Référendum local : motion de renvoi en commission

Publié le 4 juin 2003 à 16:32 Mise à jour le 8 avril 2015

par Nicole Borvo

Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Mes cher-e-s collègue-s

Si notre groupe défend aujourd’hui cette motion de renvoi en commission, c’est parce qu’il nous paraît pour le moins inopportun de débattre aujourd’hui d’un texte qui est l’une des premières applications d’un processus législatif largement contesté.

Ma collègue Josiane MATHON l’a dit avant moi : il est nécessaire et urgent qu’une véritable démocratie locale voit le jour ; ce que vous nous proposez en est encore bien loin. Comme en est loin le fonctionnement de nos institutions. C’est une absence totale de démocratie qui a présidé à l’ensemble du processus législatif relatif à la soit-disant « décentralisation ». Les Assises, que vous présentiez, Monsieur le Ministre, comme le summum du dialogue et de la concertation n’ont trompé personne.
Et surtout pas nos concitoyennes et concitoyens, les salariés du secteur public, notamment celles et ceux de l’éducation nationale, qui se sont vus imposer des décisions, sans même en avoir été avertis.

Devant leur détermination, le gouvernement vient de décider le report de l’examen du projet de loi sur les transferts de compétences. Non pas pour en discuter au fond, mais seulement des modalités de mise en œuvre, des dispositions statutaires et les missions. Je rappellerai sur ce point mes propos, il y a près de trois mois, au congrès : « les agents publics ne sont pas opposés par principe à la décentralisation, si elle permet une réelle amélioration du service public et de rapprocher le pouvoir de décision des citoyens. Mais ils refusent, avec leurs organisations, d’être mis devant le fait accompli et de devoir discuter des modalités de transfert alors qu’aucune réflexion n’a été engagée au préalable sur l’évolution de leurs missions et de celles de l’Etat. Ils craignent, à juste titre, pour l’avenir du service public lui-même. Il est urgent de les entendre ». Mais le gouvernement a justement refusé de les entendre.

Et si vous avez été contraint d’annoncer le report de l’examen du projet de loi, cela ne saurait suffire ; c’est le retrait du texte qui est demandé par les salarié-s et leurs organisations syndicales.
Ne nous étonnons donc pas qu’ils soient été étaient hier en grève, dans les rues, qu’ils soient agents. de l’éducation nationale, de l’équipement, des transports,de la culture…. pour dire non aux projets gouvernementaux, non à « votre » décentralisation, à la remise en cause des services publics, à votre réforme des retraites.

Les retraites par répartition, la sécurité sociale, les services publics fondent -avec certes beaucoup d’insuffisances auxquelles il faut remédier- une société où la solidarité intergénérationnelle, où l’égalité devant l’accès aux soins, aux services, sont des principes essentiels. Ces valeurs qui ont sous-tendu les luttes et les conquêtes démocratiques, la droite au pouvoir cherche à les déconstruire, pour mettre en place une société fondée sur un individualisme justifiant toutes les déréglementations sociales. Une société où la vie dans et hors travail soit placée sous le signe de la flexibilité et de la précarité. Une société dans laquelle la réponse contre le mal-vivre, l’insécurité, c’est le repli sur soi, le rejet de l’autre (l’immigré, le jeune, le voisin), dans une recherche permanente du bouc émissaire, la stigmatisation de catégories de la population ; la loi et l’ordre comme fondements de la vie en société ; la réaffirmation d’un ordre moral.

Dans ce cadre, la réforme des retraites, comme la soit-disant décentralisation ne sont que des actes fondateurs d’une casse généralisée de tous les systèmes de protection sociale et de solidarité, d’égalité, accompagnée d’une réduction drastique des services publics et donc du nombre des fonctionnaires. Une casse des mécanismes qui sont autant de freins à la mise en œuvre de la politique libérale de la droite et du MEDEF.

Les salarié-e-s, la population, ont bien compris l’enjeu et ne se laissent pas manipuler si facilement, quand le gouvernement mène campagne pour opposer le public et le privé, les syndicats à la population. Quand il tente d’opposer les parents d’élèves aux enseignants…
C’est l’ensemble de la communauté éducative qui est extrêmement attachée à ce que l’Etat reste garant de l’égalité républicaine et du droit de chaque citoyen à un égal accès à l’ensemble des services publics. Son inquiétude est grande que la décentralisation qui s’engage n’aboutisse à la mise en concurrence des collèges et des lycées et un véritable dépeçage du service public de l’éducation.

Quant aux personnels ATOSS, ils craignent de surcroît, et à juste titre, d’être affectés à d’autres tâches, selon les priorités et orientations de la collectivité qui les emploiera. Le Ministre de l’Education nationale ne leur avait-il pas affirmé, avant le 28 février, qu’ils n’étaient pas concernés par la décentralisation ?

De même, dans une lettre flash aux chefs d’établissement, le ministre de l’Education a confirmé que les administratifs gérant les TOSS seront également transférés ; il avait pourtant été affirmé que les personnels administratifs n’étaient pas concernés. Les 110 000 se sont ainsi subitement accrus de plus de 30 000 personnes.
On nous donne souvent l’exemple des ASSEM comme système qui fonctionnerait particulièrement bien ; c’est oublier que leur taux de présence est de 1 à 7 selon les collectivités. Quant au paiement des livres scolaires par les régions : ne nous leurrons pas, celles qui le font ont pris la place de l’Etat défaillant, que rien ni personne n’empêchait de prendre la même décision.

Quand on ajoute à cela les négociations dans le cadre de l’AGCS, il y a de quoi être extrêmement inquiet ; la décentralisation est bien le « cheval de Troyes » de la libéralisation de l’enseignement. Et les expérimentations permettront d’ouvrir des portes vers encore plus de déréglementation, de libéralisation.

Concernant les personnels de l’Equipement, ils savent bien que le transfert de leur secteur va coûter extrêmement cher aux collectivités locales. 60 % des ouvrages d’art appartenant à l’Etat nécessitent une rénovation ; qui va payer ? Il faut s’attendre à un accroissement sans précédent des péages. Il faudra payer pour aller travailler ! C’est un comble.

En matière culturelle, les salariés ne sont pas hostile à une décentralisation et à l’existence de compétences locales ; c’est déjà le cas. Mais le rôle de l’Etat ne peut pas être défini « en creux ». Il faut préciser clairement ses missions, plutôt que les démanteler sans aucune garantie.

Par ailleurs, dans tous les domaines concernés, les agents publics savent bien que l’option statutaire qui leur est offerte et les possibilités de réintégration sont un leurre. Comment fera l’Etat pour réintégrer un fonctionnaire dans une mission dont il se sera débarrassé ?
De plus, la question du financement des transferts de compétences reste complètement posée. Les collectivités locales vont être obligées d’externaliser, de privatiser leurs services. En tout état de cause, ce sera au contribuable local de payer plus, bien plus, s’il veut maintenir les secteurs existants. Dans certains endroits déjà, les cantines scolaires, la maintenance et le chauffage des établissements sont confiés au privé, pour lequel ce sont là des marchés juteux.

Les élus locaux ont de bonnes raisons d’être inquiets. N’est-ce pas Monsieur de Rohan, qui, selon les propos d’un journaliste, déclarait récemment : « nous ne sommes pas là simplement pour obtempérer sur un transfert décidé par le gouvernement. Les personnels sont inquiets, mais nous aussi », ajoutant en évoquant le fait que les personnels de la région Bretagne allaient être multiplié par six : « c’est une source de coût supplémentaire importante ». J’espère, Monsieur de Rohan, qu’avec vos collègues, vous saurez, ici réitérer vos craintes. C’est le moment.

Dès le mois d’octobre, notre groupe demandait que soit engagé un large débat public sur la décentralisation ; qu’il soit permis aux citoyens de connaître les tenants et aboutissants de vos projets, pour qu’ils se prononcent en toute connaissance de cause par référendum. Le gouvernement a refusé de tenir cette promesse du candidat Chirac. Nous ne serions pas dans la situation qui prévaut aujourd’hui si ce débat avait eu lieu ; si les citoyennes et les citoyens, si les salarié-s avaient pu donner leur avis.

Mais Monsieur le Premier ministre dit que « ce n’est pas la rue qui gouverne », que c’est au Parlement de décider. Pourtant du débat parlementaire aussi, le gouvernement fait fi. De déclarations d’urgence en 49-3 ; d’avant-projets de lois dont les contenus nous sont dévoilés par la presse aux changements de dernière minute dans le calendrier parlementaire, c’est le mépris du Parlement qui domine. Mais il faut bien dire que la majorité donne quitus au gouvernement de cette attitude, puisqu’elle accepte sans sourciller de voter ses projets, sans même parfois déposer le moindre amendement.

La manière dont a été engagé le processus législatif sur les lois de décentralisation est, sur ce chapitre, éclairante. Nous n’avons pas manqué de souligner que vous nous demandiez de voter une réforme constitutionnelle, touchant donc aux fondements de nos institutions, une réforme devant provoquer des bouleversements importants dans la vie des citoyens, sans que nous puissions avoir connaissance du contenu des projets à venir, et avoir une vue d’ensemble. Et de fait, vous nous les distillez un par un sans débat sérieux ; au fond, on a un peu l’impression d’être en présence de « poupées-gigognes », chaque texte en cachant un autre. C’est ainsi que nous apprenons par le rapport de la commission des lois que le projet de loi relatif aux transferts de compétences devrait ajouter des dispositions en matière de démocratie locale. Pourquoi ne pas discuter de toutes ces mesures dans un même laps de temps ?

Dans ces circonstances, le fait de présenter très vite une loi sur le référendum local fait presque figure de provocation. Vous le proposez là où vous avez refusé le débat sur le texte dans son ensemble.
Mais le contrat que le gouvernement a passé avec le MEDEF oblige le gouvernement. Il s’agit pour ce dernier d’arriver aux échéances électorales de 2004 -avec l’aide de sa réforme des modes de scrutin- en ayant adapté la France aux « normes européennes ».

Le 11 décembre, je disais ici-même : « Les enseignants étaient dans la rue ce dimanche, pour dire leur refus de la mise en cause de l’unicité de l’enseignement, de son égalité. Les cheminots et les salariés de divers services publics, qui ont manifesté en grand nombre le 26 novembre ont dit eux aussi leurs inquiétudes devant la décentralisation telle qu’elle se profile ».
Aujourd’hui, c’est par millions qu’ils défilent, font grève ou sont solidaires pour dire leur refus devant le démantèlement du pays, celui du service public. Et qu’on ne nous fasse pas croire qu’il ne s’agirait là que d’opposants à la décentralisation.

Comme nous-mêmes, la plupart d’entre eux ne sont pas pour un statu quo, car trop de besoins sont insatisfaits. Mais la décentralisation doit être solidaire, citoyenne, porteuse d’égalité dans le cadre d’une cohésion sociale et territoriale renforcée. C’est une conception fondamentalement opposée que vous proposez à notre peuple et notre pays, une conception d’essence libérale et fédérale.

Il y a place, dans notre pays, pour un service public national, solidaire, répondant aux besoins des usagers. Les luttes massives portent cette exigence.
Monsieur le Ministre, je le dis solennellement : le 21 avril a eu lieu parce que les Françaises et les Français avaient le sentiment de n’avoir pas été entendus. En continuant de ne pas les écouter, en choisissant le rapport de force plutôt que la discussion et la négociation, le gouvernement prend des risques extrêmement graves pour l’avenir.

Il est encore temps pour lui de retirer ses projets, de lancer une véritable négociation et un véritable débat citoyen sur d’autres bases. C’est ce que nous demandons en soutenant cette motion de renvoi en Commission.

Nicole Borvo Cohen-Seat

Ancienne sénatrice de Paris et présidente du groupe CRC

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