gouvernement est]…[de redonner autant que faire se peut (la nuance apparaît en effet nécessaire) de la clarté à l’expression des suffrages en améliorant les conditions dans lesquelles celui-ci permet la représentation équitable des sensibilités politiques et des territoires. »
Ce gouvernement dispose sans doute d’un réel talent. Est-ce qu’il ne va pas finir par lasser nos concitoyens ? Celui d’afficher une volonté et de faire le contraire.
Ce projet de loi, organise en réalité la non-représentation d’une partie de notre peuple. En effet, les voix d’un nombre important d’électeurs, voire une majorité, pourront se perdre dans les urnes sans aucune reconnaissance politique.
Ainsi, le mode de scrutin régional que vous nous proposez entend empêcher la présence au second tour des listes n’ayant pas atteint les 10% des inscrits. Etant donné le faible niveau de participation et rien ne peut indiquer - au contraire - que le mode de scrutin que vous proposez va l’augmenter, des listes ne recueillent pas 20 à 23% des exprimés seront écartées. J’ajoute que selon les réponses, ce sont les non exprimés qui détermineront, au nom de la représentation des suffrages exprimés.
Il s’agit là d’un véritable détournement de l’esprit du mode de scrutin proportionnel. Ce dernier a pour objectif, en effet, de permettre une juste et équitable représentation des opinions exprimées.
Le long plaidoyer de M. PERBEN pour l’UMP, dans la presse, voit dans la conjugaison de la décentralisation, de la bipolarisation et d’un parti unique à droite - je pensais qu’il en avait une autre ! l’annonce d’une effervescence du débat d’idées ! Méthode COUE sans doute !
D’abord, priver les citoyens d’une juste représentation, c’est les priver d’un véritable débat d’idées. Vous voulez des majorités dans les régions ? Mais qu’est-ce à dire si une majorité de nos concitoyens est privée de représentation ?
Le 21 avril, nos concitoyens ont placé aucun candidat au dessus de 20%. Quel mécontentement, en effet, à l’égard des politiques. Mais croyez-vous sincèrement qu’ils ont sanctionné un trop plein de débats d’idées, je crois franchement que c’est le contraire !
Que sera notre vie politique, réduite à deux partis, comme aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne ? Nous voyons bien que dans ces deux pays, le bipartisme gangrène la démocratie et aggrave l’abstention. Eloigner durablement les classes populaires du débat démocratique, est-ce cela à quoi vous voulez arriver ? Vous ne changez pas seulement de modes de scrutin, Monsieur le Ministre, vous nous préparez, que vous le vouliez ou non, de nouveaux 21 avril. Des 21 avril de plus en plus inquiétants.
Mais que craignez-vous pour faire taire ainsi la pluralité des opinions ? Les systèmes faits d’uniformité, d’unicité, de parti unique ou de deux partis dominants, n’ont jamais produit d’avancées de civilisation. J’ajoute qu’elle heurte profondément nos traditions démocratiques.
Mon groupe s’était, en première lecture, opposé au texte de la loi de 99 réformant le scrutin régional.
Nous regrettions l’abandon du scrutin à un tour et de la circonscription départementale et nous critiquions fortement, déjà, l’instauration de seuils trop élevés pour l’accès au second tour et à la fusion. C’est l’abaissement de ces seuils et la conviction qu’il fallait empêcher à l’avenir les renouvellements d’alliance entre le Front national et la droite parlementaire qui a provoqué notre vote positif.
Car c’est bien la droite qui a fait, ou tenté de faire alliance avec le Front national, en Bourgogne, en Picardie, Rhône-Alpes, c’est bien sûr en Languedoc-Roussillon, que ces alliances honteuses ont eu lieu en 1998.
M. le Ministre, c’est bien la droite qui s’allie quand elle le juge bon avec le Front national.
De plus, et je crois que le fond est là, ce n’est pas par le mode de scrutin que l’on fera baisser l’influence du Front national, mais par le contenu d’une politique. L’affichage sécuritaire, comme il se doit, fera long feu. Le réel reprend le dessus avec les premiers résultats désastreux de l’offensive libérale à laquelle s’est livré le gouvernement derrière les gesticulations oratoires ou les opérations de « communication ».
Les plans sociaux déferlent, la précarité explose et le chômage des jeunes grimpe. Croyez-vous un instant, M. le Ministre, que vous dispersez le terreau sur lequel prolifère le Front national ?
Bien au contraire, et vous le savez bien, vous le fertilisez.
Ce qui fait reculer l’extrême droite, c’est la démocratie, le progrès social, la coopération entre les peuples. Vous n’y travaillez pas, et hélas, l’extrême droite n’a pas besoin d’être dans l’hémicycle pour que ses idées soient recyclées.
En fait, cette réforme des modes de scrutin n’est qu’un trompe l’œil. La région et l’Europe sont au cœur de votre stratégie de remodelage de la société, ce ne sont donc pas seulement les circonstances qui vous poussent à imposer votre loi. En réalité, elle n’a pas d’autre objet que de faire rentrer aux forceps les citoyennes et les citoyens dans un cadre qui ne leur convient pas et qu’ils n’ont pas choisi.
Notre culture politique est celle du pluralisme, il est enraciné dans notre histoire de longue date. Il faut, à notre sens, le considérer comme une chance pour la vitalité de notre démocratie. Le pluralisme est le fondement même de notre République. Il puise son impérieuse nécessité dans le principe de liberté qui ne souffre aucun outrage. Car la France est multiple, alors même qu’elle est une. Et c’est à la fois parce qu’elle est une et parce qu’elle est multiple, qu’elle appartient en propre à chaque citoyen. C’est justement à cela que vous voulez mettre fin. Seule une démocratie altérée pourrait se satisfaire d’une résolution des contradictions et des diversités par l’élimination et le prisme de filtres déformants.
La crise de la politique ne sera pas résolue par des aménagements à contresens historique. Le 5 mai dernier, la majorité des électrices et électeurs a fait le choix de la démocratie, soyons certains que cette majorité serait fort déçue qu’elle leur soit confisquée par ceux-là mêmes qui s’en prétendaient le rempart.
Le 21 avril nous appelle au débat contradictoire, aux confrontations d’idées.
Le 21 avril nous appelle à l’audace d’une démocratie vraie et renouvelée qui donne à chacune et à chacun toute sa place dans le débat comme dans la représentation politique. Vous tournez le dos à ce défi !
La bipolarisation constitue votre objectif essentiel car c’est le moyen d’imposer la politique libérale que vous affectionnez.
Ecarter le peuple des choix politiques en favorisant l’abstention ne vous gêne pas, car cela permet de décider « en famille ». Et ne me parlez pas de procès d’intention. Toutes les études démontrent que la bipolarisation débouche sur une cassure entre le fait politique et la grande masse de la population, c’est-à-dire exactement le contraire des priorités affichées par M. RAFFARIN et son désormais célèbre tableau de la « France d’en haut et la France d’en bas ».
Cette réforme va effectivement de faire, comme le dit M. PERBEN, avec la révision constitutionnelle sur l’organisation décentralisée de la République.
C’est ce que vous constatez, M. le Rapporteur, dans votre texte, page 9.
Le schéma que l’on impose aux Françaises et Français, que l’on impose, car ils n’ont pas été consultés sur une modification essentielle de l’architecture institutionnelle de notre pays, c’est un remodelage à l’échelle européenne.
Les grandes décisions se prennent et se prendront en haut, à Bruxelles, siège de la Commission, ou à Francfort, siège de la BCE et les régions seront chargées progressivement de la gestion de ces décisions, le cadre national du débat et du pacte social étant, petit à petit, évacué.
M. RAFFARIN, dès 1998, affichait clairement ses options lors du débat sur la précédente réforme du mode de scrutin régional : « Si l’on veut procéder à la transformation de nos assemblées régionales en assemblées politiques, je me pose la question de l’utilité d’un débat régional ».
M. le Ministre n’aime pas les assemblées qui font de la politique. Il préfère les chambres d’enregistrement de décisions qui sont prises ailleurs, en dehors de tout contrôle démocratique.
La bipolarisation ou la mise en cause du débat pluraliste constitue un outil formidable pour ceux qui souhaitent écarter le contrôle populaire.
Cette volonté est confirmée par la proposition de réforme du mode de scrutin des européennes. Au nom d’un hypothétique rapprochement des candidats de leurs électeurs, ces élections se dérouleront dans le cadre de super régions. Le mode de scrutin tel qu’il nous est proposé réduira, voire écartera les partis minoritaires de toutes représentations.
Par ailleurs, le choix d’abandonner le cadre national est loin d’être anodin. C’est l’abandon de l’idée d’une représentation au Parlement européen de la nation dans son ensemble.
Cette analyse est partagée par les plus fervent partisans de l’Europe actuelle, Monsieur BAYROU déclare par exemple, le 15 février dernier : « l’Europe n’est pas une fédération de régions. Elle est une fédération de nations. C’est au nom de cette conviction, pour moi ancienne, que j’ai toujours refusé de soutenir ceux de nos amis qui réclamaient une régionalisation du scrutin ». Il faut noter d’ailleurs que le député de l’ancienne UDF qui présentait une telle proposition s’appelait Charles MILLION.
Nous sommes défavorables à cette remise en cause du cadre national de l’élection européenne, aujourd’hui comme hier, lorsque Lionel JOSPIN, alors Premier Ministre, avait proposé lui aussi une telle réforme.
Comme pour les régionales, le choix de la réforme du mode de scrutin européen a pour but d’éloigner encore les citoyens, les peuples, des choix, des centres de décision, alors que plus que jamais, nous avons besoin de l’implication des citoyens dans la construction européenne.
La complexité des systèmes retenus, l’arbitraire de l’élaboration des circonscriptions, je pense aux super régions, rendent plus complexe encore le mode de scrutin. Pour les régionales, cette complexité confine à l’inintelligibilité. Il faut être « pince sans rire » pour affirmer, comme la rapporteur devant l’assemblée nationale, Monsieur BRIGNON, que ce projet vise « à redonner de la clarté à l’expression du suffrage ».
J’ajoute que l’attitude de la majorité, sénatoriale en particulier, à l’égard du mode de scrutin régional ces dernières années, a de quoi nous surprendre ! La lecture du rapport de Messieurs LANNIER et GIROD de mai 1996 est édifiante. « Le groupe de travail a été unanime à considérer qu’un mode de scrutin quel qu’il soit ne serait être modifié en fonction de préoccupations purement politiciennes ».
« On ne peut changer un mode de scrutin qu’en présence d’impérieuses nécessités ». « Est-il certain que le corps électoral aspire réellement à une modification du mode de scrutin régional ».
« Le groupe de travail partage pleinement le souci de ne pas surcharger le mode de scrutin régional de règles complexes dont les électeurs et même parfois les candidats auront du mal à saisir la justification.
Pour être bien accepté, un mode de scrutin doit être simple, transparent et lisible.
Monsieur GELARD, avez-vous auditionné Messieurs LANNIER et GIROD dans le cadre de votre rapport ?
Cerise sur le gâteau ; avant de conclure alors au maintien du mode de scrutin en vigueur, les deux rapporteurs indiquaient que « le changement du mode de scrutin impose au préalable de rechercher un consensus aussi large que possible car il ne faut pas que les « règles du jeu » puissent être présentées comme être dirigées contre telle ou telle formation politique. »
Nous en sommes loin !
Le pouvoir rend amnésique, dit-on. Malheureusement cela semble être le cas puisque ce rapport avait été adopté à l’unanimité tous groupes confondus, du RPR au nôtre.
Le projet de loi que vous nous soumettez, Monsieur le Ministre, est dangereux pour la démocratie. Tout le monde le sait, il résulte d’une véritable « oukaze », ce n’est pas de moi, mais de Monsieur François BAYROU, de la part de Monsieur JUPPE et de l’UMP.
Le coup de force va si loin que le gouvernement n’a même pas présenté au Conseil d’Etat la modification qui a tant fait couler d’encre, relative au pourcentage d’inscrits, 10%, nécessaire au maintien du second tour.
La volonté de passer en force est telle que le Premier Ministre a utilisé le 49.3 pour valider un texte, repoussé au préalable par toutes les formations, à l’exception de la seule UMP. Présenter ce texte au débat était de ce fait inacceptable.
Comment ne pas rappeler les propos du Premier Ministre le 3 juillet devant les députés : « Si je me réjouis de la qualité et de l’ampleur de la représentation de la majorité présidentielle, je souhaite aussi que nous progressions dans la pratique des relations républicaines avec l’opposition. La politique est une affaire de vérité mais celle-ci n’est pas à sens unique ».
C’est justement cela que les français ne supportent plus. Ces paroles d’hémicycles, ces discours enrobés et lénifiants qui sont oubliés dès que prononcés.
Monsieur RAFFARIN a tombé le masque, fini le sens du dialogue et les effets de communications.
L’enjeu était en effet de taille, faire avaliser la domination de l’UMP sur l’Etat et nos institutions avant que le peuple se réveille, meurtri par la politique antisociale du gouvernement.
Avec les sénateurs du mon groupe, avec les démocrates qui refusent ce coup de force, nous vous appelons à rejeter ce déni de démocratie.