Réforme des modes de scrutins : explication de vote

Publié le 12 mars 2003 à 00:00 Mise à jour le 8 avril 2015

par Nicole Borvo

Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Mes cher(e)s collègues,

Nous arrivons au terme de ce « non-débat » sur la réforme des modes de scrutins, régional et européen.
Le débat n’a pas eu lieu au Sénat. A l’Assemblée Nationale, le gouvernement avait coupé court à toute discussion en invoquant le 49-3 avant même la présentation des motions de procédures et l’ouverture de la discussion générale.
Inquiète des conséquences de cette censure de tout débat, notamment sur le plan de la recevabilité constitutionnelle, la majorité sénatoriale a voulu donner le change en laissant l’opposition s’exprimer. Mais l’illusion démocratique s’arrête là.

Dès la présentation de son rapport, M. GELARD a annoncé le vote conforme aussitôt suivi par la majorité de la Commission des Lois.
Cette pratique qui se multiplie depuis le mois de juillet constitue une forme de 49-3 parlementaire. Dès le départ, tout amendement est refusé et le débat devient de ce fait totalement formel.

Cette impression de formalisme est confortée par le silence assourdissant des sénateurs de l’UMP. Consigne leur a été donnée de ne pas s’exprimer en dehors de quelques interjections ou vociférations.
L’UMP a boycotté le débat. La Commission des Lois a refusé d’emblée toute modification du texte.
Nous avons assisté à un détournement flagrant des droits du parlement.

Lieux d’élaboration de la loi, l’Assemblée Nationale et le Sénat ont été cantonnés de manière grossière au rôle de chambre d’enregistrement. Nous assistons bien au retour du Parlement godillot, du parti godillot.
Nous l’avons souligné à maintes reprises, cette organisation des débats est dangereuse pour la démocratie, car elle déséquilibre fortement les pouvoirs en les plaçant essentiellement dans les mains du pouvoir exécutif.
L’attitude de la majorité sénatoriale est d’autant plus surprenant que la domination de l’UMP dans les deux assemblées, l’utilisation de l’urgence et du vote conforme ne peuvent qu’interroger sur l’utilité même du bicamérisme comme atout démocratique.

Pour l’instant, les deux chambres permettent essentiellement l’accélération de l’examen des projets de loi par une habile répartition des tâches mettant à mal le principe même du contrôle parlementaire.
Le gouvernement a donc utilisé la force pour faire adopter, dans les plus brefs délais, ce projet de loi.
Il revêtait, en effet, une importance capitale à ses yeux : accélérer la bipolarisation, favoriser l’émergence de la dimension régionale au détriment de la dimension nationale pour l’organisation démocratique de notre pays.
La réforme du mode de scrutin régional constitue un coup de force contre le pluralisme.

L’élévation insensée des seuils pour le maintien au second tour ou pour autoriser les fusions ou accéder à la répartition des sièges relève d’un objectif qui lui, est pleinement réfléchi : imposer le bipartisme et tuer le débat démocratique.

Cette volonté farouche du gouvernement et de l’UMP est à contre courant des sentiments exprimés il y a un an. Les électeurs ont marqué, bien au contraire, leur attachement au pluralisme et leur méfiance à l’égard des deux partis dominants.
Vous voulez tordre le cou à la réalité politique française pour imposer un modèle à l’anglo saxonne.
Cette méthode est empreinte de nombreux motifs d’inconstitutionnalité. En dehors des questions de forme, le non respect de l’article 4 de la Constitution qui indique que les partis politiques concourent à l’expression des suffrages, est flagrant.

Les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen apposeront d’ailleurs leurs signatures au recours devant le Conseil Constitutionnel sur ce texte.
La réforme des élections européennes tend aussi à réduire l’expression pluraliste.
L’éclatement du cadre national de cette élection en huit super régions favorisera de toute évidence les formations dominantes.

Cette réforme dénote également une volonté de pousser l’institution régionale comme élément moteur de la construction européenne au détriment des nations.
Comment ne pas percevoir un pendant institutionnel à l’offensive libérale dans cette volonté de recomposer le cadre électoral.

En effet, la décentralisation telle que M. RAFFARIN nous la présente, c’est-à-dire « l’organisation décentralisée de la République », accompagnée de la remise en cause du pluralisme et de la promotion de la dimension régionale, démontre une volonté de contourner l’Etat républicain comme obstacle à cette offensive libérale.

Pour ces raisons, le non respect des droits du Parlement et la grave remise en cause du pluralisme, les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen voteront résolument contre ce projet de loi.

Nicole Borvo Cohen-Seat

Ancienne sénatrice de Paris et présidente du groupe CRC

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