Récidive des infractions pénales

Publié le 25 octobre 2005 à 15:45 Mise à jour le 8 avril 2015

« Nous devons tout faire pour lutter contre la récidive ». Oui, mais comment, et avec quels moyens ? Le texte a déjà une histoire, et elle n’est pas flatteuse pour la représentation nationale. Elle est jalonnée d’annonces médiatiques : peines automatiques, puis rétroactivité des peines, autant d’entorses à notre loi pénale, autant d’annonces destinées à tester les professionnels de la justice comme à apaiser l’opinion à chaque fait divers médiatisé.

Le texte qui nous revient de l’Assemblée nationale est inacceptable. Les députés ont confirmé leur choix : un texte de circonstance, poudre aux yeux pour l’opinion. Le législateur a pourtant le devoir d’élaborer en toute sérénité des lois faites pour durer. Or, depuis 2001, nous avons par cinq fois alourdi l’arsenal répressif au gré des circonstances. Nous débattons une nouvelle fois au moment même où, fâcheuse coïncidence, le rapport annuel de l’Office international des prisons (O.I.P.), publié le 20 octobre, nous montre du doigt. Alors que nous avions constaté nous-même, il y a cinq ans, au terme d’enquêtes parlementaires sérieuses, l’état sordide de nos prisons - surpopulation, promiscuité, absence de suivi psychiatrique - les quelques améliorations qui en étaient résulté ont été anéanties par votre frénésie à remplir les prisons à coup d’inflation pénale, augmentant le nombre de détenus pour courte peine et accroissant les longues peines. Huit détenus sur dix présentent aujourd’hui au moins un trouble psychiatrique, et les établissements sont devenus des lieux de violence pour les prisonniers comme pour le personnel.

Les délinquants sexuels - qui représentent 22 % des incarcérations - et non pas 40 %, comme vous le laissez dire, monsieur le Garde des Sceaux, pour les besoins de votre cause - font office de boucs émissaires, attirant sur eux une bonne part de la violence en prison, selon le triste constat de l’O.I.P.

La récidive est un échec de la peine. Aurons-nous enfin le courage d’affronter la réalité ? De réfléchir sur le sens de la peine ? De se doter des moyens nécessaires par une loi pénale et des conditions de détention, de soins et de réinsertion dignes d’un pays civilisé ?

Ou poursuivrons-nous dans cette fuite en avant ? L’an dernier, quarante-huit députés ont osé demander le rétablissement de la peine de mort.

Seront-ils plus nombreux la prochaine fois ? J’ose espérer que vous ne soutiendrez pas vos amis dans cette demande ! La lutte contre la récidive se fait en prison, pas à travers une loi pénale opportuniste.

Manipulation des chiffres pour faire peur, faire croire que tous les délinquants sexuels sont de futurs récidivistes. Le taux réel est de 2,4 % contre 8,2 % pour le vol aggravé, et de 1,1 % pour le viol. La surenchère nourrit l’excitation médiatique autour des faits divers.

Manipulation quand on parle du laxisme des magistrats alors que les peines allongent, manipulation sur les solutions, puisqu’on laisse croire que l’aggravation des peines résoudra tout. La menace de la peine de mort empêche-t-elle les crimes ? Regardez les États-Unis ? Lutter contre la récidive, c’est prévenir avant tout. Si la connaissance des comportements a ses limites - nombre de délinquants sexuels sont de bons pères de famille -, il est démontré que c’est le suivi individuel, l’individualisation de la peine, la préparation à la réinsertion qui diminuent les risques de récidive. Ce sont les libérations conditionnelles, les suspensions et fractionnements des peines, les peines alternatives, le suivi socio-judiciaire humain qui sont efficaces.

La mission d’information mise en place par votre prédécesseur faisait des propositions dans ce sens, que vous avez écartées. Le rapport Burgelin, dont on n’a retenu que l’enfermement, insistait sur la nécessité de mieux évaluer la dangerosité des personnes détenues. Là encore, il est urgent d’attendre - ça coûte !

Notre pays dépense moins que la plupart des grands pays européens pour sa justice mais dépense plus pour construire des prisons et assurer la surveillance.

Les députés ont revoté les dispositions critiquées par le Sénat : introduction de la réitération, aggravation des peines incompressibles, limitation du crédit de réduction des peines, incarcération dès le prononcé de la peine. Ils en ont rajouté en durcissant les conditions de la libération conditionnelle, en élargissant le cadre de la récidive légale et l’inscription au fichier des délinquants sexuels.

Mais rien sur la prévention de la récidive !

Pourquoi codifier la notion de réitération ?

Sans avoir de traduction législative, celle- ci correspond à une réalité : il y a réitération quand, la première infraction ayant donné lieu à une condamnation définitive, l’auteur en commet une nouvelle, de nature telle, et après un tel délai, que les conditions de la récidive ne sont pas remplies.

Si cette seconde infraction doit théoriquement être traitée isolément, le juge risque fort d’être influencé par la connaissance de la première condamnation, inscrite au cassier judiciaire - qu’il faudrait d’ailleurs améliorer, mais, là aussi, ça coûte !

En outre, l’article L. 132-30 du Code pénal prévoit que le juge ne peut accorder un sursis à l’exécution de la peine si le prévenu a déjà été condamné à une peine d’emprisonnement dans les cinq ans précédents les faits : il n’est pas particulièrement laxiste en cas d’infractions multiples !

L’allongement des peines de sûreté va à l’encontre de l’individualisation des peines, principe fondamental du droit pénal, et nous rapproche des peines automatiques ou peines planchers, véritable dérive à l’américaine.

Tout ce qui rend impossible la réinsertion et la prise en charge réelle des personnes sert à fabriquer de la récidive.

L’application de ces dispositions aux mineurs est honteuse : insidieusement, la spécificité de la justice des mineurs est remise en cause, en contradiction avec nos principes constitutionnels et nos engagements internationaux. Le placement en centre éducatif fermé est déjà possible ! J’espère que la sagesse l’emportera sur ce point...

Les députés ont encore restreint les conditions d’application de la loi de 2002 sur les droits des malades, qui permet de suspendre la peine des détenus dont le pronostic vital est atteint ou dont l’état de santé est incompatible avec le maintien en détention. Celle-ci est déjà appliquée de façon très restrictive et presque exclusivement pour des malades en fin de vie. Le seul détenu libéré qui se porte bien, c’est Papon !

Les conditions ajoutées à l’Assemblée nationale, de trouble exceptionnel à l’ordre public ou de risque particulièrement élevé de récidive vident de sens la loi « Kouchner » et jettent le doute sur les experts médicaux et les juges. J’espère là aussi que la sagesse l’emportera !

Le battage médiatique autour du bracelet électronique ne fait pas, hélas, avancer le débat sur la récidive. Laisser croire à l’opinion publique que c’est la panacée n’est que pure démagogie.

Pourquoi si peu de personnes sont-elles placées sous bracelet fixe ?

M. CLÉMENT, garde des Sceaux. - Combien, à votre avis ?

Mme BORVO COHEN-SEAT. - Trois cents !

M. CLÉMENT, garde des Sceaux. - Mille !

Mme BORVO COHEN-SEAT. - Les députés ne tiennent aucun compte des réserves émises par le rapport Fenech sur son utilisation et son coût - nous y reviendrons dans la motion de procédure.

Nous n’adhérons pas à la philosophie de ce texte opportuniste et dangereux. Nous voterons résolument contre, mais nous soutiendrons tout ce qui peut le rendre moins toxique.

Nicole Borvo Cohen-Seat

Ancienne sénatrice de Paris et présidente du groupe CRC

Ses autres interventions :

Sur le même sujet :

Justice et police