Monsieur le Président,
Monsieur le Garde des Sceaux,
Mes chers collègues,
Je regrette encore une fois que l’examen des motions intervienne après la clôture de la discussion générale.
Ce texte qui nous revient de l’Assemblée Nationale, confirme, s’il en était besoin, qu’en guise de prévention de la délinquance, nous avons à nous prononcer sur des dispositions de sécurité intérieure « tous azimut ».
Il s’agit ni plus ni moins d’un texte qui s’emploie à élargir les sanctions et le contrôle social dans de nombreux domaines, affichant certes la philosophie de la .. selon laquelle plus forte est la sanction, plus elle est dissuasive, donc préventive.
Il me faut donc dire très clairement que pour nous, contrevenir à la loi doit être sanctionné, encore faut-il que la sanction ait du sens et s’inscrive dans un processus de réinsertion. Mais qu’une politique de prévention s’intéresse à l’avant. (contravention, crime ou délit)
Or, il est impossible de percevoir, concrètement l’aspect « prévention », terme qui figure pourtant dans l’intitulé du projet de loi, tant les nouvelles mesures modifiant le code pénal, le code de procédure pénale, le code de la santé publique sont de nature répressive.
J’avais déjà défendu une motion d’irrecevabilité en première lecture. Vous avez, M. le Ministre et la majorité sénatoriale, ironisé à l’époque sur ce que j’avais appelé « le mépris du parlement ». Je persiste, la loi du 29 août 2002 d’orientation et de programmation pour la sécurité intérieure, du 9 septembre 2002 d’orientation et de programmation pour la justice, du 18 mars 2003 relative à la sécurité intérieure, du 9 mars 2004 relative à l’adaptation de la justice à la criminalité, du 12 décembre 2005 relative à la récidive et à celle du 23 janvier 2006 relative au terrorisme ont multiplié le nombre des délits et des sanctions afférentes. L’effet cumulatif des sénateurs et députés de la majorité nous ont rajouté guet-apens et embuscade, happy slappy, les délits de hall d’immeubles, mais par contre, atténué les contraventions routières, période électorale oblige, à être plus répressifs pour certains, moins répressifs pour d’autres.
Qui plus est, ce projet de loi interfère avec la loi du 2 janvier 2004 relative à l’accueil et à la protection de l’enfance et du 31 mars 2006 pour l’égalité des chances, ainsi qu’avec les dispositions de la loi sur la protection de l’enfance, examiné à partir d’aujourd’hui par l’Assemblée Nationale.
M. le Ministre, je persiste, parce que trop de lois nuit à la loi, et tout spécialement quand les textes que je viens de citer n’ont pas fait l’objet - et pour cause vu leur jeune âge - d’une évaluation sérieuse.
L’inflation législative est telle que le Conseil d’Etat a fait part de son inquiétude à ce sujet dans son rapport du 15 mars 2006 : il souligne le fait que l’inflation législative est porteuse d’insécurité juridique pour les acteurs économiques et les citoyens.
Mais l’inflation législative, par l’empilement des textes qu’elle induit, a également des conséquences en termes d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi, dont la valeur constitutionnelle a été consacrée par le conseil constitutionnel le 16 décembre 1999 et reconnue par le conseil d’Etat le 24 mars 2006.
Le conseil constitutionnel considère en effet « que l’égalité devant la loi énoncée par l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et « la garantie des droits » requise par son article 16 pourraient ne pas être effectives si les citoyens ne disposaient pas d’une connaissance suffisante des normes qui leur sont applicables ; qu’une telle connaissance est en outre nécessaire à l’exercice des droits et libertés garantis tant par l’article 4 de la Déclaration, en vertu duquel cet exercice n’a de bornes que celles déterminées par la loi, que par son article 5, aux termes duquel « tout ce qui n’est pas défendu par la loi ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu’elle n’ordonne pas ».
L’empilement des normes juridiques est source de contradictions et les rend bien souvent incompréhensibles. Nous en avons l’exemple avec les deux projets de loi relatifs à la prévention de la délinquance et à la protection de l’enfance.
Les codes et les lois sont excessivement complexes et privent nos concitoyens d’une connaissance suffisante de la législation qui leur est applicable. Bien souvent des articles de lois viennent contredire des dispositions déjà en vigueur, ou compléter une législation déjà abondante et qui de surcroît n’est pas toujours appliquée. Aussi, ce texte, en réponse, en terme de peines complémentaires, ajoute une sanction « restauration ».
C’est en ce sens que nous considérons ce projet de loi comme allant à l’encontre du principe d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi, d’autant plus que sont en cause des droits et libertés fondamentaux.
Je persiste aussi à dire, parce qu’aucune correction n’a été apportée, que ce texte porte également atteinte au principe de séparation des pouvoirs, lorsqu’il confère aux maires des pouvoirs quasi judiciaires.
Le projet de loi fait du maire un acteur central en matière de « contrôle » de la délinquance : tout reposera désormais sur ses épaules. Ses pouvoirs sont multipliés : il pourra mettre en place, s’il le souhaite, un conseil pour les droits et devoirs des familles, procéder à des rappels à l’ordre, y compris sur les mineurs, proposer un accompagnement parental ou encore une mise sous tutelle des allocations familiales.
Mais il y a pire : le maire recevra des informations, jusqu’ici protégées par le secret professionnel, sur les administrés qui bénéficient de l’aide d’un éducateur ou d’une assistante sociale. Il pourra également constituer un fichier nominatif des élèves ayant fait l’objet d’un avertissement pour absentéisme scolaire.
Les maires sont assimilés à de véritables délégués du procureur, avec des pouvoirs qui empiètent malgré tout ce que le gouvernement peut dire sur le pouvoir judiciaire. Le rappel à l’ordre prévu par l’article 8 et que le maire pourra adresser aussi bien à l’encontre des majeurs que des mineurs en est l’exemple le plus frappant.
Les maires seront même informés sans délai, par la police ou la gendarmerie des infractions causant un trouble à l’ordre public et par le procureur de la république des suites judiciaires données à ces infractions.
Toutes ces dispositions tendent à donner au maire des prérogatives qui empiètent largement sur les missions actuelles d’autres institutions : la confusion institutionnelle est ici totale, au détriment des familles en difficultés.
Elles traduisent enfin une véritable défiance à l’encontre des travailleurs sociaux et de la justice, deux secteurs qui -est-ce un hasard ?- manquent cruellement de moyens humains et financiers.
Le maire deviendrait ainsi le garant de la sécurité.
Nous risquons, à terme, d’assister à une dilution de la politique nationale, avec en parallèle une multiplication des spécificités locales. C’est l’égalité de traitement entre les citoyens qui est ici remise en cause.
Je persiste aussi à dire que le texte recèle ainsi un nombre inquiétant d’atteintes aux libertés fondamentales, que nous relevions déjà en première lecture, et qui, pour certaines, ont été aggravées par l’Assemblée nationale.
Les atteintes à la vie privée sont multiples et la diffusion d’informations à caractère confidentiel est facilitée.
L’Assemblée Nationale a prévu, à l’article 1er, qu’au sein des groupes de travail des conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance des faits et informations à caractère confidentiel pourront être échangés sous réserves de ne pas être communiqués à des tiers. Notre commission des lois propose même d’étendre cette faculté au conseil intercommunal de sécurité et de prévention de la délinquance.
Le secret professionnel est remis en cause par l’article 5. Cet article autorise le partage d’informations jusqu’ici protégées par le secret professionnel : dès lors qu’une famille, suivie par des professionnels de l’action sociale, subira une aggravation de ses difficultés, les travailleurs sociaux devront en informer le maire et le président du conseil général.
Ces informations pourront même servir de base à la décision de réunir le conseil pour les droits et devoirs des familles.
Toutes ces dispositions conduisent à soumettre la vie privée et familiale de personnes connaissant des difficultés sociales, éducatives, financières, à un contrôle social et administratif pesant et particulièrement intrusif, au motif pour vous .. qu’elles génèrent, avec une forte probabilité, de futurs délinquants.
De même, est inquiétante pour la sécurité démocratique, comme le disait le CNCDL en 2002, la multiplication des fichiers et l’augmentation du nombre de personnes habilités à les consulter. Mais peut-être est-ce ce que la commission des lois appelle « un continuum de prise en charge » ?
Le maire serait ainsi autorisé à mettre en œuvre un fichier, afin d’améliorer le suivi de l’obligation d’assiduité scolaire, des élèves domiciliés dans sa commune. Ce fichier contiendra des informations à caractère personnel transmises par les organismes chargés du versement des prestations familiales, mais aussi par l’inspecteur d’académie ou le directeur de l’établissement en cas d’exclusion temporaire ou définitive ou lorsque l’élève quitte l’établissement en cours ou en fin d’année.
Outre le fait que cet article organise un formidable croisement de fichiers, sous la coordination du maire, le champ d’application de cet article est très vaste et le nombre d’écoliers concernés par ce fichage risque d’être élevé. Il n’y a plus besoin d’attendre d’être un adulte pour être fiché, les enfants pourront l’être dès leur plus jeune âge ! Par ailleurs, est-ce un premier pas vers le dépistage des enfants de moins de trois ans ? C’est en tout cas l’impression qui en ressort.
L’extension du fichage concerne aussi les personnes souffrant de troubles mentaux. Depuis cinq ans, chaque loi pénale a crée ou étendu un nouveau fichier. Ce projet de loi ne fait donc pas exception. L’objectif est de cibler des populations « criminogènes ». Le problème en l’espèce est que ces personnes sont insidieusement assimilées à des délinquants. La tenue d’un tel fichier, compte tenu de la sensibilisation des informations enregistrées, pose un réel problème en matière d’atteinte à la vie privée.
Je ne sais si les séries policières américains, où en quelques secondes les super flics new-yorkais savent tout de A à Z d’un John SMITH, né au fin fond de l’Ohaio fascinent nos gouvernants, mais je ne me priverais pas de dire que cela n’a aucune influence aux USA sur la prévention de la délinquance et sur la violence en général.
J’avais considéré comme irrecevable en première lecture l’inclusion dans ce texte des dispositions relatives à la santé mentale.
La vive protestation des professionnels vous a posé quelques problèmes depuis ! Mais vous avez du coup rajouté un motif d’irrecevabilité.
En effet, le tour de passe-passe qui consiste à vouloir légiférer par ordonnance sur la nécessaire réforme de la loi du 27 juin 1990 tandis que les articles relatifs à la santé mentale continuent d’être traités dans la présente loi, est pour le moins inacceptable pour des parlementaires qui doivent savoir ce que le gouvernement décidera dans le même domaine - élargi - par ordonnance.
J’ajoute en l’occurrence que, comme avec les familles souffrant de difficultés sociales, le gouvernement entretient les amalgames, sous-entend que les personnes malades mentales présentent un risque en matière de délinquance et propose comme solution de les ficher.
Nous ne pouvons tolérer de telles atteintes à la vie privée, d’autant plus qu’elles n’auront aucun effet en matière de prévention de la délinquance.
Elles ne font que traduire le phénomène de pénalisation des problèmes sociaux, auquel nous habitue ce gouvernement depuis cinq années et avec les résultats que l’on connaît.
S’agissant de la justice des mineurs, les dispositions ayant même été aggravées par l’Assemblée nationale.
La spécificité de la justice des mineurs, pourtant reconnue constitutionnellement, tend à devenir virtuelle, tant le gouvernement cherche à la rapprocher de la justice des majeurs.
Eliane ASSASSI l’a développé avec la nouvelle procédure de présentation immédiate devant le juge des mineurs, étrangement comparable à la comparution immédiate, et avec l’extension aux mineurs de plus de 13 ans de la composition pénale.
Concernant cette dernière, je reste très dubitative sur la réalité du consentement d’un mineur âgé de treize à seize ans auquel la loi ne reconnaît par ailleurs aucune capacité à pouvoir contracter.
De même, cela suppose que le mineur reconnaisse sa culpabilité, ce qui est contraire à l’article 40 de la Convention internationale des droits de l’enfant. Celle-ci dispose en effet que « Les États parties doivent veiller en particulier à ce que tout enfant suspecté ou accusé d’infraction à la loi pénale ait au moins le droit à la garantie de ne pas être contraint de témoigner ou de s’avouer coupable ».
Par ailleurs, cette mesure ouvre une énième brèche aux principes fondamentaux de l’ordonnance de 1945. En effet, elle conférait au juge des enfants une compétence exclusive pour connaître des délits commis par les mineurs et déterminer la réponse pénale la plus adaptée à leur égard. Désormais, cette compétence sera partagée avec le procureur de la République, même si le juge des enfants conserve le pouvoir d’homologuer ou non la proposition acceptée par le mineur et ses représentants.
De manière générale, la procédure de présentation immédiate devant le juge des enfants et l’extension de la composition pénale, en ce qu’elles ne permettent pas à l’enfant de préparer sa défense ou d’être jugé de façon équitable par une juridiction de jugement, remettent en cause les droits de la défense. S’agissant de mineurs, cette remise en cause me semble particulièrement grave et inacceptable. Elle est par ailleurs contraire à la Convention internationale des droits de l’enfant.
Mais l’Assemblée nationale a jugé ces atteintes aux principes de l’ordonnance de 1945 insuffisantes. Il faut admettre que la vigueur avec laquelle le ministre de l’Intérieur souhaite la vider de son sens ne pouvait guère atténuer les ardeurs de certains députés.
Ainsi, nous avons échappé à l’abaissement de l’âge de la responsabilité pénale à seize ans et à la suppression pure et simple de l’atténuation de responsabilité pénale.
Néanmoins, les députés ont décidé d’étendre la portée de la disposition actuellement prévue par l’article 20-2 de l’ordonnance de 1945 permettant au juge de déroger exceptionnellement au principe de l’atténuation de responsabilité pénale pour les mineurs de plus de
Tout d’abord, l’article 39 bis ne fait plus mention du caractère exceptionnel de cette dérogation. Ensuite, son champ d’application est étendu aux auteurs d’infractions violentes en situation de récidive. Enfin, cet article prévoit, à l’égard de cette catégorie de délinquants, de supprimer l’obligation pour le juge de motiver spécialement sa décision de ne pas atténuer la responsabilité pénale.
Nous ne sommes finalement plus très loin de la remise en cause totale de l’atténuation de responsabilité.
Il n’en reste pas moins qu’en retirant le caractère exceptionnel de la procédure, l’article 39 bis contrevient aux principes de l’ordonnance de 1945, qui ont valeur constitutionnelle, ainsi qu’à l’article 40 de la Convention internationale des droits de l’enfant qui dispose que « Les États parties reconnaissent à tout enfant suspecté, accusé ou convaincu d’infraction à la loi pénale le droit à un traitement qui soit de nature à favoriser son sens de la dignité et de la valeur personnelle, [... ] et qui tienne compte de son âge ».
La solution proposée par le ministre de l’Intérieur, qui se substitue d’ailleurs étrangement au Garde des Sceaux en la matière, est de prévoir une remise en cause de l’atténuation de la responsabilité, un alourdissement des peines encourues et une possibilité accrue d’enfermer les mineurs.
Ce texte ne fait que traduire une mise sous tutelle du ministère de l’intérieur de l’action sociale, de l’éducation nationale, de la justice des mineurs et des majeurs, ou encore des transports. Avec les députés de l’Assemblée Nationale, c’est un véritable fourre-tout de mesures prises pour répondre à l’actualité et aux faits divers.
Loin d’apporter des réponses en matière de prévention, ce projet de loi met en péril le fondement de notre Etat de droit, et hypothèque l’avenir de nos libertés fondamentales et de l’organisation de notre société fondée sur la solidarité.